Des parents, catastrophés, déplorent le manque d’information sur les qualifications des professeurs dans les classes de leurs enfants en adaptation scolaire.

« C’est comme si la direction se disait : “On ne peut pas faire grand-chose avec ces enfants-là, alors investissons le moins possible.” »

Lucie Ouimet est la mère d’Elisaveta, 17 ans, une adolescente autiste et ayant une déficience intellectuelle. Cela fait trois ans que sa fille fréquente une classe spécialisée dans une école secondaire publique ordinaire à Montréal.

Depuis quatre ans, « j’observe chez ma fille une régression scolaire incroyable », déplore cette maman qui a été présidente du conseil d’établissement de cette école durant un mandat de deux ans pour tenter d’améliorer les choses. En vain.

Trois années d’affilée, son adolescente a eu un enseignant formé en science, non qualifié en adaptation scolaire. Mme Ouimet nous a demandé de ne pas identifier l’école ni l’enseignant puisque, dit-elle, le problème dépasse ce cas particulier.

« Si le prof n’a pas les outils, ça fait des enfants qui stagnent, qui régressent même », déplore-t-elle. La maman a observé la différence que cela fait, d’avoir du personnel qualifié, puisque sa fille a fréquenté une école spécialisée au primaire où elle a eu des enseignantes adéquatement formées qui faisaient un « travail remarquable », tient-elle à souligner.

« Avec des enfants comme la mienne, ça prend un système de récompenses, explique-t-elle. C’est la base. Le prof formé en science, lui, il faisait jouer les enfants avant de les faire travailler. Puis c’était comme : “On fait cinq minutes de français, et le reste du temps, faites des casse-têtes.” »

La maman s’en est rendu compte au moment où l’enseignement a basculé en virtuel durant la pandémie. Elle a également observé un roulement d’étudiantes en éducation spécialisée plutôt qu’une professionnelle attitrée à la classe.

« Ma fille n’est pas capable de me raconter ses journées, souligne-t-elle. On sait que des gens se succèdent dans la classe, mais on ne sait jamais qui est là alors que les enfants autistes ont particulièrement besoin de constance. »

La mère de famille a décidé de « lâcher prise », épuisée par son combat pour que les classes spécialisées de l’école régulière obtiennent des ressources qualifiées et de la stabilité.

PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE

Lucie Ouimet dénonce le manque de ressources en classe spécialisée. Ici avec sa fille autiste, Elisaveta

Ça ressemble à une garderie. On va garder les enfants pendant que les parents vont travailler, mais c’est tout, on va s’arrêter là.

Lucie Ouimet, mère d’Elisaveta, une adolescente autiste et ayant une déficience intellectuelle

Si on formait mieux ces jeunes-là, ils pourraient contribuer à la société en occupant des emplois adaptés à leur capacité, plutôt que de rester chez eux, une fois adultes, à toucher de l’assistance sociale, conclut la mère de famille.

Tenus dans l’ignorance

Qualifié ou pas, l’enseignant dans la classe spécialisée de votre enfant ?

Viviane*, mère d’une enfant autiste de 7 ans qui fréquente une classe spécialisée dans une école régulière en Montérégie, ne parvient pas à le savoir.

Lors de la dernière année scolaire, sa fille s’est fait suspendre de l’école et a ainsi été renvoyée à la maison plus d’une dizaine de fois. Dans cette classe, le ratio est de deux adultes pour huit enfants.

La maman a interrogé la direction de l’établissement sur la formation de l’enseignante et de l’autre professionnelle présente dans la classe en appui à cette dernière.

La réponse était floue. Viviane en a déduit que l’enseignante n’était pas titulaire d’un baccalauréat en adaptation scolaire. « On m’a répondu que l’enseignante faisait beaucoup de lectures et de développement professionnel dans les besoins particuliers, raconte la maman à La Presse. Et pour la personne qui l’accompagne, on m’a dit un DEC technique, mais on ne m’a pas dit en quoi. »

La profession enseignante n’étant pas régie par un ordre professionnel, la qualification d’un enseignant est donc un renseignement personnel confidentiel aux termes de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels, indique le porte-parole du ministère de l’Éducation, Bryan St-Louis.

« L’employeur (ici le centre de services scolaire) est toutefois en mesure d’obtenir et de vérifier cette information, car il est de sa responsabilité de veiller à ce que le personnel qu’il embauche soit dûment qualifié, précise M. St-Louis. Cette information ne peut toutefois pas être partagée ou communiquée sans le consentement de la personne concernée (ici, l’enseignant). »

Quand Viviane demande pourquoi sa fille est encore expulsée, on lui répond : « Les profs ont besoin d’un break»

À sa dernière crise qui a provoqué son expulsion, une remplaçante était responsable de la classe. L’enfant avait été déstabilisée par le changement de visage et s’est enfuie de son local.

« Quand je suis arrivée pour venir la chercher, l’aide de classe était écrasée à son côté. Ma fille gueulait, décrit la maman. Pourquoi était-elle aussi près d’elle ? Quand ma fille est en crise, ce n’est pas le temps de l’approcher de trop près. Elle peut frapper. »

Et ce qui devait arriver arriva. L’aide de classe a reçu un coup. L’enfant a écopé d’une suspension de deux jours.

Si jeune – 7 ans –, sa fille autiste doit apprendre à se contrôler, concède-t-elle, mais comment peut-elle l’apprendre si elle n’a pas accès à des professionnels qualifiés à l’école et qu’elle en est constamment expulsée ?

« La directrice m’a demandé si j’avais pensé la changer d’école. Ça m’a choquée, lâche-t-elle. Ce n’est pas comme s’il y avait un million d’écoles avec des classes spécialisées dans ces troubles-là dans le coin où j’habite. À proximité, c’est la seule. »

Après la dernière suspension, la direction de l’école lui a demandé de garder sa fille à la maison chaque fois qu’il y avait une remplaçante dans la classe. La maman doit donc prendre congé… toutes les fois où l’enseignante de sa fille s’absente.

Si l’intervention d’un enseignant n’est pas bien adaptée parce qu’elle n’est pas appuyée par des pratiques éprouvées, l’enfant peut se désorganiser en classe et adopter des comportements dangereux pour lui-même ou pour d’autres élèves qui mènent à son expulsion et qui compromettent – par le fait même – son droit à l’instruction publique, explique le chercheur Daniel Ducharme, de la Commission des droits de la personne et de la jeunesse, sans commenter ce cas précis.

« On a vu des centres de services scolaires envoyer des jeunes vers la scolarisation à la maison où on pouvait se poser la question : est-ce que les services étaient véritablement disponibles à l’école ? », relate le chercheur.

Chaque jour, la maman est stressée par la possibilité de recevoir un appel de l’école lui demandant de venir chercher sa fille.

Viviane a tant de questions pour le ministre de l’Éducation, Bernard Drainville. « Est-ce normal que notre système d’éducation soit mésadapté au point qu’on est obligés de garder nos enfants à la maison ? À quel avenir ma fille de 7 ans est-elle destinée si personne ne veut lui enseigner ? »

* Cette maman ne veut pas être identifiée, craignant que son témoignage n’entraîne des conséquences négatives dans son milieu professionnel et pour son enfant.

À lire demain : des solutions existent.