Québec et la Fédération des syndicats de l’enseignement entreprennent des pourparlers plus intenses. Jeudi, des profs affiliés à la FAE ont bloqué le Port de Montréal.

Le gouvernement Legault et la Fédération des syndicats de l’enseignement (FSE-CSQ) sont entrés dans un blitz de négociations en fin de journée jeudi, alors que les pourparlers se sont poursuivis toute la nuit et sont toujours en cours vendredi matin.

C’est la première fois que les parties ont des échanges aussi intenses depuis le début des négociations. Ce blitz est significatif même si on ne peut présumer du résultat.

Mardi, la FSE-CSQ, qui représente 60 % des enseignants et qui fait partie du Front commun, avait rejeté la nouvelle offre du gouvernement Legault en la qualifiant de « show de boucane ». Elle avait déposé le lendemain une contre-proposition qui « s’appuie sur les priorités des enseignants, soit la composition de la classe et l’allégement de la tâche ».

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Josée Scalibrini, présidente de la Fédération des syndicats de l’enseignement (FSE-CSQ)

Toujours mercredi, le premier ministre François Legault avait rencontré ses ministres Bernard Drainville (Éducation) et Sonia LeBel (Conseil du trésor) pour trouver des moyens de dénouer l’impasse.

Les négociations se sont intensifiées jeudi après-midi et le tempo s’est accéléré encore par la suite, si bien que les parties sont entrés dans un fameux blitz.

C’est un signal positif, mais on restait prudent de part et d’autre. Il reste encore du travail à faire, prévenait-on.

La Fédération autonome de l’enseignement (FAE), en grève générale illimitée depuis le 23 novembre, était aussi en discussion avec le gouvernement jeudi, mais elle n’a pas répondu à nos messages pour faire un état de la situation en fin de soirée.

Un mois à « se battre pour l’école publique »

Les vacances des Fêtes s’amorcent alors que des centaines de milliers d’élèves sont privés d’école depuis maintenant 24 jours. Qui aurait dit que le Québec vivrait, en 2023, une grève de cette ampleur en éducation ? Certainement pas les profs, qui assurent néanmoins qu’ils gardent le cap sur leur objectif : avoir de meilleures conditions de travail.

Jeudi après-midi, La Presse a interpellé au hasard des enseignants qui portaient la tuque rouge brodée du logo de la FAE.

Cécile s’en allait chercher des « légumes pas chers » au marché Jean-Talon. Enseignante en adaptation scolaire au secondaire, elle dit qu’elle a envie de se « battre pour l’école publique », même après un mois sans revenus.

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Cécile, enseignante en adaptation scolaire au secondaire

« Ces enfants-là, je les vois tous les jours. Des enfants qui ne mangent pas à leur faim, des enfants qui savent à peine lire et écrire, de jeunes autistes », énumère la femme, qui a préféré taire son nom de famille.

Française installée au Québec depuis trois ans, elle survit avec les économies qu’elle avait réservées pour obtenir sa résidence permanente.

« Les gens sont très généreux, on a des cartes-cadeaux d’épicerie », illustre Cécile. Elle cite « l’amitié » sur les lignes de piquetage et montre le manteau chaud qui lui a été donné par une collègue.

« Honnêtement, on ne pensait pas que ça allait durer aussi longtemps », dit-elle.

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Manifestation des membres de la FAE en grève à l’entrée du port de Montréal au coin des rues Notre-Dame et De Boucherville

Non loin de là, Véronique marchait au soleil avec ses écouteurs sur les oreilles.

L’impression qu’on a, c’est qu’on veut juste qu’on soit épuisés et qu’on arrête. Ce sont de gros sacrifices. Je pense aux mères de familles monoparentales, aux couples formés de deux profs : c’est énorme, un mois sans salaire, dehors au froid tous les jours. Ça peut être aliénant et difficile.

Véronique, enseignante au secondaire

La proverbiale « vocation », affirme Véronique, ne justifie pas les conditions de travail actuelles. « Je ne compte pas le nombre de collègues que j’ai vus partir », ajoute-t-elle.

Lui aussi enseignant au secondaire, Mohamed observe que sur les piquets de grève, des enseignants en fin de carrière « commencent à monter le ton ».

« J’en connais qui sont à un an de la retraite, ils disent qu’ils perdent du salaire pour rien parce qu’ils ne vont jamais profiter de la nouvelle convention », souligne ce prof, qui craint de se mettre ses collègues à dos s’il témoigne ouvertement.

Mais la « tendance générale », observe-t-il, c’est que les enseignants veulent aller jusqu’au bout.

« On a le sentiment d’être pris pour des idiots. On se sent blessés et pas respectés », poursuit l’homme, qui est encore aux études pour obtenir son brevet d’enseignement.

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Un règlement avant Noël ? Comme bien d’autres, il n’y croit plus. Avant la fin de l’année, peut-être… Vincent, prof du secondaire, affirme pour sa part qu’il ne s’attend à rien avant la semaine du 8 janvier.

Une grande manifestation citoyenne vendredi

Jeudi matin, des enseignants de la Fédération autonome de l’enseignement (FAE) se sont rassemblés devant les ports de Montréal et de Québec, puisqu’ils estiment que le gouvernement les « mène en bateau » dans les négociations actuelles.

Dans un communiqué, la FAE a expliqué que ses membres avaient décidé de « bloquer le port de Montréal, puisque le seul argument que le gouvernement semble comprendre, c’est l’argent ».

Le Port de Montréal a confirmé que cette manifestation avait eu des impacts « importants » sur ses activités lors du début de la journée de jeudi, alors qu’environ 25 % des camions attendus n’ont pas pu faire leurs transactions.

Ce vendredi midi, c’est devant les bureaux du premier ministre François Legault, rue Sherbrooke Ouest, que se tiendra un rassemblement en appui aux enseignantes. Il s’agit d’une initiative citoyenne.

L’évènement sera animé par le comédien et auteur Vincent Bolduc et regroupera des artistes, parmi lesquels figurent Catherine Ethier, Simon Boulerice, Étienne Marcoux, Hubert Proulx, Sophie Cadieux et Steve Gagnon.

Marie-Josée Latour, enseignante en grève, dit que ça fait des semaines que des gens de son entourage lui demandent comment soutenir les profs. « Je leur ai dit : manifestez-vous publiquement. On peut faire nos actions syndicales, mais il faudrait que la population fasse quelque chose », dit Mme Latour. C’est ainsi, dit-elle, qu’est né l’évènement.

Avec La Presse Canadienne