Un grand vent de protection patrimoniale a soufflé sur le Québec la semaine dernière, dans une relative indifférence.

D’un seul coup, le ministre de la Culture, Mathieu Lacombe, a signé des avis légaux qui viendront mettre à l’abri 36 nouveaux éléments. Il s’agit d’une excellente nouvelle, puisque les demandes de protection traînaient depuis des décennies, pour certains de ces biens.

La liste est éclectique. Il y a le Château Bellevue, construit en 1777 sur la Côte-de-Beaupré. Le chemin de croix du Bassin Sud, en Estrie. Le site de l’usine de filtration Atwater, à Montréal. Et quelques éléments « immatériels », dont… la gigue !

Il faudra voir si ces nouvelles désignations seront assorties de budgets suffisants pour assurer leur mise en valeur. Les gigueux et autres amoureux du patrimoine pourraient attendre encore des années avant d’avoir l’heure juste.

Dans l’immédiat, un immense projet de revitalisation patrimoniale suit son cours, discrètement, au cœur de la métropole.

La Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ) élabore depuis juillet des plans pour convertir six pavillons désaffectés de l’ancien hôpital Royal Victoria en 1000 « lits » pour étudiants universitaires.

Ce projet coche plusieurs cases d’une transformation intelligente de bâtiments patrimoniaux. Sur papier, en tout cas.

S’il se concrétise, le complexe réduira un peu la pénurie de logements étudiants qui sévit à Montréal. C’est en soi un excellent usage, beaucoup plus digeste (et utile) pour la communauté qu’une conversion en condos de luxe.

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L’ancien hôpital Royal Victoria est constitué de magnifiques bâtiments du début du XXe siècle.

Autre point à considérer : son maître d’œuvre bénéficie de moyens considérables. La CDPQ pourrait réaliser le chantier en assumant une partie de la facture, à l’extérieur du bilan du gouvernement québécois. Un détail non négligeable en cette période de restrictions budgétaires qui s’annonce.

Le projet permettrait aussi – et surtout – de redonner vie à de magnifiques bâtiments du début du XXe siècle accrochés au flanc du mont Royal, qui risquent autrement de tomber en ruine.

Les locaux sont vacants depuis le transfert des activités de Royal Victoria vers l’hôpital du CUSM en 2015. Élise Proulx, cheffe du développement économique au Québec chez Ivanhoé Cambridge, la filiale immobilière de la Caisse, m’a proposé une visite des lieux la semaine dernière.

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Élise Proulx, cheffe du développement économique au Québec chez Ivanhoé Cambridge, en entrevue dans l’ancien hôpital, en octobre

Je vous le confirme : la désertion des bâtiments transpire – littéralement – par tous les murs. Le décor serait parfait pour tourner une saison entière de la série d’épouvante American Horror Story.

Oui, les immeubles ont bénéficié d’un entretien minimal ces dernières années, gracieuseté de la Société québécoise des infrastructures. Mais les lieux, qui étaient déjà vétustes au moment de la fermeture du « Royal Vic », se dégradent à une vitesse accélérée, ai-je constaté.

De larges morceaux de plafond se sont effondrés un peu partout. Une odeur de moisissure flotte dans l’air. Plusieurs fenêtres sont fracassées. Des graffitis ornent certains couloirs et pièces vides, signe que des squatteurs ont adopté les lieux.

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Une salle d’opération qui servait visiblement d’observatoire aux étudiants en médecine

On retrouve en parallèle quelques parties étonnamment bien conservées, comme cette salle d’opération en céramique vert menthe ou cet auditorium destiné aux étudiants en médecine. De vraies capsules temporelles, assez glauques, merci. Certaines pièces seront préservées pour la postérité.

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Quel est le plan de la Caisse, donc ?

