Une part importante des fonds mis à la disposition du logement social est inutilisée, représentant l’équivalent de 7000 HLM, ai-je découvert en analysant les données de la Société d’habitation du Québec (SHQ).

Ce nombre élevé a de quoi surprendre, sachant que 37 000 ménages au Québec sont en attente d’un HLM ou de son équivalent, soit un logement admissible au Programme supplément au loyer (PSL).

Les fonds qui dorment dans les tiroirs de Québec avoisinent les 30 millions de dollars, peut-on estimer, et ils pourraient combler près de 20 % de la liste d’attente1.

Comment expliquer une telle disponibilité dans le contexte actuel du marché immobilier ? Les raisons sont nombreuses, mais pour l’essentiel, il y aurait une inadéquation entre les logements disponibles et les besoins des ménages, en plus d’une possible inefficacité dans la gestion des enveloppes de subventions.

Au début de 2021, plus précisément, la Société d’habitation du Québec (SHQ) – l’autorité en la matière – avait les fonds pour financer 41 677 logements du PSL. Or, seuls 34 709 logements ont effectivement été associés aux subventions du PSL, soit un écart de 6968, confirmé par la SHQ2.

Le Programme supplément de loyer (PSL) permet aux ménages démunis admissibles de ne pas consacrer plus de 25 % de leurs revenus à leur loyer, comme pour les HLM. Les PSL ont remplacé les HLM, en quelque sorte.

Les quelque 7000 unités PSL qui n’ont pas été allouées se répartissent en trois catégories : les logements financés à long terme pour les immeubles AccèsLogis, les unités pour le secteur privé et celles, à court terme, prévues pour parer aux urgences.

Environ 2400 des quelque 7000 unités PSL inutilisées étaient destinées à des situations d’urgence (sans-abri, femmes victimes de violence conjugale, ménages sans logis le 1er juillet, etc.). Cette proportion est fort élevée, sachant que seulement 500 unités d’urgence étaient effectivement utilisées au Québec au début de 2021.

Depuis juin 2021, le gouvernement a d’ailleurs converti 1500 de ces unités d’urgence non allouées en unités « régulières », qui sont désormais financées sur cinq ans plutôt qu’un an, est-il indiqué dans la mise à jour budgétaire de novembre du ministère des Finances.

Une fois les urgences retranchées, il reste tout de même près de 4600 unités PSL disponibles à long terme pour des ménages à faibles revenus, mais non allouées. Et de ce nombre, les deux tiers (2924) sont pour des logements existants du programme AccèsLogis et l’autre tiers, pour le marché privé.

Ce sont habituellement les coops et les organismes à but non lucratif d’habitation qui ont la responsabilité de trouver des locataires pour les 2924 logements AccèsLogis où il y a des PSL disponibles3.

Le porte-parole du Réseau québécois des OSBL d’habitation, Jacques Beaudoin, n’est pas en mesure d’expliquer pourquoi il y a tant de disponibilités. « Le chiffre de près de 3000 est choquant, impressionnant. Je ne m’explique pas pourquoi. Il y a très peu d’inoccupation dans les logements subventionnés », me dit-il.

Jacques Beaudoin reconnaît que des OSBL acceptent parfois que des logements qui devraient être attachés à une subvention PSL ne soient pas utilisés à cette fin et occupés par d’autres locataires. Ce serait le cas quand leurs locataires voient leurs revenus dépasser le niveau pour être admissibles à la subvention, « mais ce sont des cas anecdotiques », affirme-t-il.

Sandra Turgeon, directrice générale de la Confédération québécoise des coops d’habitation, soutient aussi qu’une sous-allocation des PSL aux bonnes personnes est anecdotique.

La directrice générale de la Fédération des OSBL d’habitation de Montréal, Chantal Desjardins, est aussi étonnée par l’importance de ces chiffres. Elle fait valoir que les seuils de revenus exigés aux ménages pour être admissibles sont trop bas, ce qui peut restreindre l’allocation. De plus, elle affirme qu’il manque de fonds pour rénover des unités.

D’autres raisons pourraient expliquer que des logements subventionnés ne soient pas alloués, m’explique Mathieu Vachon, porte-parole de l’Office municipal d’habitation de Montréal (OMHM), qui est responsable de l’administration des PSL pour l’île de Montréal4.

D’abord, un logement disponible doit correspondre au profil du ménage demandant (un couple, une famille, etc.), selon la taille du logement. De plus, une subvention PSL disponible dans un immeuble de 16 logements de Verdun, par exemple, ne peut pas être réallouée à un bâtiment à Laval, où il y aurait un ménage admissible, ce qui restreint les possibilités d’allocation.

