L’efficacité des sanctions économiques demeure contestée depuis des décennies par les chercheurs. Leur mise en œuvre sert principalement à éviter la guerre et les pertes humaines. Le Canada a utilisé cette approche avec la Russie, mais ce faisant, il a commis une erreur qui a fini par coûter des millions de dollars à nos propres agriculteurs.

Ottawa a récemment annoncé que les revenus tarifaires perçus auprès des agriculteurs canadiens ayant acheté des engrais russes et biélorusses cette année seront acheminés vers l’Ukraine pour reconstruire les infrastructures. En mars, le Canada était le seul pays du G7 à imposer des droits de douane sur les engrais russes et biélorusses après l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Sur les 115 millions de dollars envoyés en Ukraine, 34 millions de dollars provenaient de nos propres agriculteurs qui ont acheté des engrais russes, selon Statistique Canada. À la hâte, Ottawa vient d’annoncer en fin de semaine qu’il indemniserait les agriculteurs, mais rien n’est encore officiel.

Des droits de douane imposés sur les engrais associés au régime russe dans le cadre d’une série de sanctions de représailles contre le gouvernement Poutine ont gonflé les coffres. Bien sûr, nous devrions tous nous réjouir qu’Ottawa envoie cette somme à l’Ukraine. Le peuple en a grandement besoin. Mais au sein de la communauté agricole, apprendre que 34 millions de ces dollars proviennent de nos agriculteurs sème la grogne. La pilule passe très mal.

En mars, les sanctions se sont instaurées si rapidement que les agriculteurs n’ont pas pu acheter des engrais auprès d’une autre source. Ils ont dû payer ces droits de douane.

L’azote, le phosphore et le potassium représentent les trois éléments nutritifs principaux dans les engrais commerciaux. Les agriculteurs s’approvisionnent souvent différemment pour chacun d’eux. La plupart des engrais azotés au Canada proviennent de la Russie, qui a toujours été la source d’approvisionnement la moins chère pour nos agriculteurs. Le phosphate nous vient généralement des États-Unis ou du Maroc. Le potassium, issu de la potasse, vient de l’Ouest canadien. Compte tenu des tarifs, l’azote devra probablement s’acheter d’une autre source l’année prochaine.

Ces sanctions fonctionnent-elles vraiment ? D’abord, les sanctions doivent être punitives. Pour les tarifs sur les engrais russes, rien ne prouve que les entreprises russes aient été affectées. En fait, l’agriculture russe a à peine subi les contrecoups du conflit ou les sanctions qui ont suivi. D’ailleurs, l’agriculture russe a connu l’une de ses meilleures années. La Russie devrait être le plus grand exportateur de blé au monde en 2022 et en 2023.

Pendant des décennies, les économistes ont étudié l’efficacité des sanctions économiques. Au fil des ans, la théorie et la recherche sur le sujet n’ont représenté qu’un simple exercice statistique et n’ont apporté aucun éclairage pour guider l’élaboration de politiques. Le principal constat qui ressort des recherches sur l’efficacité des sanctions se résume ainsi : le succès ne devient possible que lorsque les attentes sont aux mieux modestes. Les sanctions concernent principalement la politique.

Quand Ottawa a mis en place des sanctions, cela a permis aux Canadiens de se sentir bien sans aller à la guerre. C’est à cela que servent les sanctions, rien de plus, rien de moins.

La Russie reste économiquement stable, qu’on le veuille ou non. Le taux d’inflation alimentaire en Russie a atteint 20 % en avril 2022, pendant un mois. Depuis lors, les taux de l’inflation générale et de l’inflation alimentaire ont chuté de façon spectaculaire pour correspondre à peu près aux taux de l’Amérique. Alors que le taux d’inflation alimentaire de la Russie se chiffrait à 11,1 % en novembre, celui des États-Unis affichait 10,6 %. La France, les Pays-Bas, le Royaume-Uni et l’Allemagne enregistraient tous des taux d’inflation alimentaire plus élevés. Tous ces pays ont instauré des sanctions contre la Russie. Quelle ironie !

Ottawa a fait ce qu’il fallait pour instaurer des sanctions contre la Russie, mais les répercussions de certaines de ces mesures n’ont été estimées qu’à moitié ou à très court terme. Avec les tarifs sur les engrais, Ottawa a déshabillé Pierre pour tenter d’habiller Paul, car aucun dommage n’a affecté la Russie. Les sanctions véhiculent des messages puissants, mais forcer les agriculteurs à payer plus pour les intrants mettra non seulement en péril la viabilité financière des petites fermes canadiennes, mais pourrait également compromettre notre propre sécurité alimentaire.

Voilà ce qui se produit lorsqu’un gouvernement fédéral se laisse guider par la politique urbaine et fait la sourde oreille aux questions touchant l’agriculture. Malgré son obsession de faire des gains politiques, Ottawa ne devrait jamais le faire sur le dos de ses propres agriculteurs.