J’ai une idée pour le nouveau responsable de l’Énergie, Pierre Fitzgibbon, et pour le comité sur la transition énergétique, dirigé par François Legault.

Une idée qui pourrait développer l’économie du Québec tout en réglant le problème d’allocation d’énergie. Une idée qui ravira les tenants du développement durable et la plupart des économistes, qui sont allergiques aux subventions.

La suggestion irait dans le sens de la déclaration de Sophie Brochu, d’Hydro-Québec, qui dit accepter de « participer activement » à cette transition énergétique pourvu qu’elle se fasse « à la fois sur les plans économique, social et environnemental ».

Cette idée, la voici : pourquoi ne pas permettre aux industriels de construire leur propre parc éolien, duquel ils pourraient tirer toute l’énergie dont ils ont besoin ?

Ce faisant, ils paieraient un prix raisonnable pour leur énergie – en économisant sur la marge de profit d’Hydro – et sécuriseraient leur approvisionnement énergétique à long terme.

La société Hy2gen veut produire de l’hydrogène vert à Baie-Comeau ? Parfait. Feu vert pour votre projet de 1 milliard de dollars si vous vous alimentez à même votre propre parc éolien. Vous serez même autorisés à exporter vos barils d’hydrogène vers votre mère patrie, l’Allemagne.

L’éolien est une source trop instable, en raison des vents variables ? Pas de problème : Hydro-Québec va vous aider, en compensant les passages à vide de vos éoliennes grâce à ses réservoirs hydrauliques, et elle rachètera même vos surplus, le cas échéant.

Ce que l’énergie vous coûtera ? Récemment, Hydro-Québec a consenti à payer 6 cents le kilowattheure pour l’énergie produite par le projet Apuiat, sur la Côte-Nord. Les observateurs jugent que le prix coûtant est moins élevé et qu’il pourrait encore baisser, grâce aux avancées technologiques. Bref, on ne serait pas loin de 5 cents le kilowattheure de coût de production pour les nouveaux parcs éoliens.

Bien entendu, pour équilibrer votre approvisionnement éolien, vous devrez payer pour recourir à la batterie naturelle d’Hydro-Québec – ses réservoirs –, ce qui revient à 3 cents le kilowattheure. Il faudra aussi vous raccorder au réseau et payer pour le transport (2 cents le kilowattheure).

La facture pourrait toutefois être moins élevée, au bout du compte, grâce à la revente de vos surplus d’énergie à Hydro, dans certaines situations, et en raison de la proximité des grandes lignes de la société d’État sur la Côte-Nord.

Trop risqué pour vous, le développement énergétique ? Pourquoi alors ne pas conclure un partenariat avec Boralex, comme l’ont fait les Autochtones pour Apuiat ? Ou encore, partager les frais et les risques avec l’aluminerie Alcoa, qui est tout près ? Après tout, Alcoa a possiblement un projet d’agrandissement dans ses cartons, vu le prix de vente très avantageux de l’aluminium en ce moment.

Vous me suivez ? Je sais, je sais, en réalité, l’idée ne sourira pas aux grands industriels qui ont des projets, puisqu’ils paient actuellement à Hydro-Québec seulement 5 cents le kilowattheure pour leur énergie, tout compris, soit le tarif L. Ils veulent continuer de payer aussi peu, même si pour leurs projets, Hydro-Québec devra trouver de nouveaux approvisionnements, qui reviennent à 11 cents le kilowattheure.

Je sais, l’idée sera probablement rejetée, aussi, par les tenants du développement à tout crin, notamment les politiciens, qui préfèrent donner des subventions pour verdir l’économie plutôt que de taxer les mauvais comportements.

Car c’est bien de subventions qu’il est question : pour éponger la différence entre le 5 cents et le 11 cents, ce sont les autres clients d’Hydro-Québec qui verront leurs factures augmenter étant donné qu’Hydro doit maintenir les mêmes rendements et profits. D’où l’importance de choisir judicieusement les projets.

Oui, mais les retombées économiques des projets ? Parlons-en, des retombées.

Quand le Québec avait un taux de chômage dans les deux chiffres et que ses surplus d’énergie étaient abondants, l’argument des retombées était plus pertinent. Il fallait stimuler la construction de projets énergivores et créer des emplois, les subventions étant alors moins élevées que le coût de l’inaction (aide sociale, allocations de chômage, etc.).

C’est l’inverse aujourd’hui. Avec la sévère pénurie de main-d’œuvre, il est illogique de subventionner des projets et des emplois qui aggraveraient le problème ailleurs, dans les entreprises privées ou publiques. Vient un moment où les retombées pourraient même être négatives, en quelque sorte.

Oui, mais la décarbonation qu’apportera l’énergie vendue pas cher aux grands industriels ? C’est un argument valable, qui pourrait même devenir un incontournable : on vous vend de l’énergie à la condition qu’elle serve à réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES). Entre autres.

Sauf qu’en ce moment, l’un des demandeurs importants d’énergie, l’industrie de l’aluminium, bénéficie non seulement de bas tarifs, mais aussi de passe-droits pour ses émissions de GES.

Comment ? Québec donne aux alumineries des allocations pour les dispenser de payer pour les GES qu’elles émettent via le marché du carbone. En 2020, par exemple, l’industrie a reçu ces allocations lui permettant d’émettre 5,36 millions de tonnes de GES gratuitement, selon une étude de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie de HEC Montréal.

C’est beaucoup, soit l’équivalent de 7 % de tous les GES émis au Québec. C’est même davantage que ce que les alumineries ont émis en GES cette année-là (5,3 millions de tonnes), ce qui peut permettre à l’industrie de vendre à profit sur le marché du carbone les droits en trop donnés par Québec, estime la Chaire.

Certes, l’industrie de l’aluminium a de grands défis pour décarboner, puisqu’elle doit changer ses procédés, ce qui est compliqué. Et elle fait des efforts. Mais justement, pour avoir de l’énergie bon marché, elle devra y parvenir, selon moi, et donc jumeler réellement le développement économique et la décarbonation.

Je laisse au comité de transition énergétique et à Pierre Fitzgibbon le soin de réfléchir à ces questions. Chose certaine, ils devront faire des arbitrages difficiles s’ils veulent allier l’économie, le social et l’environnement sans en faire porter le poids aux contribuables.