La Banque du Canada a maintenu mercredi son taux directeur à 4,5 % et prend un temps d’arrêt pour observer l’impact de ses huit hausses précédentes sur l’économie canadienne. Pendant ce temps, aux États-Unis, la Réserve fédérale laisse entendre que d’autres augmentations sont à prévoir pour venir à bout d’une inflation persistante. Les deux pays peuvent-ils prendre des chemins différents, et quel serait l’impact ?

L’affaiblissement du dollar canadien risque-t-il d’alimenter l’inflation ?

Oui. Le dollar canadien est actuellement déprécié par rapport à la devise américaine et sa faiblesse devrait s’accentuer si les taux d’intérêt restent à leur niveau actuel au Canada et continuent d’augmenter aux États-Unis. Cette dépréciation alimentera l’inflation au Canada, puisque les importations coûteront plus cher. Le prix du pétrole augmentera avec le taux de change Canada–États-Unis, ce qui se répercutera à la pompe et dans le coût de transport d’un grand nombre de produits. Le prix des légumes frais, importés massivement du Mexique et de la Californie, devrait augmenter aussi, de même que le coût des vacances sur les plages d’Ogunquit.

« C’est contre-productif dans la lutte contre l’inflation, mais l’effet inflationniste de la baisse du dollar peut être compensé par l’augmentation des exportations », explique Jocelyn Paquet, économiste de la Banque Nationale.

Un dollar faible accroît l’intérêt pour les produits du Canada à l’étranger et contribuerait à soutenir l’économie au moment où elle en a besoin.

Pour le Canada, qui est un pays exportateur, l’impact net pourrait être positif, selon lui.

Il reviendra à la Banque du Canada de trouver un équilibre entre ces pièces mouvantes de l’échiquier économique. « Il y aura des arbitrages à faire, dit Steve Ambler, membre de la chaire David Dodge en politique monétaire, professeur de l’Université du Québec à Montréal. C’est sûr que la Banque du Canada va surveiller le prix des importations. Il n’y a pas une solution possible, seulement des arbitrages. »

Est-ce que le Canada doit augmenter ses taux d’intérêt en même temps que les États-Unis ?

Non, dit Steve Ambler. « Le Canada est un pays indépendant, avec un taux de change flexible, ce qui lui permet d’avoir une politique monétaire indépendante de celle des États-Unis. »

Ça ne veut pas dire que la politique monétaire des États-Unis n’a pas d’impact au Canada, « mais ça veut dire qu’on n’a pas à suivre bêtement ce que fait la Fed, parce que l’inflation diminue plus rapidement ici qu’aux États-Unis ».

Le taux directeur de la Fed est actuellement dans la fourchette de 4,5 % à 4,75 % et devrait augmenter encore le 21 mars.

La Banque du Canada n’a pas besoin d’imiter la Réserve fédérale parce qu’elle n’a pas besoin d’aller aussi loin dans les hausses de taux pour ralentir l’économie, estime de son côté Jocelyn Paquet. « Les secteurs les plus sensibles à l’augmentation des taux d’intérêt, comme l’immobilier, sont plus importants au Canada qu’aux États-Unis et réagissent plus rapidement aux hausses de taux. »

Suivre la Fed signifierait donc infliger plus de dommages que nécessaire pour ramener l’inflation à la cible de 2 %, juge-t-il.

Qu’est-ce qui se passe si les politiques monétaires des deux pays divergent ?

Ce serait loin d’être un précédent, explique Jocelyn Paquet. Depuis 1995, ses collègues et lui ont relevé plusieurs périodes au cours desquelles les taux d’intérêt étaient plus bas au Canada qu’aux États-Unis, de 75 ou même de 100 points de base, ce qui n’a pas laissé trop de mauvais souvenirs de ce côté-ci de la frontière.

Des taux plus élevés aux États-Unis auraient pour effet d’affaiblir le dollar canadien, puisque les investisseurs seraient attirés par ces taux plus élevés.

Cette éventualité ne semble pas trop inquiéter la Banque du Canada, si on se fie à ce que disait à ce sujet le sous-gouverneur Paul Beaudry, dans son discours du 10 février dernier. Si le dollar canadien baisse, les exportations canadiennes seront plus attrayantes pour les acheteurs étrangers, les profits des entreprises augmenteront et l’embauche aussi, a-t-il résumé. « Nous ne devrions pas trop nous inquiéter si la route que le Canada emprunte pour revenir à la normalité s’avère légèrement différente de celle suivie par ses partenaires commerciaux. L’important, c’est que nous arrivions à destination », a affirmé le sous-gouverneur.

La banque centrale est prête à un certain écart de taux, mais il y a probablement « une limite quelque part », selon la Banque Nationale. « Avec un différenciel de taux directeurs de 150 points de base ou plus, la Banque du Canada deviendrait certainement plus anxieuse », analysent les économistes Taylor Schleich et Warren Lovely.

Qu’est-ce que la Banque du Canada surveille ?

Le gouverneur de la Banque du Canada, Tiff Macklem, le dit souvent, beaucoup de choses l’empêchent de dormir. L’écart de taux entre le Canada et les États-Unis en est une.

La vigueur étonnante du marché de l’emploi, qui continue de soutenir la demande et les prix des biens et services, continue aussi d’étonner la banque centrale. On saura vendredi si le marché du travail est resté solide en février, après la création de 150 000 emplois en janvier. La banque centrale s’inquiète notamment de la hausse moyenne du salaire horaire, qui se maintient entre 4 % et 5 %, ce qui est incompatible avec le retour de l’inflation à la cible de 2 %.

Un autre sujet de préoccupation est l’intention des entreprises de continuer à augmenter leurs prix, souligne l’économiste en chef de la Banque Laurentienne, Sébastien Lavoie. Un sondage de Statistique Canada publié la semaine dernière indique que le tiers des entreprises veulent augmenter leurs prix dans les prochains mois, une proportion qui ne diminue pas.

Dans son communiqué qui fait part de son intention de maintenir son taux directeur à 4,5 %, la banque centrale dit s’attendre à ce que le ralentissement de l’économie rende plus difficile pour les entreprises la décision de répercuter leurs hausses de coûts sur les prix à la consommation.