La construction du plus important parc éolien au pays divise la petite communauté de Saint-Ferréol-les-Neiges, près de Québec. Le conseil municipal appuie le projet. Mais des citoyens craignent que les imposantes éoliennes ne fassent de l’ombre au parc du Mont-Sainte-Anne.

(Saint-Ferréol-les-Neiges) Pierre Harvey disparaît un instant puis revient avec des documents plein les mains. L’ancien olympien les étale sur sa table à manger. Il pointe une carte et commence à expliquer.

« Tu vois, c’est ici qu’ils vont installer les éoliennes. Ça, c’est le parc du Mont-Sainte-Anne. C’est tout près. C’est ça qui nous fait peur. »

Cet ancien fondeur et coureur cycliste, père d’Alex Harvey, vit à Saint-Ferréol-les-Neiges depuis 1988. À l’époque, la municipalité située à une quarantaine de minutes de Québec comptait tout juste la moitié de ses 3800 habitants actuels. Mais déjà, elle attirait de nouveaux résidants pour sa proximité avec la nature.

« L’attrait ici, c’est le parc. Alors si tu viens construire des éoliennes de 200 m collées sur le parc… Quand on va débarquer de la télécabine en haut, tout ce qu’on va voir, ce sont des éoliennes », lâche Pierre Harvey, qui dit craindre l’effritement de l’attrait qu’exerce le parc du Mont-Sainte-Anne sur les touristes et les visiteurs.

IMAGE TIRÉE DE L’ÉTUDE D’IMPACT

Simulation visuelle au sommet du mont Sainte-Anne, en regardant vers le nord

La demande d’électricité grimpe sans cesse au Québec. Hydro-Québec veut tripler d’ici 2035 la capacité de production éolienne. Les projets vont se multiplier dans la province, et les enjeux d’acceptabilité sociale aussi.

Le mégaprojet Des Neiges, développé par Boralex, Hydro-Québec et Énergir, sera le plus important au Canada avec une capacité de 1200 MW à l’issue de ses trois phases. La première, le secteur sud, va se déployer juste au nord de Saint-Ferréol. La construction doit débuter au printemps 2025.

CARTE TIRÉE DU SITE INTERNET DES PARCS ÉOLIENS DE LA SEIGNEURIE DE BEAUPRÉ

Des citoyens s’inquiètent de l’impact qu’aura le secteur sud du projet éolien Des Neiges sur le parc du Mont-Sainte-Anne.

Des citoyens, dont Pierre Harvey, s’inquiètent de la proximité des éoliennes avec le parc du Mont-Sainte-Anne. La plus proche sera à un demi-kilomètre. Les opposants ont lancé une pétition qui a recueilli quelque 1200 signatures. Ils demandent une zone tampon de 3 km.

« On comprend que l’énergie éolienne, on aime mieux ça que le nucléaire ou que construire des barrages et harnacher des rivières, lance Pierre Harvey. Mais laissez-nous une zone tampon ! »

Pas de règle pour le Mont-Sainte-Anne

Le schéma d’aménagement de la MRC de la Côte-de-Beaupré stipule « qu’aucune éolienne ne peut être implantée à moins de trois kilomètres des limites du parc national de la Jacques-Cartier et de la Forêt Montmorency », à moins d’être invisible.

Au grand dam des opposants, les règles de la MRC ne disent rien du parc de la Station touristique du Mont-Sainte-Anne, qui inclut la célèbre station alpine, mais aussi un important centre de ski de fond et des pistes de vélo de montagne.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Le mont Sainte-Anne

L’entreprise Boralex, qui est gestionnaire du projet et s’occupera de son opération, répond que c’est impossible : si elle doit respecter une zone tampon de 3 km, il faudra retirer 17 des quelque 70 éoliennes que doit compter le projet.

« Retirer 17 éoliennes rendrait le projet non viable complètement, car on serait incapables d’atteindre les 400 MW qu’on s’est engagés à fournir » à Hydro-Québec, notait récemment Pascale Fortin-Richard, responsable, environnement et relations avec le milieu, chez Boralex, lors d’une soirée d’information du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE).

Ce qui inquiète aussi certains citoyens, c’est l’ampleur du parc. Le projet de 1 milliard doit compter 67 éoliennes qui seront parmi les plus hautes au Québec, à près de 200 mètres avec la pale.

