Ma boule de cristal est embrumée. Vraiment. Et visiblement, celle de bien des économistes aussi, y compris à la Banque du Canada.

Pour l’instant, notre banque centrale maintient stable son taux directeur, une première après les huit hausses de taux consécutives depuis mars 2022. Cette stabilité à 4,5 %, bien qu’attendue, devrait rassurer bien des consommateurs et entreprises, dont les dépenses d’intérêts ont explosé ces derniers mois.

Mais qu’arrivera-t-il ensuite ? Il n’y a pas si longtemps, on s’attendait à ce qu’un tel taux soit suffisant pour freiner le mal de l’heure, l’inflation. Bien des économistes prévoyaient même une baisse progressive de ce taux d’intérêt directeur vers la fin de 2023 et alléluia.

Or voilà, plusieurs signaux contradictoires viennent embrouiller les boules. Le communiqué de la Banque du Canada annonçant son taux stable est d’ailleurs une suite de phrases qui militent tantôt pour une hausse, tantôt pour une baisse de son taux.

Premier exemple : « Au Canada, la croissance économique a été nulle au quatrième trimestre de 2022, soit inférieur à la projection de la Banque [+ 1,3 % ]. » Signal sous-jacent de la Banque : la hausse du taux directeur a eu plus d’impact que prévu et il faut cesser.

Deuxième exemple : « L’emploi a progressé avec une force surprenante, le taux de chômage se maintient près des creux historiques et le nombre de postes vacants est élevé. » Signal de la Banque : attendez-vous à une hausse du taux directeur, question de freiner l’inflation que provoque la demande créée par l’emploi.

Troisième exemple : « L’inflation est descendue à 5,9 % en janvier, ce qui reflète les hausses plus modérées des prix de l’énergie, des biens durables et de certains services. » Signal décodé : une stagnation, voire une éventuelle baisse du taux directeur est à venir, vu le ralentissement de l’inflation.

Quatrième exemple : « La vigueur de la reprise en Chine et les répercussions de la guerre que la Russie mène à l’Ukraine demeurent d’importantes sources de risques à la hausse [du prix des produits de base]. » Signal cette fois : un bond du taux directeur est possible, vu l’effet haussier sur l’inflation.

Ces éléments ne sont pas les seuls à rendre incertaine la direction des taux d’intérêt. Mardi, le directeur de la banque centrale américaine, Jerome Powell, a déclaré que les taux pourraient augmenter davantage que prévu, étant donné la vigueur des récentes données économiques.

Le ralentissement souhaité allait bon train aux États-Unis jusqu’à la fin de 2022. Mais en janvier, il y a eu un fort rebond de la création d’emplois (517 000), jumelé à une croissance de 1,8 % des dépenses de consommation. Surtout, il y a eu un saut à 7 % de l’inflation mesurée par l’indice PCE (Personnal Consumption Expenditures), contre moins de 5 % au cours des 6 mois précédents.

Conséquence : le taux directeur aux États-Unis pourrait grimper de 75 points, voire de 100 points de base d’ici juillet, prévoit-on, alors que la banque centrale (la Federal Reserve) envisageait en décembre une hausse de seulement 50 points, suivie d’une pause, comme au Canada. Aux États-Unis, le taux est exprimé dans une fourchette, actuellement de 4,5 % – 4,75 %, donc semblable au Canada.

La direction américaine et canadienne des taux peut différer un peu (voir le texte d’Hélène Baril). Et d’autres indicateurs au Canada, comme la chute du prix des denrées et la baisse des profits des entreprises, favorisent une stabilité, voire un recul de notre taux directeur. Il reste qu’il n’est pas encore clair que l’inflation est suffisamment maîtrisée pour dire adieu aux hausses de taux.

Prochain gros test pour la Banque du Canada (et pour les économistes) : les données de l’emploi de février qui seront publiées dès vendredi (10 mars). La plupart des économistes prévoient une stagnation, sinon une baisse qui pourrait atteindre 25 000 pertes d’emplois, par exemple.

S’il fallait que Statistique Canada rapporte plutôt une forte création d’emplois, semblable à celle de janvier (150 000), on peut imaginer que la Banque du Canada devrait de nouveau envisager de rehausser son taux. Une telle augmentation aurait des effets sur l’économie de 2024, vu les délais pour ses impacts.

« Plus que jamais, la politique monétaire de la Banque est tributaire des données économiques courantes », me dit l’économiste en chef de la Banque Nationale, Stéfane Marion.

La Banque du Canada écrit d’ailleurs dans son communiqué qu’elle « se tient prête à relever encore le taux directeur si cela est nécessaire pour ramener l’inflation à la cible de 2 % ».

Personnellement, je parierais sur une stabilité des taux au cours des prochains mois au Canada. Mais comme ma boule est embrouillée, je ne parierai pas trop d’argent…