Voyez l’absurdité de l’affaire : en région, des centaines de HLM sont vides, mais les administrateurs locaux sont incapables de les remplir. Pas vides depuis deux ou trois mois, mais depuis plusieurs années !

Les raisons ? Le manque de ménages considérés comme démunis dans certains secteurs, jumelé aux contraintes réglementaires de la Société d’habitation du Québec (SHQ).

C’est le maire de Petit-Saguenay, Philôme La France, qui m’a ouvert les yeux sur cette problématique. Il a pris contact avec moi après la parution de ma chronique du 11 janvier, où je révélais que l’équivalent de 7000 unités subventionnées destinées aux démunis sont inutilisées au Québec1. La liste d’attente pour de tels logements, rappelez-vous, atteindrait 37 000 ménages.

Lisez la chronique « L'équivalent de 7000 HLM inutilisés au Québec », publiée le 11 janvier dernier

Dans ma chronique, je faisais référence aux unités subventionnées par le Programme supplément au loyer (PSL), l’équivalent moderne du programme de HLM. L’un et l’autre permettent aux locataires de ne pas consacrer plus de 25 % de leurs revenus au loyer.

Cette fois-ci, il est question des vrais HLM, ces logements à loyers modiques construits entre 1969 et 1994. Dans certaines petites municipalités du Saguenay, qui ont vécu un déclin démographique, il n’y a plus suffisamment de ménages démunis ou dont le profil correspond aux HLM disponibles pour remplir ces logements.

Le maire de Petit-Saguenay a fait le décompte. Dans sa municipalité de 609 âmes, 9 HLM étaient vides en mai dernier, pour un taux d’inoccupation de 26 %. Dans les municipalités voisines de Larouche et de Rivière-Éternité, le taux d’inoccupation des HLM avoisine les 50 % !

Pour l’ensemble de la municipalité régionale de comté (MRC) du Fjord, 13 % des 293 HLM sont orphelins. Et dans d’autres MRC du Saguenay–Lac-Saint-Jean, l’inoccupation est aussi élevée, par exemple 13 % à Métabetchouan et 10 % à Roberval.

La situation n’est pas propre au Saguenay–Lac-Saint-Jean. Au Québec, il y aurait 700 HLM disponibles, essentiellement en région, selon le ministère de l’Habitation. Des logements qui sont en bon état.

Depuis quatre ans, Philôme La France dit avoir entrepris de nombreuses démarches auprès de l’Office municipal d’habitation (OMH) Saguenay-Le Fjord et de la SHQ, mais sans grand succès.

La principale raison de l’impasse, dit-il, était le seuil de revenu fixé par la SHQ appelé le PRBI, soit Plafond de revenu déterminant les besoins impérieux de logement.

Dans la MRC du Fjord, ce plafond était jusqu’à récemment de quelque 21 000 $ pour une personne seule. Comme les HLM sont interdits à ceux qui gagnent plus, plusieurs restent vides. Autrement dit, il manque de ménages considérés comme suffisamment démunis dans le secteur.

Autre raison : certains logements ont été conçus pour les familles nombreuses d’il y a 50 ans, et ces critères de superficie ne cadrent plus avec les besoins d’aujourd’hui. Parmi les solutions proposées, il était question de convertir ces logements en unités plus petites et d’y loger des personnes âgées qui répondraient aux nouvelles superficies de logement et aux critères de revenu PRBI.

« Des projets de conversion ont été étudiés puis abandonnés, faute de moyens ou à cause des blocages administratifs ou contraintes légales », m’explique M. La France.

Pourquoi l’enjeu est-il important ? Parce que rendre les logements HLM disponibles favoriserait la rétention ou l’attrait de certains ménages dans la région, entre autres.

Actuellement, les logements du secteur privé dans sa municipalité sont tous remplis, dit Philôme La France. Et l’érection de nouveaux logements n’est pas envisageable, en raison des coûts de construction élevés jumelés au bas niveau des loyers.

Selon les chiffres officiels, le taux d’inoccupation des logements privés a fondu depuis 5 ans au Saguenay–Lac-Saint-Jean, passant de 7 % en 2016 à 2,8 % fin 2020.

Le maire de Petit-Saguenay croit aussi que le gouvernement devrait favoriser la migration des personnes inscrites sur les listes d’attente vers les localités où des logements sont disponibles. Au Saguenay–Lac-Saint-Jean, 402 ménages étaient en attente d’un logement HLM à la fin de 2020, selon la liste de la SHQ.

La ministre assouplira les règles

J’ai posé des questions au cabinet de la ministre de l’Habitation, Andrée Laforest, aussi responsable de la région du Saguenay–Lac-Saint-Jean. Les réponses ont été fort instructives.

La porte-parole de la ministre, Bénédicte Trottier-Lavoie, affirme que des modifications réglementaires seront adoptées « très prochainement » pour remédier à ce problème de HLM vides. La municipalité de Petit-Saguenay bénéficiera de cette modification des critères, dit-elle.

Il est notamment question d’élargir la clientèle admissible, par exemple aux nouveaux arrivants. Selon Mme Trottier-Lavoie, une cinquantaine de HLM de la Ville de Saguenay sont en processus de location ou en rénovation afin d’être rendus disponibles.

Ensuite, elle m’indique que la ministre a déjà annoncé certains assouplissements en mai 2021. Entre autres, elle a redressé de 30 % le plafond de revenus des ménages (PRBI) donnant droit à un HLM pour les régions où il n’y a pas de liste d’attente. Par exemple, le PRBI pour une personne seule passe de 21 000 $ à 27 300 $.

Cela dit, la mesure est appliquée à certaines conditions, et elle a semé une certaine confusion. Le maire de Petit-Saguenay affirme s’être fait dire par l’Office municipal d’habitation que la mesure était temporaire pour l’été 2021, dans le contexte de la crise du logement, ce qui a pu freiner la recherche de locataires à long terme. Il avait même informé ses électeurs sur son compte Facebook de la non-permanence de la mesure.

Le cabinet de la ministre me dit maintenant que la mesure de mai 2021 est bien permanente. Mes nombreux appels à l’Office pour éclaircir la confusion n’ont pas trouvé écho.

Par ailleurs, la SHQ m’explique avoir prévu assouplir certains critères, tels l’élargissement du territoire pour l’attribution d’un logement HLM et un abaissement de l’âge de 65 à 50 ans pour les immeubles réservés aux personnes âgées autonomes.

Cela dit, le redressement de 30 % du PRBI ne s’applique pas aux logements subventionnés des immeubles AccèsLogis des coops et OBNL, ni à ceux du secteur privé. Ces logements subventionnés, du Programme supplément de loyer (PSL), comptent quelque 7000 unités inutilisées.

1 Parmi les 7000 unités PSL non utilisées, 2924 sont associées à des immeubles AccèsLogis, gérés par des coops et des OBNL. Selon de nouvelles réponses de la SHQ, ces 2924 PSL non utilisés s’expliqueraient par la différence entre le nombre minimal obligatoire imposé à ces organismes et le nombre maximal permis. Seulement 4 des 196 projets AccèsLogis récemment vérifiés par la SHQ ne respectaient pas le minimum de PSL prescrit par règlements. D’autres intervenants m’ont parlé d’une inadéquation entre les unités PSL disponibles et les besoins des ménages.