Une fois encore, le dernier budget fédéral a été foisonnant en termes de nouvelles mesures et de dépenses additionnelles dans tous les secteurs d’activités, à un point tel qu’il devient même difficile de faire la recension complète de tous les éléments qui viennent bon an, mal an grossir l’arsenal des programmes fédéraux.

De tout ce chapelet de mesures qui ont été annoncées mardi, il y en a une qui a retenu mon attention malgré le fait qu’elle n’avait aucun potentiel de faire les manchettes.

Je parle ici de la création d’un bureau des chaînes d’approvisionnement qui relèvera de Transports Canada pour mieux coordonner et renforcer la fiabilité de la chaîne d’approvisionnement des transports du Canada. Il est question ici d’une initiative qui coûtera 27,2 millions sur cinq ans.

On est loin ici des dizaines de milliards pour la santé, la transition énergétique ou les soins dentaires aux moins nantis, mais la chaîne d’approvisionnement des transports du Canada a besoin de soins, et de façon urgente.

Considérablement perturbées par la pandémie, l’invasion de l’Ukraine par la Russie, le refroidissement de nos relations commerciales avec la Chine ou même les conditions météorologiques extrêmes, les chaînes d’approvisionnement ont été passablement éprouvées au cours des trois dernières années.

C’est durant la sortie de pandémie, en mars 2022, qu’un groupe de travail a été formé en vue de faire des recommandations au gouvernement fédéral pour réinstaurer une plus grande fluidité dans le transport des personnes et des marchandises au pays.

Coprésidé par Jean Gattuso, ex-PDG des Industries Lassonde, et Louise Yako, ex-présidente de l’Association du camionnage de la Colombie-Britannique, ce Groupe de travail national sur la chaîne d’approvisionnement a déposé son rapport à l’automne et certaines de ses recommandations ont été adoptées mardi dans les nouvelles mesures budgétaires.

Le bureau des chaînes d’approvisionnement encadrera notamment un programme conjoint de 25 millions sur cinq ans avec Statistique Canada pour générer des données qui permettront de mieux planifier et coordonner au quotidien les activités des différents acteurs de la chaîne (expéditeurs, transporteurs, logisticiens) et les infrastructures (ports, aéroports, chemin de fer et autoroutes).

Il s’agit ici des premiers jalons de la Stratégie nationale sur la chaîne d’approvisionnement du Canada qui sera dévoilée dans les prochains mois et qui s’appuiera sur les recommandations du Groupe de travail national.

« On n’a pas de données pour faire le suivi entre les différents organismes réglementaires fédéraux qui encadrent le transport et les marchandises », explique Jean Gattuso.

« Ce n’est pas normal qu’un conteneur qui transporte des denrées alimentaires reste stationné une semaine pour être dédouané ou en attente du passage d’un inspecteur des aliments alors qu’il est attendu le lendemain dans une usine de transformation. Avec des données, on va pouvoir bâtir des indicateurs de performance. »

Une économie commerçante

L’importance de renforcer et de moderniser la chaîne d’approvisionnement canadienne n’est pas difficile à démontrer. L’économie du pays repose sur sa capacité de pouvoir commercer, son avenir en dépend, comme une multitude d’emplois d’ailleurs.

En 2021, le commerce international a représenté 61 % du produit intérieur brut canadien pour totaliser 1 240 milliards. À eux seuls, les échanges entre le Canada et les États-Unis ont représenté 774 milliards, ou 62 % des échanges commerciaux totaux du Canada (476 milliards en exportations et 298 milliards en importations).

Le transport routier accapare 50 % du commerce des marchandises importées et exportées au Canada contre 23 % pour le transport maritime, 15 % pour le transport aérien et 12 % pour le transport ferroviaire. Ces activités représentaient 3,6 % du PIB canadien en 2021 pour totaliser 72 milliards.

Il faut qu’il y ait une meilleure communication, un meilleur partage de l’information, une meilleure visibilité entre chacun de ces acteurs pour assurer une meilleure cohésion.

Jean Gattuso, coprésident du Groupe de travail national sur la chaîne d’approvisionnement

Si la chaîne d’approvisionnement semble moins pressurisée depuis quelques mois, c’est essentiellement en raison du ralentissement économique. Il faut être en mesure de faire face à une augmentation des volumes et de pouvoir préserver la chaîne lors d’évènements extrêmes comme les inondations en Colombie-Britannique, indique le rapport.

Il y a plusieurs défis qui se posent encore et qui risquent d’altérer la fluidité espérée du transport de marchandises au Canada, dont la pénurie de chauffeurs de camion qui se chiffre aujourd’hui à plus de 25 000 postes à combler sur l’ensemble du territoire canadien.

Outre les investissements récurrents qui doivent être faits dans les infrastructures comme les ports, les aéroports ou les autoroutes, le Groupe de travail souhaite que le pays se dote davantage de ports secs, comme celui qui verra le jour à Contrecœur, qui aura une plus grande capacité d’accueil de conteneurs et fera aussi office de centre de logistique.

Il faut surtout, rappelle le rapport, éliminer les règlements qui entravent le fonctionnement efficace de la chaîne d’approvisionnement et qui multiplient inutilement les inspections.

« Il faut voir l’économie du pays comme si c’était une grande usine plutôt que de sectoriser chacune des industries et chacun des acteurs de la chaîne. Il faut que tous communiquent ensemble de façon efficace et rapidement », souhaite le coprésident du Groupe de travail.