« Fermée – Attention, glace mince » : de la Gaspésie à l’Abitibi, en passant par le Saguenay, la majorité des patinoires extérieures de la province sont impraticables à cause du temps doux et de la pluie. Et avec le mercure qui a fracassé des records en 2023, Montréal a même renoncé à aménager cet hiver une glace sur l’étang du parc Jarry, pourtant un classique hivernal, lieu emblématique prisé par les patineurs depuis des années.

À Lebel-sur-Quévillon, l’une des villes du Nord-du-Québec les plus touchées par les incendies de forêt l’été dernier, il n’y a pas de patinage extérieur comme le veut pourtant la tradition durant le congé de Noël. Le maire de cette municipalité de la Jamésie de 2091 habitants raconte avec dépit que la pluie a eu raison de la neige du début de l’hiver, puis de la glace.

« D’habitude, un beau sentier glacé est aménagé pour patiner par nos équipes de la voirie », explique le maire Guy Lafrenière, joint chez lui, entouré de sa famille. « Cette année, notre sentier est fermé aux patineurs. Il est sur le gravier. Quand je regarde par la fenêtre de mon salon, je vois de la pelouse sur 80 % de mon terrain. Je n’ai pas encore réussi à sortir ma motoneige ni mes raquettes. »

L’aréna est normalement fermé durant le temps des Fêtes, mais on a décidé de faire un spécial. De l’ouvrir pour permettre aux familles de patiner. C’est plate pour nos enfants.

Guy Lafrenière, maire de Lebel-sur-Quévillon

Dans l’île de Montréal, à peine une demi-douzaine de glaces extérieures sur un total de 200 sont ouvertes au patinage – toutes sont réfrigérées. Au parc Jarry, la fameuse patinoire sur l’étang est à l’eau. L’endroit est désert. Un écriteau annonce que l’arrondissement a renoncé à l’ouvrir cet hiver en raison des soubresauts de la météo.

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« Les gels et dégels successifs qui caractérisent nos hivers rendent la glace de l’étang du parc Jarry instable », peut-on lire sur cette affiche.

Dans le parc du Mont-Royal, la fameuse patinoire réfrigérée du lac aux Castors est ouverte. Mais elle est déserte en ce mercredi midi. Des marcheurs se promènent ici et là, avec leurs chiens, notamment autour de l’anneau de glace du parc Duquette, à Verdun, fermé lui aussi.

« Ça m’affecte pour eux »

Les conditions « ne sont pas optimales », convient Philippe Sabourin, premier porte-parole à la Ville de Montréal. Mais les équipes seront prêtes à aménager les autres patinoires dès que le temps le permettra, assure-t-il. « Ce n’est pas tant la chaleur que la pluie, le plus grand problème. »

À Matane, aux portes de la Gaspésie, il est quasiment impossible de patiner à l’extérieur. Sur une page de la municipalité, les administrateurs préviennent les usagers que la patinoire est fermée jusqu’à nouvel ordre. « Il y a des parties sur l’asphalte. Pour votre sécurité, nous vous recommandons de ne pas patiner », est-il indiqué.

Ces municipalités sans patinoire
  • Saint-Adelphe, dans Lanaudière

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    Saint-Adelphe, dans Lanaudière

  • Sainte-Béatrix, dans Lanaudière

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    Sainte-Béatrix, dans Lanaudière

  • Saint-Jérôme, dans les Laurentides

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    Saint-Jérôme, dans les Laurentides

  • Chénéville, en Outaouais

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    Chénéville, en Outaouais

  • Cacouna, dans le Bas-Saint-Laurent

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    Cacouna, dans le Bas-Saint-Laurent

  • Saint-Hilarion, dans Charlevoix

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    Saint-Hilarion, dans Charlevoix

  • Les Bergeronnes, sur la Côte-Nord

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    Les Bergeronnes, sur la Côte-Nord

  • Saint-Zénon, dans Lanaudière

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    Saint-Zénon, dans Lanaudière

  • Les Éboulements, dans Charlevoix

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    Les Éboulements, dans Charlevoix

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L’absence de patinoires extérieures déçoit petits et grands. « Généralement, je fais une patinoire dans ma cour. Cette année, je ne peux pas en faire, parce qu’il n’y a pas de neige, et surtout, il ne fait pas froid », dit Denis Thomas, rencontré mercredi à l’aréna Étienne-Desmarteau, dans le quartier Rosemont, à Montréal. Il assistait à l’entraînement de son fils Jérémie, 10 ans, qui fait partie de l’équipe de hockey Montréal Élite. Le père de famille envisage d’acheter une glace synthétique pour permettre à ses enfants de patiner malgré la température. « Surtout qu’ils n’ont pas d’école. »

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Que du gazon entre les bandes de ce qui devait être une patinoire, au parc Jarry

Quelques mètres plus loin, Merlange Antoine se désole que les patinoires extérieures publiques ne soient pas ouvertes. « Ça m’affecte pour eux », dit-elle en pointant les jeunes hockeyeurs devant elle. « On voit vraiment l’impact des changements climatiques. C’est palpable. » Son fils Andy, 10 ans, est un grand adepte de la patinoire extérieure située en face de leur domicile. Puisqu’elle est fermée, il doit se contenter de ses entraînements à l’aréna.

Des arénas achalandés

La Ville de Saguenay a annoncé par communiqué, mardi, la fermeture de toutes ses glaces en raison des conditions climatiques. Dans le secteur de Chicoutimi, au parc de la Rivière-du-Moulin, il est « obligatoire de porter des crampons » dans les sentiers, où une sorte de croûte s’est formée.

