Il y a un mois, Québec a largué une bombe sur les universités anglophones. En voulant s’attaquer à deux enjeux d’un seul coup, le français et le financement universitaire, la Coalition avenir Québec (CAQ) a complètement raté sa cible. À la fin, il n’y aura que des dommages.

Heureusement, il n’est pas trop tard pour ajuster le tir. Et il existe une solution de rechange honorable et respectable qui répondrait aux objectifs du gouvernement sans causer de dégâts.

Alors de grâce, Québec doit mettre de côté cette idée nocive de doubler les droits de scolarité pour les étudiants hors Québec, qui grimperaient de 9000 $ à 17 000 $ par année.

L’objectif est de récupérer l’excédent pour redistribuer la cagnotte aux universités francophones. Sauf que dans la pratique, des droits aussi prohibitifs feront fuir les étudiants… et il ne restera pas grand-chose à redistribuer.

« Les étudiants vont faire des choix. Ils vont aller ailleurs », dit le recteur de l’Université Concordia Graham Carr qui craint de perdre jusqu’à 90 % des étudiants hors Québec. « Le grand gagnant de tout ça sera l’Ontario, des universités comme Queen’s et l’Université de Toronto », a-t-il ajouté dans le cadre d’une entrevue éditoriale avec La Presse en compagnie des dirigeants des deux autres universités anglophones.

Un beau gâchis en perspective.

Le problème, c’est que la décision de la CAQ repose sur la fausse prémisse que le Québec se fait avoir en finançant les études des jeunes des autres provinces.

Mais ça va dans les deux sens. On ne peut pas occulter le fait que des Québécois vont aussi étudier ailleurs au pays.

En fermant la porte aux 10 671 étudiants des autres provinces, Québec risque de s’attirer des représailles de la part des autres provinces qui pourraient décider d’augmenter la facture des 7617 Québécois qui étudient chez elles.

« Je suis inquiet. On pourrait se retrouver dans une situation où les options pour étudier ailleurs au Canada deviennent prohibitives », prévient Sébastien Lebel-Grenier, principal de l’Université Bishop’s, à Sherbrooke, dont l’existence est carrément remise en question.

Mais la preuve la plus frappante que le plan de la CAQ ne tient pas la route, c’est que même les universités francophones, qui devraient normalement bénéficier de la péréquation, ont expliqué dans une lettre ouverte qu’elles ne voient pas le changement d’un bon œil1. Le président de l’Université du Québec Alexandre Cloutier, le seul à ne pas l’avoir signée, a tout de même affirmé à Radio-Canada qu’il n’avait « jamais demandé ça » à Québec2.

Alors pourquoi Québec irait-il de l’avant avec une mesure dont personne ne veut ?

Hauts lieux de la recherche et de l’innovation, les universités anglophones sont des institutions phares du Québec, pas des ennemis à abattre. Les étudiants hors Québec sont une richesse qu’il faut cultiver. Leur présence amène 427 millions de dollars dans l’économie du Québec3.

Vite, faisons demi-tour.

Comme on le disait d’entrée de jeu, il existe une voie de passage élégante pour tout le monde, une solution à deux piliers qui répondrait aux préoccupations de la CAQ.

Parlons d’abord du financement.

Au lieu de doubler les droits pour tous les étudiants des autres provinces, Québec pourrait adopter une tarification différenciée en fonction des programmes, comme c’est déjà le cas dans les autres provinces.

De cette façon, Québec respecterait le principe fondamental de réciprocité avec les autres provinces, sans nuire à l’attractivité des universités québécoises. Les prix refléteraient tout simplement la logique du marché.

Ainsi, Québec pourrait maintenir son tarif actuel de 9000 $ dans un bon nombre de programmes, mais exiger 12 000 $ en génie, 14 000 $ en administration ou encore 25 000 $ en médecine et en droit, par exemple.

L’excédent serait redistribué aux universités francophones. Disons-le : Québec est parfaitement justifié d’établir une péréquation puisque les universités francophones n’ont pas le même bassin de clientèle que les anglophones, ce qui crée un déséquilibre dans le financement.

Discutons maintenant du français.

Au lieu d’une approche punitive qui viderait le centre-ville des étudiants anglophones, il serait préférable d’adopter une approche positive fondée sur un plan de francisation ambitieux qui assure la vitalité de notre langue au centre-ville de Montréal, une préoccupation fort légitime.

Là-dessus, les universités anglophones tendent déjà la main, en s’engageant à augmenter les cours de français obligatoires, les stages en français ou encore les activités de promotions de la culture québécoise. McGill allait lancer un plan de 50 millions, juste avant que la CAQ largue sa bombe.

« Ce dont on a besoin, c’est un changement de culture », convient Fabrice Labeau, premier vice-principal exécutif adjoint à McGill.

On parle beaucoup de donner des cours de français. Mais ce n’est pas juste ça. La clé, pour nous, c’est vraiment l’intégration dans la culture québécoise.

Fabrice Labeau, premier vice-principal exécutif adjoint à McGill

Montréal est une ville étudiante par excellence. Ne gâchons pas cette réputation enviable en envoyant le message que les étudiants anglophones ne sont plus les bienvenus au Québec. Comme nation, gardons nos portes ouvertes.

François Legault a eu assez d’ouverture pour rencontrer les recteurs des universités anglophones, lundi. C’est tout à son honneur. On ne peut qu’encourager le premier ministre à ajuster son plan initial qui est tombé comme un éclair dans un ciel bleu.

La position de La Presse

Québec devrait mettre en place une stratégie reposant sur deux piliers. Le premier : une modulation des tarifs imposés aux étudiants des autres provinces en fonction des programmes. Le deuxième : un plan ambitieux de francisation des étudiants étrangers.

1. Lisez la lettre ouverte des universités francophones 2. Écoutez l’entrevue avec Alexandre Cloutier, président de l’Université du Québec (segment de 12 h 42) 3. Consultez l’étude La contribution des universités du Grand Montréal à l’économie du Québec