(Saint-Télesphore) « Prochain mot : une é-toile. Les première année, ça commence avec un e accent aigu, qu’on travaille cette semaine ! », lance l’enseignante Marie-Helen Townshend à la quinzaine d’élèves concentrés sur leurs cartes de bingo.
Le-houx-avec-son-h-muet, la mère Noël et le renne sont illustrés sur les grilles des petits de la maternelle, mais celles des élèves de première et deuxième année n’affichent que des mots.
« C’est la même activité, avec des niveaux différents, résume Mme Townshend. Mais s’il y en a un qui a beaucoup de difficulté, je vais lui montrer la carte avec le dessin : si un élève a eu de la difficulté à apprendre l’alphabet la première fois, il va le revoir en deuxième ou troisième année parce qu’on l’enseigne aux autres. Ça fait un renforcement. »
La porte de côté s’ouvre, laissant entrer les plus vieux pour la période d’art dramatique. Tous les enfants se retrouvent alors dans la même classe multi-niveaux, comme en 1919, lorsque la bâtiment a été construit et inauguré.
Au milieu du mur du fond, entre le tableau blanc et l’écran géant, un placard cache l’emplacement de l’ancienne cheminée. Mais ne cherchez pas le poêle à bois : avec ses petites tables en demi-lune et son environnement multicolore, le décor ressemble à celui de n’importe quelle classe de primaire québécoise.
Cette petite école située à quelques minutes de la frontière ontarienne a bien failli ne pas se rendre au XXIe siècle.
Au début des années 1990, la commission scolaire Lakeshore, dont elle faisait alors partie, a voulu la fermer pour réduire ses dépenses. La communauté s’est retroussé les manches, et a agrandi le bâtiment à ses frais, à coups de dons en argent, en temps, en biens et en services. Résultat, 29 élèves admissibles à l’enseignement en anglais la fréquentent cette année. De mémoire, c’est un record. « Le plus qu’on ait jamais eu, c’est 26 », souligne Mme Townshend, qui enseigne ici depuis 18 ans. Saint-Télesphore comptant moins de 800 habitants, les élèves viennent de Les Coteaux, Saint-Zotique, Saint-Polycarpe, Sainte-Justine-de-Newton et Rivière-Beaudette, sur le territoire de la commission scolaire Lester-B.-Pearson.
Cinq générations
« On m’avait dit que c’était une belle vieille école. J’adore la structure de jeu ! », s’exclame Jack McGregor-Smith entre deux glissades. Inscrit en première année, il représente la cinquième génération de sa famille à étudier ici. Son petit frère le rejoindra bientôt en maternelle. Il ne sera pas le seul. Sur 29 élèves, on compte une famille de quatre enfants, trois fratries de trois, et plusieurs familles de deux.
Everlie, 11 ans, a fréquenté une école traditionnelle avant d’arriver ici l’an dernier. « C’était bizarre, parce qu’il n’y avait pas beaucoup de gens », raconte cette élève qui s’est retrouvée à être la seule fille en cinquième année. « En premier, c’était difficile, mais je suis contente », témoigne celle qui aime « que les professeurs ne changent pas chaque année » et trouve « plus facile » d’apprendre dans cet environnement où se côtoient plusieurs niveaux.
Bilingue et multi-niveaux
Soulanges étant une école bilingue, le temps d’enseignement est réparti à peu près également entre l’anglais et le français. Kate Clare, que les enfants appellent Miss Clare, enseigne l’anglais, les maths et l’éthique, alors que Mme Townshend transmet les autres matières en français.
Les élèves sont divisés en deux groupes d’âge. Les enseignantes se retrouvent donc devant de petites classes, mais doivent y enseigner plusieurs niveaux simultanément.
« Nous faisons de la différenciation pédagogique sur les stéroïdes », blague Miss Clare. La différenciation pédagogique, une approche prônée par Québec, demande de s’ajuster aux capacités, besoins et intérêts des élèves. Lorsque Miss Clare présente les notions de mathématiques de sixième année, les plus jeunes les entendent aussi.
« Pour les enfants qui apprennent plus vite, c’est bien parce qu’ils ne s’ennuient pas. Ils sont stimulés, les plus vieux aident les plus jeunes », constate l’enseignante anglophone.
« C’est beaucoup plus de planification : chaque jour, on a sept niveaux à préparer, puisqu’on voit les deux classes », note toutefois Mme Townshend.
« Si vous enseignez la troisième année durant toute votre vie, vous pouvez travailler avec le même roman. Moi, je ne peux pas utiliser l’histoire de l’an dernier, ils l’ont déjà entendue », ajoute sa collègue.
C’est l’heure de la récréation, les enfants se précipitent dans la cour. La petite école de rang n’ayant pas de gymnase, c’est aussi dehors qu’ils suivent leurs cours d’éducation physique. Lorsque les terres voisines se couvriront de neige, les jeunes auront l’embarras du choix. Le champ d’en face, sur le chemin Saint-Georges, sert pour la raquette et le ski de fond. Et de l’autre côté, le long de la route 325, la butte est parfaite pour la glissade...
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Nombres d’écoles de rang au Québec en 1951
Source : Jacques Dorion, « Un patrimoine à découvrir : Les écoles de rang », Cap-aux-Diamants, numéro 75, automne 2003