Le type est président du C.A. d’un organisme qui gère une cinquantaine de logements sociaux dans une grande ville du Québec. Et son histoire, dérangeante, laisse planer un doute sur la liste d’attente des ménages pour des logements subventionnés, qui comprendrait 37 000 noms.

Le problème de mon interlocuteur ? Il est incapable de trouver des ménages démunis pour habiter la part des logements de son organisme qui sont subventionnés par le gouvernement.

Son témoignage fait penser à cette autre affaire que j’ai publiée en janvier, où je racontais les difficultés de la bourgade de Petit-Saguenay de louer ses HLM, vides depuis plusieurs années.

Lisez la chronique « Incapable de remplir des HLM vides en région »

Cette fois, il n’est pas question de vieux HLM d’une région éloignée et dévitalisée, mais de logements AccèsLogis assez récents construits dans une grande ville hors Montréal avec un généreux financement de la Société d’habitation du Québec (SHQ). La cinquantaine de logements est la propriété d’un organisme à but non lucratif (OBNL).

En plus d’avoir financé la construction, la SHQ subventionne les ménages de plusieurs des logements de la propriété pour qu’ils ne paient pas plus de 25 % de leurs revenus bruts en loyer. Cette subvention est versée avec le programme Supplément au loyer – appelé PSL – et procure au locataire l’équivalent d’un logement HLM.

Or voilà, malgré ses efforts, l’OBNL est incapable de trouver des locataires démunis pour une dizaine des logements admissibles à une subvention. « Quand ils disent qu’il y a tout plein de logements qui manquent, j’ai des doutes que les chiffres soient si représentatifs de la réalité », dit-il.

La source tient à garder l’anonymat, car elle veut éviter d’envenimer inutilement ses relations avec l’Office municipal d’habitation locale, entre autres. Et elle n’est pas autorisée par son C.A. à dévoiler publiquement ce que vit son OBNL.

Son expérience sur le terrain lui fait douter qu’il y ait réellement 37 000 ménages sur la liste d’attente d’un logement social au Québec. Dans une autre chronique, rappelez-vous, j’expliquais que l’équivalent de 7000 logements sociaux PSL sont inutilisés, soit 1 sur 7. Ou, plus précisément, que les fonds pour subventionner ces logements sont disponibles, mais non alloués pour toutes sortes de raisons.

Lisez la chronique « L’équivalent de 7000 HLM inutilisés au Québec »

Ce président d’OBNL se plaint d’abord des procédés à suivre avec l’Office municipal d’habitation local pour louer un logement subventionné. L’Office fournit une liste de candidats admissibles au compte-gouttes, genre quatre ou cinq à la fois.

Le hic, c’est que bien souvent, les renseignements sur la liste sont périmés. Les ménages ont déménagé, changé de numéro de téléphone ou encore trouvé un logement qu’ils ne veulent pas quitter.

Pour remédier au problème, des membres de l’OBNL ont cherché eux-mêmes des locataires, bénévolement, en faisant le tour des organismes communautaires locaux, mais sans succès. Par délicatesse, l’OBNL ne veut pas faire de la publicité dans les médias ou sur Facebook, question de ne pas stigmatiser les futurs locataires dans l’immeuble.

L’OBNL a parfois trouvé des ménages admissibles, mais les réponses ont été décevantes. L’étage proposé ne convenait pas, quand ce n’était pas le quartier. Le logement était trop loin de l’école. Le ménage ne voulait pas s’impliquer minimalement dans l’OBNL.

« C’est malheureux, car je suis convaincu que des gens ont besoin de logement. Mais peut-on repenser au système avant de construire des logements sociaux, du moins hors Montréal ? Peut-on mieux organiser la liste d’attente, la tenir à jour ? », m’explique cette personne.

Au Québec, il n’y a aucune base de données centralisée regroupant l’ensemble des ménages en attente d’un logement social ou abordable, a rappelé le Vérificateur général du Québec dans un rapport d’octobre 2020. Il n’est donc pas possible d’avoir un portrait clair de la situation qui permettrait de bien évaluer les besoins pour les projets financés par la SHQ.

Le précédent gouvernement libéral avait demandé de mettre sur pied un guichet informatisé pour centraliser l’information et aider les ménages et les intervenants, mais le projet est tombé à l’eau en 2018.

Pour l’OBNL de notre interlocuteur, la situation est embêtante. Faute de preneurs démunis, la dizaine de logements disponibles (des 3 ½, 4 ½ et 5 ½) ont été loués à des locataires « réguliers », qui pourraient tout aussi bien faire 30 000 $ de revenus annuels que 250 000 $.

« Je trouve enrageant qu’on ne loue pas à des gens dans le besoin, surtout que la propriété a bénéficié d’une subvention de la SHQ pour la construction », dit-il.

Dernièrement, la SHQ a rehaussé de 30 % le revenu à partir duquel un ménage peut être admissible à un HLM pour les régions qui n’ont pas de liste d’attente. Ce redressement ne s’applique toutefois pas aux logements subventionnés avec un PSL.

« La mixité sociale est une formule qui fonctionne. Par contre, l’accès aux personnes qui ont besoin de ces logements est tellement problématique que plusieurs perdent leurs chances […] Le gouvernement et l’Office municipal pourraient faciliter l’accès à la fameuse liste, ce serait un minimum », fait valoir ma source.

Au début de février, la ministre de l’Habitation, Andrée Laforest, a lancé un nouveau programme de financement des logements abordables, appelé PHAQ. Dans ce cas, le programme n’exigera pas qu’un minimum de ces logements soit loué à des locataires subventionnés PSL, comme dans le cas décrit plus haut.

Et les projets pourront aussi être soumis par les promoteurs privés, pas seulement par des coops et OBNL. On verra ce que ça donne, mais chose certaine, on pourrait faire mieux…

Lisez l’article « Des logements abordables en construction dès l’été »