La transformation numérique du secteur financier ne cesse de bouleverser les méthodes et les pratiques de l’Autorité des marchés financiers (AMF), qui doit constamment s’ajuster pour bien protéger les investisseurs et les consommateurs ainsi que pour assurer l’intégrité des marchés. « Heureusement, au cours des dernières années, on a bâti une organisation solide, capable de faire face aux changements », estime Louis Morisset, président sortant de l’organisme d’encadrement des marchés financiers.

Au terme de son second mandat de cinq ans, qui prendra fin en juillet prochain, Louis Morisset aura travaillé durant 17 ans à l’AMF, qu’il a rejointe en 2006, à l’âge de 33 ans, pour occuper à l’époque la fonction de surintendant des marchés de valeurs.

C’était au lendemain du scandale Norbourg, qui reste encore à ce jour la plus importante fraude de l’histoire de l’Autorité des marchés financiers, en termes de valeur des sommes impliquées et du nombre de victimes touchées.

Mon rôle à l’époque était de voir à l’encadrement du marché boursier et celui des produits dérivés. Un des gros dossiers qui m’a occupé a été le rachat de la Bourse de Toronto par le groupe canadien Maple, qui a fait échouer l’acquisition du TSX par la Bourse de Londres.

Louis Morisset, président sortant de l’Autorité des marchés financiers

En 2013, il est devenu PDG de l’AMF et dirige depuis cette organisation qui compte 450 employés à Montréal et 400 à Québec qui sont responsables de l’encadrement du marché des valeurs, de celui des institutions financières, dont la gestion de l’Assurance-dépôts des institutions québécoises, ainsi que des intermédiaires financiers et de l’assistance aux clientèles.

« Chaque année, on répond en moyenne à 100 000 demandes d’information de la part d’investisseurs et de consommateurs. Nos services à la clientèle sont responsables de notre centre d’information, du traitement des plaintes et du Fonds d’indemnisation des services financiers pour les personnes ayant été victimes de fraudes », résume le PDG de l’AMF.

Au fil des ans, l’AMF s’est fait confier différents dossiers par le gouvernement québécois. En 2012, au lendemain de la commission Charbonneau, c’est l’AMF qui a été responsable d’établir la probité des entreprises qui soumissionnaient aux contrats publics, jusqu’à la création de l’Autorité des marchés publics, en 2019.

Tout comme on a demandé à l’AMF de voir à l’encadrement des services monétaires, notamment la gestion des guichets automatiques privés, dont plusieurs étaient des machines à blanchiment d’argent, jusqu’à ce que le ministère du Revenu reprenne cette activité.

Depuis 2020, l’AMF s’est fait confier deux nouvelles responsabilités, soit l’encadrement des courtiers hypothécaires et, plus récemment, l’encadrement des entreprises d’évaluation de crédit et de protection d’identité TransUnion et Equifax.

« Dans la foulée du vol d’identité de clients de chez Desjardins, on a demandé à l’institution de mettre en place des mesures de renforcement de la sécurité des données et on encadre les sociétés d’évaluation de crédit pour s’assurer qu’elles donnent des services adéquats aux clients », explique Louis Morisset.

Une industrie en transformation

Depuis 10 ans, l’industrie des services financiers est en constante évolution sous l’impulsion de la numérisation de ses activités et de l’apparition de nouveaux écosystèmes.

« Les cryptoactifs, c’est nouveau depuis cinq ans. La transformation numérique a donné lieu à la finance décentralisée basée sur la chaîne de blocs, aux contrats intelligents. Il faut constamment garder l’organisation à jour », souligne Louis Morisset.

Lorsqu’il s’est joint à l’AMF, l’institution comptait sur une équipe d’une quarantaine d’enquêteurs, inspecteurs et procureurs, des effectifs qui mobilisent aujourd’hui plus de 200 personnes.

« On a embauché des spécialistes des TI qui ont développé des outils technologiques qui nous aident à arrimer des transactions avec des gens susceptibles de détenir de l’information privilégiée. Nos travaux d’analyse nous permettent de beaucoup mieux cibler les informations qui vont faire progresser nos enquêtes », explique le PDG de l’AMF.

On le sait, l’AMF a échoué il y a quelques années à inculper des dirigeants de la société Amaya qu’on soupçonnait de délits d’initiés, malgré de nombreuses perquisitions et filatures.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Louis Morisset, PDG de l’Autorité des marchés financiers, en entrevue

On a beaucoup amélioré nos travaux d’analyse. Quand tu perquisitionnes des téléphones cellulaires, des ordinateurs, tu mets la main sur une quantité de données qui alourdissent le processus.

Louis Morisset, président sortant de l’Autorité des marchés financiers

Il poursuit : « On a mis sur pied un laboratoire d’informatique judiciaire qui est indépendant de nos enquêteurs et qui fait le tri des informations pour garantir l’intégrité de nos preuves », expose Louis Morisset.

L’arrêt Jordan, qui impose un délai de 18 mois pour la durée totale d’un procès, est un autre facteur qui est venu complexifier le travail de l’AMF, dont les dossiers ne sont jamais simples. L’AMF a fait face à plusieurs requêtes Jordan pour annuler des causes qu’elle tentait d’instruire.

« On a eu gain de cause chaque fois. On vient de déposer une cause et on a eu une date pour procéder en mai 2024, dans 15 mois. C’est impossible de tout régler en 18 mois », déplore le PDG de l’AMF.

À 50 ans, Louis Morisset a décidé de quitter l’organisation qu’il dirige depuis 10 ans et à laquelle il est associé depuis 17 ans pour laisser la place à un autre.

Il a délaissé un emploi chez Stikeman Elliott pour se joindre à l’AMF, faisait plus d’argent à l’époque qu’il en fait aujourd’hui, mais il voulait se rendre utile et contribuer au service public.

« Je quitte avec le sentiment du devoir accompli. Si j’avais voulu faire de l’argent, je serais resté à faire ce que je faisais. J’ai adoré mes 17 ans à l’AMF, mais à 50 ans, je souhaite vivre autre chose et j’ai hâte de voir ce qui se présentera à moi », conclut le PDG sortant.