Le projet de production d’hydrogène vert à Shawinigan, proposé par TES Canada, sème la controverse depuis son annonce. Le débat porte principalement sur la menace qu’il pourrait présenter au monopole d’Hydro-Québec. Mais au-delà de ce débat, est-ce que le projet offre la meilleure utilisation de nos ressources énergétiques pour assurer un « Québec plus vert et plus prospère » ? Nous tentons d’y répondre.

Produire de l’hydrogène vert est un procédé énergivore et coûteux. Selon l’utilisation finale qu’on en fait, les besoins de production d’électricité peuvent être de 3 à 14 fois plus élevés par rapport à des solutions d’électrification directe.

Pour cette raison, de nombreuses études soulignent qu’il faut veiller à maximiser son exploitation en misant sur les secteurs « sans regret », c’est-à-dire ceux ne se prêtant pas à une utilisation directe de l’électricité, comme les industries à forte intensité énergétique (par exemple, la sidérurgie), la production d’engrais et le secteur maritime.

Le projet de TES Canada propose de combiner 66 % de sa production d’hydrogène vert à du carbone (CO2) pour produire du gaz naturel « synthétique » (aussi appelé e-gaz) pour injection dans le réseau gazier d’Énergir. Le projet vise une production de 115 millions de mètres cubes d’e-gaz en 2030, soit seulement 1,5 % de la consommation de gaz naturel au Québec en 2022. Pour que l’e-gaz n’empire pas la crise climatique, ce CO2 devra provenir de source carboneutre.

Combien d’électricité renouvelable ça va demander ?

L’ajout d’une étape de transformation vers de la production d’e-gaz pour injection dans le réseau gazier ne fera qu’exacerber les pertes énergétiques. D’un point de vue scientifique, ce procédé est une aberration énergétique, car il est contraire à la recherche d’efficience des transformations de l’énergie entre différentes formes jusqu’à son usage final.

Selon nos calculs « optimistes », l’utilisation de l’e-gaz pour le chauffage de bâtiment entraînerait une perte énergétique globale d’environ 70 %, en raison des pertes à travers la chaîne de conversion de l’électricité vers l’hydrogène, de l’hydrogène vers l’e-gaz et de l’e-gaz vers de la production de chaleur. Autrement dit, chauffer un bâtiment à partir d’e-gaz demanderait presque huit fois plus d’électricité que si on l’utilisait directement pour se chauffer à partir d’une thermopompe efficace.

Dans le cas d’une utilisation dans les procédés industriels de basse température (par exemple, 200 oC), soit la majorité des besoins en gaz dans le secteur industriel, l’utilisation de l’e-gaz demanderait près de cinq fois plus d’électricité qu’une utilisation directe.

Combien ça va coûter ?

En raison des énormes besoins d’électricité et des pertes énergétiques dans sa production, l’e-gaz sera coûteux non seulement à produire, mais aussi à consommer. Selon nos estimations, ce coût serait environ 90 $ le gigajoule (GJ). En comparaison, le gaz naturel se vend actuellement à environ 7 $ le gigajoule au Québec, redevance carbone comprise, et le gaz naturel renouvelable à 20 $ le gigajoule. Nous avons exclu plusieurs coûts de notre estimation, comme celui du CO2 biogénique, pour lequel il existe peu d’information. Le coût réel pourrait donc être plus élevé.

Le projet sera-t-il rentable sans subvention ?

TES Canada dit pouvoir réaliser son projet de 4 milliards sans subvention. Son montage financier est confidentiel, mais il est raisonnable de penser que le projet bénéficiera de divers crédits d’impôt, d’avantages fiscaux et d’autres mesures qui s’offrent aux grandes entreprises.

Le projet prévoit également « faire partie des programmes de gestion de la pointe d’Hydro-Québec », comme celui d’Option de gestion de la demande de puissance. Juste le bloc de 150 MW accordé à TES pourrait lui rapporter plus de 8 millions. Si on tient compte de l’autoproduction d’énergie éolienne et solaire (1000 MW) et de la valeur croissante de ces crédits d’ici 2032, cette source de revenus, payée par la société d’État, sera beaucoup plus élevée.

D’autres investissements provenant de fonds publics (par exemple, la Banque de développement du Canada, Investissement Québec ou la Caisse de dépôt et placement du Québec) pourraient aussi éventuellement contribuer au projet. Les « subventions » peuvent donc être indirectes.

Besoin de transparence

Dans le cadre de ses consultations, TES Canada indique que son projet est « essentiel à la décarbonation du Québec ». Notre analyse suggère toutefois que la chaîne de l’e-gaz s’annonce compliquée, inefficace et coûteuse.

L’hydrogène vert jouera un rôle dans la transition énergétique, mais pour que sa contribution à la décarbonation soit optimale, les prémisses du projet de TES Canada doivent être transparentes et appuyées par des données probantes rendues publiques.