Boralex se fait toutefois rassurante. Elle a procédé à plusieurs simulations visuelles et l’impact est « limité » selon l’entreprise. « C’est sûr qu’il va y avoir une visibilité, on ne le cache pas. Ceci dit, je pense que chacun peut se faire une idée sur à quel point l’impact est important par la suite. Nous, on pense que ça peut bien s’harmoniser. »

Un village divisé

Le projet Des Neiges a créé bien des divisions à Saint-Ferréol. « Ça a brassé un petit peu », concède la mairesse Mélanie Royer-Couture, en référence à une séance du conseil municipal début décembre.

Des citoyens ont défilé au micro pour exprimer leurs craintes. Mais la mairesse de Saint-Ferréol et le conseil ont formellement appuyé le projet, tous comme les autres maires de la MRC.

« Est-ce que ça va impacter le paysage au point que les gens ne viennent plus visiter notre municipalité ? Je ne pense pas. Je ne pense pas qu’il y aura un impact négatif sur notre région », avance Mme Royer-Couture.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

La mairesse de Saint-Ferréol-les-Neiges, Mélanie Royer-Couture

Le fait qu’une éolienne n’est pas belle dans le paysage, c’est subjectif d’une personne à l’autre.

Mélanie Royer-Couture, mairesse de Saint-Ferréol-les-Neiges

La mairesse rappelle que l’éolienne la plus proche sera à 5 km du sommet de la station de ski. La plus proche des pistes de ski de fond sera située à une distance de 1,7 km.

Le projet sera par ailleurs installé sur des terres privées de la Seigneurie de Beaupré, qui appartiennent au Séminaire de Québec, rappelle la mairesse. Même si elle le voulait, la municipalité aurait donc très peu de marge de manœuvre pour s’opposer à un projet à la limite de son territoire.

Les promoteurs discutent par ailleurs avec la MRC de Beaupré d’une redevance pour les municipalités. Saint-Ferréol dépend un peu trop des taxes foncières, note la mairesse, et de nouveaux revenus seraient bienvenus.

« Et puis, on est en 2023 dans un tournant climatique et énergétique. Il faut considérer le plus grand bien et non juste nos intérêts personnels », ajoute Mme Royer-Couture.

Pierre Harvey se dit bien d’accord avec la mairesse sur ce point.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

L’ancien olympien Pierre Harvey vit à Saint-Ferréol-les-Neiges depuis 1988.

On ne veut pas être égoïstes, on est pour l’énergie verte, on est pour l’économie du Québec. On dit : “Pourquoi pas ne pas les mettre plus loin, à 3 km ?”

Pierre Harvey, résidant de Saint-Ferréol-les-Neiges

Selon Pierre Harvey, le parc éolien risque de nuire à l’attrait du parc du Mont-Sainte-Anne. Un tel développement serait, selon lui, inconcevable autour d’une autre station d’envergure plus près de Montréal.

« Pensez-vous que si on installait autant d’éoliennes au pied de la montagne à Tremblant, il n’y aurait pas de réactions ? », demande M. Harvey. « À Bromont, ça ne passerait pas, ça ! Ici à Saint-Ferréol, on est comme le dindon de la farce », accuse l’homme, qui se dit « abandonné » par les élus locaux.

Une audience publique en vue ?

Hydro-Québec pourrait-elle demander à ses partenaires une zone tampon avec le parc du Mont-Sainte-Anne ? « Le processus actuel mené par le BAPE, qui permet de recueillir les commentaires et préoccupations des citoyens et de s’assurer que le projet répond aux attentes du Ministère, est justement en place pour améliorer l’acceptabilité sociale du projet. Nous faisons confiance à la fois à ce processus et à notre partenaire pour en arriver au meilleur projet possible », a notamment répondu la société d’État dans un courriel.

Le BAPE a reçu 16 demandes de consultation publique. Le ministère de l’Environnement a jusqu’au 10 janvier pour étudier leur recevabilité. Le gouvernement pourrait ensuite décréter la tenue d’une audience publique ou d’une médiation.

Le gestionnaire albertain du Mont-Sainte-Anne, Resorts of the Canadian Rockies (RCR), a dit préférer ne pas commenter ce dossier dans un courriel à La Presse.

Le plus grand parc éolien au Canada

Les terres du Séminaire de Québec près de la capitale constituent le plus grand territoire privé du Canada. C’est ici, dans la Seigneurie de Beaupré, que Boralex, Énergir et Hydro-Québec veulent ériger les trois phases du projet éolien Des Neiges. En comptant les 164 éoliennes déjà installées sur ce territoire depuis quelques années, le mégaprojet comptera à terme 365 éoliennes avec une capacité totale de 1564 MW.