Azure Power Global, dans laquelle la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ) a injecté un demi-milliard, n’est pas seulement secouée par des irrégularités internes. Des accusations de blanchiment d’argent pèsent sur son deuxième dirigeant, au sujet de son rôle passé dans un scandale financier.

Pawan Kumar Agrawal est chef de la direction financière du producteur indien d’énergie solaire depuis plus de quatre ans. Il était donc bien en selle au moment d’être épinglé, en 2021, par le Directorate of Enforcement (DE) – l’agence indienne chargée d’enquêter sur les crimes financiers. Il est toujours en poste chez Azure, où il est chargé de s’assurer que les finances sont en règle alors que d’importantes irrégularités planent au-dessus de l’entreprise.

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Pawan Kumar Agrawal, chef de la direction financière d’Azure

La CDPQ était déjà en position de force chez Azure avec une participation de 41,4 % lorsque M. Agrawal est arrivé en 2019. Plus tard dans l’année, l’institution était actionnaire à hauteur de 49,4 %. Pour François Dauphin, directeur de l’Institut sur la gouvernance d’organisations privées et publiques (IGOPP), à Montréal, les allégations qui visent M. Agrawal sont préoccupantes.

« En tant que chef de la direction financière, vous êtes en quelque sorte le chien de garde de la fiabilité et des contrôles, dit l’expert, en entrevue téléphonique. N’y aurait-il pas un autre directeur financier disponible et libre de tout soupçon ? La question est pertinente. »

La Caisse n’a pas voulu commenter la situation du chef des finances d’Azure.

Gros coup de filet

Employés par la Yes Bank – qui se classe dans le milieu du peloton parmi les 22 plus grandes institutions financières privées en Inde –, M. Agrawal et une vingtaine d’autres hauts dirigeants auraient permis à la banque établie à Bombay de consentir des prêts qui n’auraient jamais dû être accordés parce qu’ils étaient jugés trop risqués.

Ces détails figurent dans une volumineuse déclaration sous serment de 101 pages produite par l’agence indienne le 1er octobre 2021. La Presse a obtenu une copie du document.

« Il est clair que M. Agrawal a participé à ce système de blanchiment d’argent en ne remplissant pas ses fonctions correctement, ce qui a entraîné des pertes pour les investisseurs et le public », est-il notamment écrit dans le document, qui adresse les mêmes reproches aux autres présumés fautifs dans cette affaire.

Les allégations n’ont pas encore été prouvées devant le tribunal. Selon les médias indiens, les accusés avaient été arrêtés avant d’être mis en liberté sous caution.

Le principal accusé dans le dossier est l’ex-chef de la direction et cofondateur de la Yes Bank Rana Kapoor, qui s’est temporairement retrouvé derrière les barreaux. Les crimes auraient été commis entre 2017 et 2019. Selon les autorités indiennes, dans le but de dissuader ses subalternes de tirer la sonnette d’alarme, M. Kapoor leur aurait offert de généreuses hausses salariales ainsi que d’autres avantages, comme des promotions.

Dans la tourmente

Actionnaire majoritaire d’Azure (53 %), la CDPQ a vu son placement dans l’entreprise fondre comme neige au soleil depuis août dernier. Le producteur d’énergie solaire est dans la tourmente après avoir révélé des irrégularités soulevées par un lanceur d’alerte. Cela a fait plonger le cours de son action à la Bourse de New York. Résultat : l’investissement du bas de laine des Québécois dans Azure ne vaut plus que 127 millions US (170 millions CAN).

Incapable de présenter des résultats financiers audités, Azure a aggravé son cas le mois dernier dans une mise à jour. Trois nouveaux projets solaires font l’objet d’irrégularités et la situation financière de la compagnie est de plus en plus précaire. Ses réserves pourraient être insuffisantes.

Avant de quitter la Yes Bank, M. Agrawal – qui aussi travaillé chez Ernst & Young au cours de sa carrière – dirigeait son unité de financement corporatif dans le créneau des infrastructures. Dans son témoignage, ce dernier a expliqué que le travail de son équipe consistait à examiner les différents paramètres des transactions de la banque.

Une grosse affaire

La déclaration sous serment du DE s’attarde particulièrement sur une transaction. Il s’agit d’une facilité de crédit accordée frauduleusement par Yes Bank au conglomérat indien Avantha.

Dans son témoignage, M. Agrawal concède qu’il aurait, « dans des circonstances normales », rejeté le prêt jugé irrégulier « en raison du manque de solidité financière de l’emprunteur ». Il n’a toutefois rien fait pour faire avorter ou dénoncer la transaction avec Avantha.

« [Le dirigeant] de Yes Bank et d’autres [cadres] de la banque ont participé à une conspiration criminelle pour mettre en place des accords fictifs afin de donner une apparence d’authenticité au prêt », lit-on dans la déclaration sous serment, dans laquelle on indique aussi que M. Kapoor s’est enrichi « illégalement », sans offrir plus de détails.

Pour les autorités indiennes, cela constitue un détournement de fonds ayant entraîné des pertes pour les investisseurs et les déposants.

Ce dossier s’est soldé par une perte d’environ 75 millions pour la banque. Toutefois, l’agence indienne souligne, dans la déclaration sous serment, qu’au moins 71 prêts totalisant plus de 5,1 milliards ont mal tourné sous la gouverne de M. Kapoor. La déclaration sous serment ne passe pas au peigne fin chacune des transactions.

Tout cela a contribué à fragiliser la Yes Bank, plongée dans une crise au printemps 2020 en raison de la détérioration de son portefeuille de prêts commerciaux. La situation a pris une telle ampleur que les retraits des déposants ont été plafonnés temporairement avant le sauvetage financier de l’institution d’investisseurs privés et du gouvernement, qui a mené à une profonde refonte de la gouvernance.

Azure au courant

Azure a brièvement évoqué l’affaire dans des documents déposés auprès des autorités réglementaires américaines. Elle ne donne toutefois pas de détails sur les gestes qui auraient été posés. L’entreprise n’a pas répondu aux questions de La Presse.

Il n’a donc pas été possible de savoir si, par exemple, Azure a mené sa propre enquête ou si M. Agrawal est encadré de manière différente depuis qu’il est accusé.

Avec la collaboration de Francis Vailles, La Presse

En savoir plus
  • 2016
    Année où la CDPQ a commencé à investir dans Azure Power Global
    SOURCE : cdpq
  • 15 juillet 2023
    Azure a cinq mois pour déposer ses résultats financiers vérifiés de 2022 pour ne pas être évincée de la Bourse de New York.
    SOURCE : securities and exchange commission