(Ottawa) La ministre fédérale des Femmes et de l’Égalité des genres et de la Jeunesse, Marci Ien, estime que les politiques de la Saskatchewan et du Nouveau-Brunswick qui exigent que les élèves de moins de 16 ans aient le consentement parental pour que les écoles utilisent leurs pronoms et noms préférés placent les enfants trans dans une « situation de vie ou de mort ».

Bien que Mme Ien refuse de dire si Ottawa voit un rôle pour elle-même dans toute contestation judiciaire potentielle, elle garde un œil sur ce qui se passe.

« Ce que je peux vous dire, c’est que nous surveillons de près l’évolution de la situation », a-t-elle déclaré mercredi à La Presse Canadienne.

« De toute évidence, tout est possible, mais je ne vais pas faire de commentaires hypothétiques pour le moment. »

La Saskatchewan est récemment devenue la deuxième province à modifier sa politique concernant l’utilisation des pronoms et les changements de nom pour les élèves de moins de 16 ans, afin que les enseignants demandent la permission à leurs parents. Le gouvernement affirme que le changement découle des préoccupations des parents et du désir d’appliquer une politique uniforme dans toutes les divisions scolaires.

Le premier ministre Scott Moe a fait part de son intention d’apporter le changement avant la prochaine année scolaire à la suite d’une élection partielle au cours de laquelle le Saskatchewan United Party, un parti de droite naissant, a grugé dans le vote rural de son parti de la Saskatchewan après avoir fait campagne sur la question des « droits parentaux ».

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Le premier ministre de la Saskatchewan Scott Moe

Ce sujet a émergé après un incident où un élève de 9e année a ramené à la maison un dépliant sexuel graphique qui avait été apporté à son école secondaire par Planned Parenthood, qui, selon l’organisation, a été pris par inadvertance d’une table.

En juin dernier, le premier ministre du Nouveau-Brunswick, Blaine Higgs, est devenu le premier dirigeant provincial à s’attaquer au phénomène.

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Le premier ministre du Nouveau-Brunswick Blaine Higgs

Cette province avait une politique qui obligeait les enseignants à utiliser les pronoms et les noms préférés des élèves. Les élèves de moins de 16 ans doivent maintenant obtenir le consentement parental.

Le gouvernement progressiste-conservateur est intervenu après qu’un rapport cinglant du défenseur des enfants et de la jeunesse de la province les ait avertis qu’ils risquaient de violer les droits des enfants en vertu de la Charte des droits et libertés.

Des politiques jugées « discriminatoires »

Cette préoccupation est partagée par un éminent groupe national des libertés civiles, qui estime que les politiques doivent être remises en question.

« Ces politiques ont un effet discriminatoire sur les étudiants transgenres et de diverses identités de genre, déplore Harini Sivalingam, directrice des programmes d’égalité à l’Association canadienne des libertés civiles.

« Par exemple, un étudiant cisgenre qui veut utiliser un surnom n’a pas besoin de demander le consentement parental, mais un étudiant trans serait tenu de le faire. Cela a donc clairement un effet discriminatoire qui causera du tort aux étudiants trans », explique-t-elle.

Le ministre de l’Éducation de l’Ontario, Stephen Lecce, a également déclaré qu’il croit que les parents ont le droit d’être informés si leurs enfants choisissent de changer leur nom ou leur pronom à l’école, mais il ne s’est pas engagé à apporter des changements.

Egale Canada, une organisation nationale LGBTQ+, a demandé à la Saskatchewan de suspendre le changement, en disant que si cela ne se produit pas, elle demandera une injonction judiciaire au nom du Pride Centre de l’Université de Regina.

Le premier ministre Moe a cité un récent sondage d’opinion de l’Institut Angus Reid, selon lequel au moins la moitié des personnes interrogées appuyaient l’approche de son gouvernement dans ce dossier, mais la ministre fédérale Marci Ien a dit qu’elle se préoccupait de la sécurité des enfants.

« Il s’agit d’une situation de vie ou de mort. Il faut regarder les chiffres », a-t-elle déclaré.

Mme Ien a fait référence à une étude marquante publiée en 2018 dans le Journal of Adolescent Health qui a révélé que les jeunes transgenres capables d’utiliser leurs noms et pronoms préférés ont signalé une baisse de 34 % des pensées suicidaires et de 65 % des tentatives de suicide.

Interrogée sur les mesures que le gouvernement libéral prévoit prendre, la ministre a répondu qu’il écoute les enseignants ainsi que les familles d’enfants LGBTQ+ qui sont directement touchés par les changements de politique.

« Nous surveillons et informons vigoureusement la collectivité, et elle le sait. Elle sait qui est derrière elle », a affirmé Mme Ien.

Le premier ministre Justin Trudeau a déclaré que la protection des droits des Canadiens LGBTQ+ est une priorité pour son gouvernement. L’an dernier, il a présenté un plan d’action dans lequel il promettait de verser jusqu’à 75 millions aux organismes.

Les partis d’opposition divisés

Le député néo-démocrate Randall Garrison, porte-parole du NPD pour les questions LGBTQ+ au Parlement, a indiqué dans une déclaration que « les paroles de Trudeau ne suffisent pas ».

« Son gouvernement doit immédiatement mettre en œuvre des mesures concrètes pour protéger les enfants 2SLGBTQI+, comme l’augmentation du financement pour les organismes transgenres et de diverses identités de genre et la concrétisation de soins de santé complets favorisant l’affirmation du genre partout au Canada », a-t-il affirmé.

Interrogé sur le changement de politique du Nouveau-Brunswick, le chef conservateur Pierre Poilievre a dit que M. Trudeau devrait rester en dehors des affaires provinciales.

Un extrait vidéo d’une entrevue qu’il a accordée à une chaîne de télévision à caractère ethnique et récemment diffusée en ligne le montre affirmant qu’il estime que « les parents devraient être l’autorité finale sur les valeurs et les leçons enseignées aux enfants ».

La semaine prochaine, des membres du Parti conservateur débattront de l’idée qu’un gouvernement conservateur interdise « les interventions médicales ou chirurgicales qui altèrent la vie » pour les personnes mineures qui souhaitent faire la transition de genre. Sur ce sujet, M. Poilievre a refusé de commenter.

Pour sa part, Mme Sivalingam, de l’Association canadienne des libertés civiles, croit que le gouvernement fédéral pourrait élargir le Programme de contestation judiciaire pour englober les lois et les politiques qui relèvent carrément de la compétence provinciale, car à l’heure actuelle, il ne couvre que les questions d’intérêt national. Cela permettrait aux groupes de défense d’avoir accès à du financement.

« Il s’agit d’un enjeu national important qui touche les Canadiens et les Canadiennes, et tous les ordres de gouvernement devraient vraiment s’en occuper », selon elle.