Au pays de l’or noir, le soleil est le nouveau roi. Plus grand parc solaire du monde, plus haute tour hydrothermique, hydrogène vert ; les Émirats arabes unis misent sur l’astre de feu pour atteindre la carboneutralité en 2050, mais demeurent des consommateurs d’énergie boulimiques.

(Dubaï, Émirats arabes unis) Les dunes se succèdent et se ressemblent depuis une trentaine de minutes quand une éblouissante lumière apparaît à l’horizon, tel un phare dans le désert.

Avec ses 262 mètres, la tour de la centrale solaire Noor 1 est la plus haute du monde ; 7000 miroirs redirigent les rayons du soleil sur son sommet, où circule du sel liquéfié absorbant leur chaleur.

Cette technologie dite solaire thermodynamique (concentrated solar power, en anglais) permet d’utiliser l’énergie solaire même la nuit.

« Ça nous donne 15 heures de production », après le coucher du soleil, explique l’ingénieur Mohammad Jame, vice-président responsable des énergies propres et de la diversification à l’Autorité de l’électricité et de l’eau de Dubaï (DEWA, pour Dubai Electricity and Water Authority), soulignant qu’il s’agit là aussi d’un record mondial.

« Le sel fondu est chauffé à 580 °C, envoyé dans des citernes, puis utilisé pour chauffer de l’eau pour faire fonctionner des turbines à vapeur qui produisent de l’électricité », explique-t-il aux représentants de cinq médias internationaux, dont La Presse, qui ont visité les lieux durant la COP28.

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L’ingénieur Mohammad Jame, vice-président responsable des énergies propres et de la diversification à la DEWA

C’est aussi simple que ça !

L’ingénieur Mohammad Jame, vice-président responsable des énergies propres et de la diversification à la DEWA

La tour thermodynamique de Noor 1, du mot « lumière », en arabe, a une capacité de production de 100 mégawatts (MW) d’électricité, mais il ne s’agit là que de l’une des nombreuses phases du parc solaire Mohammed ben Rashid al-Maktoum, à une soixantaine de kilomètres de la ville de Dubaï, dont la capacité de production est à ce jour de 3200 MW.

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Le parc solaire Mohammed ben Rashid al-Maktoum devrait avoir une capacité de production de 5000 MW d’ici 2030.

Elle doit atteindre 5000 MW d’ici 2030, pratiquement autant que la centrale hydroélectrique Robert-Bourassa, la plus grande du Québec, ce qui en ferait le plus grand parc solaire sur un site unique de la planète, ont détaillé différents responsables de la DEWA, pendant que des employés tirés à quatre épingles offraient café arabe, thé chai, dattes farcies, croissants au zaatar et autres spécialités locales aux journalistes.

Mais si grandes soient-elles, ces installations ne produisent qu’une toute petite partie de la consommation d’électricité de Dubaï, qui s’est élevée à quelque 137 térawattheures (TWh) en 2020 – à titre comparatif, la consommation d’électricité au Québec était de 213 TWh en 2019.

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Hydrogène vert… pâle

Une usine pilote de production d’hydrogène vert a aussi été construite en 2021 au parc Mohammed ben Rashid al-Maktoum, la première au Moyen-Orient et en Afrique, s’enorgueillit Hesham Ismaïl, chercheur principal à la DEWA.

« L’hydrogène sert de stockage d’énergie ; on l’utilise la nuit pour produire de l’électricité », explique-t-il, indiquant que l’usine est alimentée par des panneaux solaires d’une capacité totale de 1,25 MW.

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L’usine pilote de production d’hydrogène à partir d’énergie solaire et d’eau de mer dessalée… au gaz naturel

Une partie du gaz produit est aussi transportée par camions-citernes jusqu’à des stations-service de la ville, où les propriétaires de voitures à hydrogène peuvent faire le plein.

« Nous testons les différentes possibilités, pour déterminer quelle est la meilleure utilisation qu’on peut faire de l’hydrogène », explique M. Ismaïl, précisant que l’usine produit 20,5 kg de gaz par heure.

Mais l’eau utilisée pour produire cet hydrogène vert (il en faut 10 litres pour produire un kilo de gaz) provient d’usines de désalinisation fonctionnant… au gaz naturel – le processus d’électrolyse permettant de fabriquer de l’hydrogène ne fonctionne pas avec de l’eau salée.

« Le qualificatif « vert » fait toujours référence à la source d’électricité utilisée », défend Hesham Ismaïl, illustrant que l’hydrogène rose est produit à partir d’énergie nucléaire, peu importe d’où vient l’eau pour le produire.

La DEWA projette de changer d’ici 2050 ses systèmes de désalinisation de l’eau de mer, présentement par distillation alimentée au gaz, pour des solutions plus « durables » comme l’osmose inversée alimentée par des énergies renouvelables – l’entreprise publique produit 1,9 milliard de litres d’eau douce par jour.

Cap sur la carboneutralité

L’objectif que s’est donné l’émirat de Dubaï de produire 100 % de son électricité à partir d’énergies renouvelables d’ici 2050, principalement à partir de l’énergie solaire, « a un sens économique », puisque l’énergie solaire coûte moins cher que le gaz, mais il s’explique aussi par des questions d’indépendance énergétique, observe Pierre-Olivier Pineau, titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie de HEC Montréal.

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La tour de la centrale solaire Noor 1, haute de 262 m

Car les Émirats arabes unis (EAU), 7pays producteur de pétrole du monde et 15producteur de gaz – derrière le Canada, qui est 4e pour le pétrole et 6e pour le gaz –, sont malgré tout un importateur net de gaz.

« Ça explique d’autant plus leur empressement à réduire leur consommation », souligne M. Pineau, qui y voit aussi une question d’image, les Émirats voulant « se positionner stratégiquement comme un pays tourné vers l’avenir, qui embrasse les technologies propres ».

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Pierre-Olivier Pineau, titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie de HEC Montréal

Mais les EAU sont aussi assis sur « un potentiel d’efficacité énergétique immense », eux qui sont les quatrièmes consommateurs d’énergie par habitant de la planète, pointe M. Pineau, soulignant que le Canada arrive 6e à ce chapitre.

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Les États producteurs d’énergie se l’offrent à faible prix et en consomment beaucoup plutôt que de la valoriser, une approche « complètement imbécile », juge M. Pineau.

« Ce n’est pas un hasard si les plus gros consommateurs d’énergie par habitant sont aussi des producteurs de pétrole, dit M. Pineau. C’est la même situation au Québec avec notre hydroélectricité. »

Une centrale hydroélectrique dans le désert

Dubaï mise aussi sur l’hydroélectricité pour atteindre la carboneutralité. Une nouvelle « centrale hydraulique à réserve pompée » d’une capacité de 250 MW est en cours de construction près du réservoir de Hatta, construit dans les années 1990 pour irriguer cette région montagneuse à la frontière du sultanat d’Oman et y fournir de l’électricité localement. Ce type de centrale fonctionne avec deux réservoirs : après avoir fait tourner les turbines en période de pointe de consommation, l’eau est repompée dans un réservoir surélevé, généralement pendant la nuit, pour pouvoir être utilisée à nouveau. Sa mise en service est prévue pour la fin de 2024, « inch Allah » [si Dieu le veut], a indiqué à La Presse un représentant de l’Autorité de l’électricité et de l’eau de Dubaï.

En savoir plus
  • 3,5 millions
    Population de Dubaï
    Source : Autorité de l’électricité et de l’eau de Dubaï
    4,7 millions
    Nombre de personnes travaillant quotidiennement à Dubaï
    Source : Autorité de l’électricité et de l’eau de Dubaï