Un producteur d’hydrogène vert a convaincu Québec de lui offrir un important bloc énergétique pour un projet se chiffrant dans les milliards qui verrait le jour à Shawinigan, a appris La Presse. En contrepartie, les promoteurs proposent d’investir dans la construction d’une centaine d’éoliennes et d’un parc solaire pour compléter leurs besoins.

Ces détails seront dévoilés par TES Canada vendredi, en Mauricie. Le ministre québécois de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie, Pierre Fitzgibbon, ainsi que le ministre fédéral de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie, François-Philippe Champagne, doivent être présents à l’annonce. Selon nos informations, la facture du projet oscille aux alentours de 4 milliards si l’on tient compte de la portion d’autoproduction énergétique.

L’hydrogène vert – qui nécessite énormément d’énergie – est considéré comme une solution de rechange dans l’industrie lourde (cimenteries, alumineries et aciéries), toujours dépendante du gaz naturel fossile. Filiale de la firme belge Tree Energy Solutions, TES Canada a été cofondée par la femme d’affaires France Chrétien Desmarais, fille de l’ex-premier ministre Jean Chrétien et femme d’André Desmarais, président délégué du conseil de Power Corporation du Canada. L’entreprise a obtenu un bloc d’énergie estimé à 150 mégawatts (MW), soit l’équivalent d’environ 30 fois la puissance du Centre Bell.

« L’hydrogène sera destiné à un usage québécois », affirment les promoteurs, sur le site web du « projet Mauricie », où l’on apprend que la mise en service aurait lieu en 2028 et que 200 emplois permanents seraient créés dans la région après le démarrage.

Mercredi, TES Canada n’a pas commenté les informations colligées par La Presse.

L’hydrogène vert, qu’est-ce que c’est ?

À l’heure actuelle, 95 % de l’hydrogène dans le monde est produit à partir d’énergies fossiles. L’hydrogène peut être produit par électrolyse de l’eau. Ce procédé consiste à faire passer un courant électrique dans l’eau. Cela permet de décomposer ses molécules pour ensuite en extraire l’hydrogène. On parle d’hydrogène vert quand le courant utilisé provient d’une source d’énergie renouvelable, comme l’hydroélectricité.

Source : gouvernement du Québec

TES Canada fait partie de la liste des 11 demandes retenues par le ministre Pierre Fitzgibbon pour se partager environ 1000 MW. Les entreprises désireuses de se lancer dans la production d’hydrogène se bousculent aux portes. Hydro-Québec a reçu des demandes totalisant 23 000 MW, dont 9000 pour l’hydrogène vert.

C’est beaucoup trop, selon le ministre.

« On ne peut pas en faire, de l’hydrogène, on n’a pas d’électricité […], on va en faire un peu quand même », avait dit M. Fitzgibbon, quand Hydro-Québec avait fait état de l’augmentation de la demande industrielle.

Points d’interrogation

Plusieurs questions risquent d’attendre les promoteurs, vendredi. On ignore, pour le moment, d’où viendra l’argent. Québec et Ottawa ne seraient pas impliqués directement dans le montage financier.

Fondée en 2019, Tree Energy Solutions est encore considérée comme une jeune pousse et sa filiale canadienne existe depuis à peine un an. En juillet 2022, Tree Energy Solutions était valorisée à environ 940 millions (700 millions d’euros), selon le Financial Times. Des institutions comme la banque britannique HSBC et le groupe financier italien UniCredit figurent parmi ses « partenaires et actionnaires ».

À travers le monde, ses projets sont toujours en phase de développement. Aux États-Unis, le propriétaire de TES Canada collabore entre autres avec le géant énergétique français Total pour potentiellement implanter un site de production de gaz naturel synthétique.

En Mauricie, la question de l’acceptabilité sociale risque de s’inviter rapidement dans l’espace public. L’électrolyseur d’hydrogène de l’entreprise, dont la capacité est estimée à 500 MW, doit être installé dans le parc industriel de Shawinigan, ce qui ne devrait pas, en principe, poser de problème.

Puisque les 150 MW qui doivent être fournis par Hydro-Québec seront insuffisants, les promoteurs voudraient ériger plus d’une centaine d’éoliennes – ce qui constituerait l’un des plus gros parcs du genre dans la province – dans un rayon d’une trentaine de kilomètres aux alentours de Shawinigan. Douze municipalités ont été identifiées et informées. Reste à voir comment leurs citoyens réagiront.

