Le prix des aliments préoccupe grandement les Canadiens, avec raison. Les circonstances les ont incités à croire que l’« escroflation » était à l’origine de cette hausse des prix. En réalité, le Canada n’a pas su au fil des ans offrir un marché attrayant pour les investisseurs et nos épiciers en ont profité.

Le fait que les PDG des grandes chaînes d’alimentation se présentent à Ottawa pour témoigner devant le Comité parlementaire permanent de l’agriculture ce mercredi n’est rien d’autre que du théâtre politique. Peu de choses en résulteront. Pourtant, pour le bien des Canadiens, les PDG devaient montrer leur visage.

L’inflation alimentaire que nous connaissons relève d’un phénomène mondial, principalement provoqué par les problèmes de la chaîne d’approvisionnement, les coûts de l’énergie, la hausse du prix des matières premières et le changement climatique. Le Royaume-Uni, au sixième rang des pays les plus riches du monde, connaît des pénuries alimentaires dans de nombreuses régions du pays. En comparaison, la situation du Canada ne fait pas si mauvaise figure.

À la défense des enseignes, les marges d’exploitation de tous les épiciers au Canada demeurent dans les normes de l’acceptabilité, entre 4,3 % et 6,2 %. Metro a le plus haut taux à 6,16 %. Les ventes de produits alimentaires de Loblaw au dernier trimestre ont augmenté de 8,4 %, restant sous le taux d’inflation alimentaire de notre pays. Les catégories non alimentaires comme les cosmétiques, les médicaments sur ordonnance et les vêtements font augmenter les ventes et les profits.

Mais la plupart des Canadiens ou des politiciens ne prennent pas la peine de regarder les bilans ou les données d’ailleurs. On a donné une dimension politique incroyablement forte à l’inflation alimentaire et le scepticisme n’a fait que croître en conséquence, en particulier au cours des 12 derniers mois.

De bonnes questions à poser

Cela dit, le public canadien a parfaitement le droit d’être cynique à l’égard de l’industrie. Le système de fixation des prix du pain est devenu le symbole de l’arrogance des entreprises du secteur. Après avoir enfreint la loi pendant 14 ans, Loblaw et ses dirigeants ont obtenu l’immunité d’une autorité indépendante du gouvernement fédéral, le Bureau de la concurrence, et l’enquête reste toujours en cours après huit ans. Incroyable…

Au-delà de l’artifice politique, la séance avec les PDG pourrait revêtir un certain sens, si l’on pose les bonnes questions. D’une part, les PDG doivent démontrer de la transparence sur le montant des bénéfices générés spécifiquement par les ventes de produits alimentaires. Certaines questions relatives à la période du « blackout » sont également justifiées. De novembre à février, les épiciers n’ont historiquement pas accepté les augmentations de prix des vendeurs. Certains ont fait valoir que les fournisseurs augmenteraient régulièrement les prix avant et après la période d’interdiction, ce qui, dans une certaine mesure, pourrait ouvrir la porte à une certaine fixation des prix dans l’industrie. Difficile de voir comment les consommateurs peuvent y gagner.

L’autre problème réside dans notre paysage concurrentiel de la distribution alimentaire. Nous avons perdu beaucoup d’épiciers indépendants au fil des ans au Canada. Même si les marges d’exploitation demeurent stables dans le secteur de l’épicerie au pays, elles représentent le double de celles des États-Unis. Celles de Kroger et d’Albertson atteignent à peine à 2 %. La façon de rendre notre industrie de l’alimentation au détail plus concurrentielle devrait devenir une priorité pour les membres du comité.

En conséquence, beaucoup pensent que le nouveau code de conduite des épiciers aidera l’industrie à devenir plus concurrentielle. L’idée du code vise à contrebalancer le pouvoir dont certains épiciers disposent, et à apporter plus d’équité dans les négociations pour les épiciers indépendants et les fabricants de produits alimentaires. Les PDG doivent indiquer clairement s’ils soutiennent ou non cette initiative. Les Canadiens tireraient sans aucun doute profit d’un code énergique qui agit avec autorité.

Mais la dure réalité au Canada est que le pays ne possède pas l’attractivité nécessaire pour intéresser les investisseurs étrangers, sauf si vous êtes Walmart ou Target, et nous savons ce qui s’est passé avec Target en 2015. Une sortie brutale. Des coûts de main-d’œuvre plus élevés, un taux de productivité plus faible, des impôts élevés, une réglementation déséquilibrée entre les provinces, des barrières commerciales interprovinciales et l’immensité géographique de notre territoire ne font qu’ajouter une complexité encore plus sous-estimée à la question de la concurrence. Lidl et Aldi, les principaux épiciers au rabais, ont songé à investir au Canada pendant des années, mais l’économie de la distribution alimentaire n’a guère de sens pour une expansion vers le nord, du moins pas pour le moment.

Pendant des mois, les Canadiens ont critiqué, voire attaqué les épiciers, en les tenant responsables de leurs mésaventures à l’épicerie. Aussi impopulaire qu’elle puisse être en ce moment, cette ligne de raisonnement reste assez linéaire et impulsive. Le non-sens de l’« escroflation » n’aide tout simplement pas. Si les épiciers se présentent à Ottawa devant le comité, nous devrions simplement rester calmes et écouter ce qu’ils ont à dire.