En vertu d’une entente signée l’été dernier avec Québec, le gouvernement resterait propriétaire des lieux en vertu d’un bail emphytéotique, probablement 99 ans. L’État paierait une portion de la remise à niveau des bâtiments, puis Ivanhoé Cambridge se chargerait ensuite d’aménager et d’exploiter les résidences étudiantes.

Selon cette entente, la Caisse bénéficierait d’un rendement « prioritaire » sur les revenus locatifs engrangés au fil des ans. Le gouvernement du Québec toucherait par la suite un rendement, au delà d'un seuil préétabli, selon une formule similaire à celle mise en place pour le Réseau express métropolitain (REM). Les détails du partage restent à établir.

Ivanhoé Cambridge s’est donné de 12 à 18 mois pour faire une analyse complète de l’état des lieux, avec l’aide de firmes de génie.

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Ancienne salle d’opération, étonnamment bien conservée

D’emblée, l’ampleur des travaux est impressionnante. Il faudra retirer l’amiante partout. Consolider les édifices pour qu’ils répondent aux normes sismiques. Peut-être même retirer chaque pierre des vieux bâtiments et les entreposer pendant les travaux. « Ça va être dispendieux », m’a résumé Élise Proulx.

Il y aura plusieurs zéros en bas de la facture, c’est clair.

Les découvertes qui seront faites pendant cette analyse de faisabilité permettront d’établir le nombre précis de « lits » inclus dans le projet. La Caisse espère pouvoir loger entre 700 et 1000 étudiants, à terme. L’objectif serait de « densifier » le plus possible pour obtenir une « rentabilité » adéquate.

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Quand j’écris que ce projet coche plusieurs cases, c’est aussi parce qu’il respecte le fruit des travaux menés par l’Office de consultation publique de Montréal (OCPM). Les conclusions de cet organisme ont parfois été bafouées, par exemple lorsque l’administration de Valérie Plante a décidé de condamner l’accès routier au mont Royal, cet automne.

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L’ancien hôpital Royal Victoria est constitué de magnifiques bâtiments du début du XXe siècle.

Les gens consultés par l’OPCM se sont montrés largement favorables à l’intégration de logements étudiants sur le site de l’ancien hôpital Royal Victoria, pourvu que ceux-ci soient abordables.

La Caisse prévoit créer une véritable « cité universitaire ». Le complexe logerait des étudiants de tous les établissements montréalais, et pas seulement ceux de l’Université McGill, située à deux pas.

La hausse prévue des droits de scolarité pour les étudiants des autres provinces canadiennes, qui pourrait faire chuter la clientèle de McGill, ne remet aucunement en doute la viabilité du projet, m’a d’ailleurs affirmé Élise Proulx.

C’est sûr qu’on suit le dossier. Par contre, selon les besoins qu’on évalue, il y aura 150 000 étudiants universitaires à Montréal en 2030, contre environ 110 000 aujourd’hui.

Élise Proulx, cheffe du développement économique au Québec chez Ivanhoé Cambridge

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Pendant qu’Ivanhoé Cambridge mène ses analyses, McGill, qui a hérité de la portion sud du site, a déjà commencé ses travaux de réaménagement pour agrandir son campus. L’université a partagé plusieurs de ses constats techniques avec le groupe, en lien notamment avec la remise aux normes sismiques.

Élise Proulx est persuadée que la Caisse pourra présenter quelques scénarios de redéveloppement au gouvernement Legault d’ici janvier 2025. Ce sera ensuite à Québec de trancher.

Assez vite, peut-on espérer, pour éviter des dommages irrécupérables à ces bâtiments.

NOTE: Une version antérieure de cette chronique indiquait que le gouvernement du Québec toucherait un rendement « prioritaire ». À des fins de clarté, précisons que c'est la CDPQ qui toucherait un rendement « prioriaire » sur les revenus locatifs. La Caisse verserait ensuite des sommes au gouvernement, au-delà d'un seuil de rendement préétabli, selon une formule de partage à déterminer.