C’est dangereux. On est sur une sorte de croûte glacée à grandeur. On n’a plus de ski de fond, plus de raquette. Les patinoires, c’est un éternel recommencement à cause de la pluie. On a ouvert la petite portion familiale, mais de peine et de misère.

Myriam Painchaud. préposée au parc de la Rivière-du-Moulin

Dans les Laurentides, la saison de patinage n’a pas encore commencé sur le lac Masson. À Magog, dans les Cantons-de-l’Est, patinoires, glissades et sentiers sont fermés. En Mauricie, la majorité des glaces extérieures sont également fermées. Un patineur et employé de l’aréna Fernand-Asselin, à Trois-Rivières, raconte que la patinoire est achalandée de l’ouverture à la fermeture.

« C’est toujours achalandé durant le temps des Fêtes, mais cette année, c’est incroyable. C’est complet pour le hockey libre et les heures de patinage libre », explique Dominique Roberge.

Déception pour les amateurs de sports d’hiver

Mais il n’y a pas que le manque de glace qui change les plans de milliers de Québécois en vacances. Un peu partout, on se désole de ne pas pouvoir pratiquer ses sports d’hiver pendant le temps des Fêtes. Comme Lise Roche, qui a réservé cinq nuits à l’auberge au Domaine Saint-Bernard à Mont-Tremblant, terrain de jeu bien bien connu des fondeurs et raquetteurs. « Ça fait des années qu’on veut y aller pour le ski de fond. C’est 80 km de sentiers. Le paradis ! », s’exclame-t-elle. Elle avait loué un chalet qui pouvait accueillir les 16 membres de la famille Roche, tous amateurs de sports d’hiver.

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Domaine Saint-Bernard, à Mont-Tremblant

Sauf que… les sentiers de ski de fond sont fermés jusqu’à nouvel ordre. « J’ai parlé mercredi matin avec la responsable et c’est une croûte de glace et elle fond. Et il n’y a pas un brin de neige d’annoncé », se désole Mme Roche. Et la famille ne pourra pas enfiler ses patins non plus.

PHOTO FOURNIE PAR LA FAMILLE ROCHE

La famille Roche dans un sentier du mont Sutton lors du temps des Fêtes de 2022

Il n’y a rien. Les lacs ne sont pas gelés et les patinoires extérieures ont fondu.

Lise Roche

La famille se résignera à jouer à la pétanque et au hockey bottine et à faire des marches, en misant sur ce qui compte le plus : « L’important, c’est d’être tout le monde ensemble », souligne Mme Roche. Elle a toutefois une pensée « pour les entreprises qui vivent de l’hiver et qui manquent cette période-là ».

Et pour cause. Les températures des dernières semaines ont aussi un impact sur les centres de ski alpin. Au total, 47 des 73 stations de ski de la province sont ouvertes. « Les stations qui ont des canons à neige de plus vieille technologie ou qui n’en ont pas du tout se voient dans l’obligation de retarder leur ouverture », explique Josée Cusson, directrice des communications et du marketing à l’Association des stations de ski du Québec.

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

Le parc Jarry, à Montréal

Et les stations ouvertes « se retrouvent avec des conditions printanières à cause des températures plus douces », indique Mme Cusson. Le domaine skiable tourne autour de 30 à 40 % dans la plupart des stations. « Habituellement, l’objectif, pour Noël, c’est d’avoir environ 60 % de domaine skiable, donc on est un petit peu en dessous des normales. La pluie, lundi avant Noël, a eu un impact sur le nombre de pistes ouvertes. »

Pas de neige avant plusieurs jours

Selon les prévisions d’Environnement Canada, le temps froid et la neige ne s’installeront pas sur la province avant plusieurs jours. Et l’arrivée de plus en plus tardive de l’hiver n’est pas qu’une impression.

PHOTO JOSIE DESMARAIS, ARCHIVES LA PRESSE

Cette patinoire du Plateau-Mont-Royal n’était pas praticable au passage de La Presse, le 17 décembre.

Des données rendues publiques par la Ville de Montréal montrent que, depuis cinq ans, la métropole reçoit en moyenne moins de 8 centimètres de neige en décembre. Même phénomène en mars. En revanche, les précipitations sont plus importantes en janvier et février.

Juste avant les Fêtes, la mairesse Valérie Plante a été questionnée en point de presse sur ses projets de réfrigération des patinoires extérieures. Notamment pour aménager un anneau de glace dans le parc Angrignon, à LaSalle. Est-ce que ce sont des projets d’avenir ? lui a-t-on demandé.

La mairesse de Montréal avait alors rappelé que des dizaines de millions de dollars avaient dû être investis ces dernières années pour débarrasser les arénas de leurs systèmes de réfrigération au fréon, un gaz nocif pour la couche d’ozone. Elle a invité la population à profiter de la patinoire illuminée de l’esplanade Tranquille, dans le Quartier des spectacles, au centre-ville.

40 jours d’ici 2090

En 2015, des chercheurs de l’Université Wilfrid-Laurier à Waterloo, en Ontario, ont prédit qu’il ne resterait qu’une quarantaine de jours de patinage en moyenne, à Montréal et à Toronto, d’ici 2090. Afin de parvenir à ces conclusions, les professeurs Colin Robertson et Robert McLellan avaient décortiqué les données du projet citoyen Rink Watch, formé de patineurs qui chaque hiver documentent la qualité de la glace et leurs observations.

Source : Université Wilfrid-Laurier