D’un océan à l’autre, les politiciens tirent à boulets rouges sur les taxes vertes qui étrangleraient le budget des citoyens, à les entendre parler.

Mais devinez quoi ?

Faire le plein coûte moins cher qu’il y a 10 ans. Oui, oui, vous avez bien lu ! En tenant compte de l’inflation, le prix de l’essence à la pompe était plus élevé en 2013 (1,72 $) qu’en 2023 (1,58 $) au Québec, selon les calculs de la Chaire en fiscalité et en finances publiques (CFFP), qui présentait son bilan annuel jeudi1.

Et les recettes des taxes sur l’essence au Québec ont diminué de 2,3 % par année, depuis cinq ans, alors que pratiquement tous les autres types de taxes sont en croissance (5 % par année, en moyenne).

Sauf que tirer sur les taxes vertes, c’est populaire.

Axe the tax, répète sur toutes les tribunes le chef conservateur Pierre Poilievre qui promet de supprimer la taxe carbone, une mesure dont l’efficacité fait consensus, sans dire par quoi il la remplacerait pour lutter contre les changements climatiques.

La Saskatchewan s’est carrément rebellée contre Ottawa. Dans un geste déconcertant, la province a cessé de prélever la taxe fédérale sur le gaz naturel, le 1er janvier, frustrée par le manque d’équité du gouvernement Trudeau qui avait accordé une exemption sur l’huile de chauffage pour plaire à l’électorat des provinces atlantiques, grandes utilisatrices de ce mode de chauffage.

De son côté, le Manitoba a célébré le Nouvel An en suspendant temporairement sa taxe sur l’essence de 14 cents le litre. Il n’en fallait pas plus pour que le chef du Parti conservateur, Éric Duhaime, revienne à la charge, mercredi, en réclamant une suspension de la taxe provinciale sur les carburants au Québec.

Mais quand on prend du recul, on réalise que le Québec est l’un des endroits au monde où les taxes sur l’essence sont les plus faibles, à 29,2 cents le litre (10 cents au fédéral, 19,2 cents à Québec).

D’accord, c’est davantage que dans les autres provinces. Mais parmi les pays les plus industrialisés, il n’y a que les États-Unis qui exigent moins. Les taxes sur l’essence sont trois fois plus élevées dans des pays comme l’Italie (1,05 $), la France (0,99 $), le Royaume-Uni (0,97 $) ou encore l’Allemagne (0,95 $).

En fait, le Québec sous-utilise l’écofiscalité. Le poids de l’ensemble des taxes vertes de la province, à 1,1 % du PIB, classe le Québec à la toute fin du peloton des pays avancés, où la moyenne est deux fois plus élevée. Seuls les États-Unis font moins bien que nous.

Pourtant, si on veut changer les comportements, il est crucial d’envoyer un signal de prix qui tient compte du coût de la pollution. Le ministre des Finances du Québec est le premier à le reconnaître. « On n’est pas fermés à l’écofiscalité, mais il faut choisir le contexte », a dit Eric Girard, jeudi, lors d’un évènement organisé par la CFFP.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Le ministre des Finances, Eric Girard

Avec l’inflation élevée, il avait le pied sur le frein. « Mais je comprends que ce sujet-là va revenir, a enchaîné le ministre, d’autant plus qu’on a des défis de financement au niveau des transports en commun. »

Pour une fois, la Coalition avenir Québec (CAQ) ne semble pas complètement fermée à l’idée de l’écofiscalité. C’est encourageant.

En décembre, le gouvernement a d’ailleurs donné le feu vert aux municipalités qui offrent des transports collectifs pour qu’elles puissent hausser les frais d’immatriculation des véhicules plus polluants.

C’est bon pour l’environnement. Et c’est bon pour le financement.

Car ne nous faisons pas d’illusions : un système de transport, ça ne se paie pas tout seul. Et le Fonds des réseaux de transport terrestre (FORT) qui est destiné à l’entretien des infrastructures routières et des services de transport collectif est dans le rouge depuis 2017-20182.

Québec est donc obligé de puiser dans son fonds consolidé, alimenté par l’ensemble des contribuables, ce qui ne respecte pas le principe de l’utilisateur-payeur.

En fait, c’est comme s’il y avait un énorme nid-de-poule financier qu’on refusait de boucher.

À court terme, il faudrait relever la taxe sur l’essence – plus importante source de financement du FORT –, qui n’est même pas indexée, ce qui est un non-sens.

À moyen terme, il faudra réfléchir à une autre façon de financer notre réseau de transport, car l’avènement des véhicules électriques fera disparaître la taxe sur l’essence. La taxe kilométrique serait une bonne solution de rechange, même si elle pose des défis technologiques.

Sinon, quoi ? Préfère-t-on des péages, comme on en retrouve davantage aux États-Unis et en Europe où beaucoup de routes sont privatisées ? En France, le quart du financement du réseau routier provient de péages et de vignettes.

Les politiciens qui courtisent l’électorat en réclamant l’abolition des taxes sur l’essence doivent dire comment ils comptent lutter contre les changements climatiques et comment ils pensent financer le réseau de transport. Des nids-de-poule, non merci !

1. Consultez le Bilan de la fiscalité au Québec 2024 2. Consultez l’Inventaire des mesures écofiscales au Québec 2023

La position de La Presse

Québec doit recourir davantage à l’écofiscalité pour lutter contre les changements climatiques, mais aussi pour assurer un sain financement du réseau de transport.