En plus de ces 2924 logements des OBNL et coops, le Québec compte aussi 1655 unités PSL inutilisées dans le marché des logements privés. Pour ces PSL du privé, ce sont les Offices municipaux d’habitation, comme celui de Montréal (OMHM), qui font l’appariement des logements avec les locataires.

Un problème de loyer ?

Le porte-parole de l’OMHM, Mathieu Vachon, fait part des difficultés à trouver des propriétaires disposés à louer leurs logements à des ménages démunis admissibles au PSL.

De plus, explique-t-il, « il y a des défis pour trouver des logements adéquats sur le marché privé, tant sur le plan de la salubrité que du loyer et de la typologie qui répond aux besoins du ménage. Plus le taux d’inoccupation est bas dans le marché, plus il devient difficile de concilier ces trois critères ».

Entre autres, les plafonds de loyer plutôt bas du programme de la SHQ pour qu’un logement soit admissible rend difficile le travail de l’OMHM. Par exemple, dans l’île de Montréal, un logement de quatre pièces et demie non chauffé ne peut être loué plus de 892 $ par un propriétaire pour que le logement soit admissible au PSL. Pour un cinq et demi, le plafond est de 1092 $.

Or, les logements disponibles comparables sur le marché de Montréal se louent souvent entre 200 $ et 500 $ plus cher, selon mes recherches sur l’onglet Marketplace de Facebook5.

Il faut savoir, toutefois, qu’un propriétaire privé qui loue un logement à un ménage admissible en vertu du PSL reçoit en moyenne 5000 $ de subventions par année, soit l’équivalent de 415 $ par mois, selon les données du ministère des Finances.

J’ai posé de nombreuses questions à la SHQ ces derniers mois pour démêler la grande complexité du système, pour avoir l’heure juste sur les chiffres et pour comprendre le phénomène des PSL inutilisés.

La SHQ affirme qu’elle vérifie si les coops et les OBNL attribuent le seuil minimal des unités PSL prévues à leur convention pour les AccèsLogis. Elle n’avait toutefois pu me donner le détail des vérifications au moment de publier. Depuis 2019, ce seuil minimal exigé pour les nouveaux projets AccèsLogis est passé de 20 % à 50 % du total des logements d’un projet.

Quant au marché privé, près de 300 des 1655 unités PSL inutilisées sont pour des projets en élaboration ou en construction, où il n’y a pas encore de locataires, affirme la SHQ. Pour augmenter l’attrait du privé, la SHQ indique par ailleurs avoir fait passer, à la mi-décembre, le loyer maximum admissible de 110 % à 120 % du loyer médian du marché.

La SHQ ne tient pas de registre du volume annuel de PSL inutilisé, par exemple depuis 10 ans, ce qui rend impossible la comparaison des fonds non alloués dans le temps, par exemple avec les 7000 unités de 2021.

Comme vous pouvez le constater, les raisons pour expliquer ces nombreux PSL orphelins sont diverses et imprécises. Il reste qu’au bout du compte, une unité sur sept qui est sujette aux subventions PSL du gouvernement pour les plus démunis n’est pas allouée, ce qui m’apparaît inadmissible dans le contexte actuel.

1– Le nombre d’unités inutilisées est presque aussi important que l’objectif de nouveaux logements de type HLM promis par l’administration de Valérie Plante pour les quatre prochaines années (8000 logements).

2– Le chiffre de 41 677 unités, en date du 31 mars 2021, est tiré de la mise à jour budgétaire de novembre 2021 du ministère des Finances du Québec. Celui de 34 709 vient du fascicule Habitation en bref, de la SHQ, pour le 31 décembre 2020.

3– L’administration des PSL relève des Offices municipaux d’habitation. Il revient toutefois aux coops et aux OBNL de fournir la liste des ménages requérants pour les immeubles AccèsLogis. Ces OBNL et coops reçoivent la subvention liée au PSL.

4– Mathieu Vachon me confirme que dans l’île de Montréal, 1092 unités PSL sont inutilisées dans les immeubles AccèsLogis, soit 37 % des 2924 du Québec. Pour le privé, ce nombre d’unités non allouées s’élève à 699, auquel il faut ajouter les 274 pour les urgences, pour un total de 2065 unités non allouées en 2021.

5– Et encore, les plafonds imposés par la SHQ ont été rehaussés de 8,3 % à 13 % en 2021.