Joint au téléphone par La Presse, le maire de Shawinigan, Michel Angers, n’a pas voulu commenter les différents volets du projet. Il avait cependant de la difficulté à contenir son enthousiasme vis-à-vis de l’annonce prévue vendredi.

« Ça fait très longtemps que ce n’est pas arrivé [l’annonce d’un tel projet], a dit M. Angers. Ça sera fort intéressant. Tous nos terrains sont réservés pour des projets d’efficacité énergétique. Vendredi, ça sera un premier départ. »

Deux volets

Le complexe québécois de TES Canada devrait comporter deux volets. Il y aura la production d’hydrogène vert ainsi que de gaz naturel synthétique « renouvelable et 100 % vert ». On ignorait, au moment d’écrire ces lignes, les quantités qui seraient produites.

Énergir est un client potentiel pour ce gaz naturel synthétique, d’après les informations colligées par La Presse. Il serait acheminé à des clients industriels du distributeur québécois par l’entremise de son réseau, qui alimente le parc industriel de Shawinigan.

« Le projet permettrait à Énergir d’accéder à la complémentarité des usages de l’hydrogène vert en produisant, notamment, un important volume de gaz naturel renouvelable de troisième génération afin d’accélérer la mise en œuvre de cette avenue innovante, affirme Énergir, dans un courriel. Nous ne commenterons pas davantage pour le moment. Nous serons toutefois présents vendredi pour expliquer notre rôle dans ce projet. »

TES Canada est dirigée par Éric Gauthier, un ancien cadre chez Power Corporation responsable des investissements privés dans le secteur de l’énergie renouvelable. Au côté de Mme Chrétien Desmarais chez les administrateurs, on retrouve notamment Robert Tessier, ex-président du conseil d’administration de la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ) et ex-président et chef de la direction de Gaz Métro (l’ancien nom d’Énergir).

Les cofondateurs de Tree Energy Solutions, Marcel Van Poecke et Paul Van Poecke, siègent également au conseil d’administration de TES Canada. Ces derniers se présentent comme deux hommes d’affaires ayant plus de trois décennies d’expérience dans le secteur énergétique, où ils ont occupé de nombreux postes de direction.

Avec la collaboration de Tommy Chouinard, La Presse

En plus de TES Canada en Mauricie, la filière hydrogène compte d’autres promoteurs.

Hy2gen

La Caisse de dépôt et placement du Québec est actionnaire de cette entreprise allemande qui veut construire à Baie-Comeau une usine de 1 milliard de dollars pour fabriquer de l’hydrogène et des biocarburants, comme l’ammoniac vert et le kérosène-éthanol. La réalisation du projet, prévue pour 2026, a été retardée à 2028 en raison du manque de disponibilité de l’électricité. Pour augmenter ses chances d’obtenir les 300 mégawatts d’électricité dont elle a besoin, Hy2gen a changé de stratégie. Sa production, à l’origine destinée à l’exportation, sera consacrée au marché québécois et ontarien.

Recyclage Charbone Varennes

Recyclage Charbone Varennes veut alimenter sa future usine de biocarburants de Varennes avec de l’hydrogène vert. Hydro-Québec, qui avait accepté de se lancer elle-même dans la production d’hydrogène pour alimenter l’usine, a changé d’idée et s’est retirée du projet de construction d’un électrolyseur destiné à l’usine. Recyclage Charbone Varennes, un projet de 1 milliard de dollars, a confié à l’entreprise américaine Cummins le contrat de construction du système d’électrolyse qui alimentera l’usine dont le début des activités, maintes fois reporté, est prévu pour 2025.

Charbone Hydrogène

La première usine d’hydrogène vert de Charbone Hydrogène est actuellement en construction à Sorel-Tracy. Il s’agit de la première phase d’une installation qui en comptera éventuellement cinq et qui devrait être en production l’an prochain. Il s’agit d’installations modulaires et évolutives qui n’ont pas les mêmes besoins importants en électricité que les autres projets. La future production de Charbone à Sorel-Tracy est déjà vendue à Superior Propane pour les besoins de ses clients industriels qui utilisent déjà de l’hydrogène dans leurs procédés et qui veulent le remplacer par de l’hydrogène vert.

En savoir plus
  • 800 000 tonnes
    Quantité de GES que le projet en Mauricie pourrait éliminer annuellement au Québec
    TES CANADA
    1000
    Nombre d’emplois en Mauricie créés par la phase de construction du projet
    TES CANADA