Je ne connais personne qui traîne ses relevés de carte de crédit pour les dévorer au chalet, à la plage ou dans le métro. Les romans ont la réputation d’être plus captivants et divertissants. Pourtant, regarder ligne par ligne ses achats du dernier mois peut autant donner la frousse qu’un polar bien ficelé… en plus d’être payant.

Sébastien, qui n’a pas l’habitude de lire ses relevés, peut en témoigner. En avril 2022, il a mis fin à son contrat avec Bell pour l’internet et la téléphonie résidentielle. Il a retourné ses appareils et reçu la confirmation de leur réception. En mai de cette année, un courriel de Bell l’a intrigué : on l’informait qu’il avait un montant en souffrance de 404 $.

C’est ainsi qu’il a découvert que l’entreprise n’avait jamais cessé de le facturer. Les deux derniers paiements avaient toutefois rebondi parce que la date d’expiration de sa carte de crédit avait changé. En tout, il a payé 1064,21 $ en trop.

Naïvement, Sébastien pensait être remboursé sur-le-champ par Bell, qui a reconnu son erreur. « Ils m’avaient même appelé quatre fois pour me retenir », m’a raconté Sébastien.

C’est un cas classique de main droite qui ne parle pas à la gauche. Mais Bell voulait négocier une entente plutôt que de rembourser la somme au complet. On lui a d’abord proposé 400 $. Puis 600 $. L’ex-client voulait ravoir tout son argent, même s’il admet avoir été « nono » de ne pas regarder son relevé.

En négligeant cette bonne habitude, qui ne prend que quelques minutes par mois, on prend en effet des risques. Inutilement. Celui des prélèvements non autorisés. Mais aussi celui d’avoir été fraudé.

C’est arrivé à Patrick, qui a découvert sur son relevé de Mastercard qu’il avait commandé des dizaines de repas sur Uber Eats au cours des mois précédents. Facture totale : 1200 $. Pourtant, ce n’est pas du tout dans ses habitudes. C’est « en panique » qu’il a contacté sa carte de crédit. Le Montréalais a alors appris que la nourriture avait été achetée à San Francisco et à Amsterdam. Il n’y avait pas mis les pieds.

Sa banque lui a remboursé presque tous les montants frauduleux, qui passaient inaperçus grâce à leur petitesse, soit entre 20 $ et 60 $. Patrick regarde son solde avant de le payer, mais ne fait pas le tour de chaque dépense, sauf si le total est plus haut que d’habitude. « Une fraude de 1000 $ ou 2000 $, ça paraît, mais des petits 40 $ par-ci par-là, ça passe sous le radar », résume Patrick. Certaines transactions, effectuées depuis plus de 90 jours, ne lui ont pas été remboursées compte tenu des délais standards pour la rétrofacturation. Il a eu sa leçon !

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Il existe de bonnes raisons pour lire ses relevés (et regarder les mouvements dans son compte bancaire) : prendre conscience de ses dépenses plus ou moins essentielles, celles qui pourraient être réduites.

Pour conclure l’histoire de Sébastien, il a fini par être remboursé en entier. Les démarches n’ont pris que quelques jours, mais ce fut quand même plus long que la lecture de relevés mensuels. Et cette histoire l’a assez frustré pour qu’il m’en parle.

Selon deux avocates en droit de la consommation que j’ai consultées, le géant des télécommunications n’avait tout simplement pas de cause. Il s’est enrichi de façon injustifiée et ne pouvait tenir son ex-client responsable de ses malheurs en raison de sa négligence, même si elle s’est étirée sur presque une année.

Voilà qui est bon à savoir si jamais on tente de vous faire porter le blâme de votre incurie.

Si l’histoire de Sébastien s’est réglée assez vite, récupérer son dû peut être plus pénible. Pierre m’a écrit au sujet de Spotify. L’entreprise continuait de le facturer, même s’il avait mis fin à son abonnement. Son premier réflexe a été de demander à American Express de ne plus payer le service de musique en continu. Sa demande a été refusée.

Je pensais bien innocemment, comme j’imagine la plupart des gens, que j’étais maître des paiements que j’effectue. Malheureusement pour moi, American Express m’a expliqué qu’ils ne pouvaient pas changer ce paiement sans l’accord du commerçant.

Pierre

On peut comprendre que le contrat signé avec un commerçant doit être rompu avec ce commerçant. Cela dit, joindre Spotify s’est avéré compliqué puisqu’il fallait passer par le compte… compte que Pierre n’avait plus. Le site web cachait finalement une autre façon d’entrer en communication, mais encore là, ces démarches ont pris du temps.

Il existe une autre bonne raison pour lire ses relevés (et regarder les mouvements dans son compte bancaire) : prendre conscience de ses dépenses plus ou moins essentielles, celles qui pourraient être réduites. Aussi, combien de personnes paient pour des abonnements qu’ils ont oubliés, comme mon collègue Karim Benessaieh qui a économisé 1400 $ en faisant une heure de ménage.1 Il y a aussi tous ces services et jeux gratuits le premier mois qui cessent de l’être avant qu’on ait pensé à les annuler.

Je suis une grande adepte des paiements préautorisés depuis au moins deux décennies. Toutes mes factures récurrentes (sauf Hydro-Québec) passent automatiquement sur ma carte de crédit, et le solde entier de ma carte de crédit est prélevé dans mon compte de banque. Cela limite mes dépenses potentielles et m’évite la gestion de paperasse… hormis la lecture systématique et ligne par ligne de mon relevé.

Même si l’on sait fort bien qu’il est risqué de payer quoi que ce soit sans regarder, la vigilance est une habitude que certains trouvent difficile. C’est un peu comme la soie dentaire, j’imagine. On sait ce qui est bon pour nous, mais on préfère mettre notre temps ailleurs.

1. Consultez l’article « Abonnements numériques : comment j’ai économisé 1400 $ en une heure »