(Château-Richer) Une poignée de citoyens et de défenseurs du patrimoine dénoncent la construction d’un imposant bâtiment « dans les plus vieilles terres du Québec », non loin de la patrimoniale avenue Royale et du très passant boulevard Sainte-Anne.

De son côté, le propriétaire d’une entreprise d’excavation fait valoir un droit acquis qui remonte aux années 1970, lorsque certaines activités industrielles avaient été permises sur son terrain entouré de champs.

« Beaucoup de gens disent : “De toute façon, le boulevard Sainte-Anne, c’est déjà foutu…” Mais c’est ici, sur presque quatre kilomètres, qu’il reste la dernière vitrine sur le paysage agricole sur la Côte-de-Beaupré », relève Louis Painchaud, professeur émérite à la faculté de théologie et de sciences religieuses de l’Université Laval.

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Louis Painchaud devant sa maison patrimoniale de l’avenue Royale

« Autrement dit, Château-Richer, c’est ce qui reste, dit-il. Les paysages ici sont donc d’autant plus précieux. »

Louis Painchaud nous reçoit dans une maison ancestrale construite par ses arrière-arrière-grands-parents. Nous sommes à Château-Richer, à une vingtaine de kilomètres à l’est de Québec.

Du terrain de M. Painchaud, qui donne sur l’avenue Royale, on aperçoit le boulevard Sainte-Anne. Quiconque s’est déjà rendu sur la Côte-de-Beaupré ou dans Charlevoix connaît bien la route 138, sur le bord de laquelle s’entremêlent résidences, commerces et industries dans une harmonie souvent bien relative.

Mais certains défenseurs du patrimoine font remarquer que le côté nord de cette route a largement gardé sa vocation agricole sur une poignée de kilomètres. C’est cette partie que les opposants au projet d’agrandissement de Gosselin Tremblay Excavation tentent tant bien que mal de protéger.

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L’agriculteur Nicolas Tremblay

« Ici, on est dans les plus vieilles terres du Québec, de la Nouvelle-France. C’est ici que les premiers colons se sont installés sur la Côte-de-Beaupré. Il en reste peu, de ces paysages-là », note l’agriculteur Nicolas Tremblay, qui habite non loin.

Le lopin de terre litigieux a perdu sa vocation agricole quand le gouvernement y a construit des équipements de voirie pour entretenir le boulevard Sainte-Anne en 1970. Gosselin Tremblay Excavation a racheté le terrain en 2009. L’entreprise occupe depuis les vieux bâtiments.

Mais ses quelque 70 employés sont à l’étroit, explique le propriétaire. Il veut investir un peu plus de 3 millions pour agrandir les opérations.

« Oui, on a une entreprise d’excavation entre deux terres agricoles, note le propriétaire Bruno Gosselin. Mais des décisions ont été prises dans les années 1970. Nous, on est une entreprise privée, on ne peut pas construire un parc et déménager ! »

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Les nouveaux bureaux que veut construire l’entreprise d’excavation

Les opposants craignent que le nouveau bâtiment de deux étages vienne défigurer le paysage. Mais Bruno Gosselin assure que ce sera à peine visible à partir de la patrimoniale avenue Royale. Il fait valoir qu’il va démolir les vieilles constructions, peu esthétiques, dont le fameux « igloo » haut de 55 pieds qui servait au ministère dans le passé.

« On a des bâtiments des années 1960 qui ne sont pas isolés, dit-il. On veut être dans des locaux au goût du jour. »

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Gosselin Tremblay Excavation fait valoir qu’il veut démolir de vieilles constructions peu esthétiques, dont le fameux « igloo » qui servait au ministère dans le passé.

Dans les règles de l’art, dit le maire

Le maire de Château-Richer assure que toutes les démarches ont été faites dans les règles de l’art. Gino Pouliot appuie l’agrandissement des installations, comme la majorité de sa population, dit-il.

Pour l’instant, la population est favorable au projet. C’est ce que les gens me disent. On croise les gens, on parle. Les gens me demandent : “Mais pourquoi des gens sont en désaccord ?” Des gens sont préoccupés par l’apparence, le fait que ça va brimer un peu la vue du paysage patrimonial, selon eux autres.

Gino Pouliot, maire de Château-Richer

« Mais le paysage patrimonial, ce n’est pas quelque chose sur quoi on peut agir au moment où on se parle », ajoute le maire.

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Le maire de Château-Richer, Gino Pouliot, appuie le projet d’agrandissement.

Québec a créé en 2011 le nouveau statut légal de « Paysage culturel patrimonial ». Mais ce sont les municipalités qui doivent demander ce statut. Aux dernières nouvelles, seule Rivière-Ouelle, dans le Bas-Saint-Laurent, a fait les démarches pour l’obtenir.

Les opposants ont reçu l’appui du groupe Action patrimoine, qui a écrit au maire. Mais pour l’instant, leurs efforts sont restés vains.

Ils déplorent par ailleurs le style du bâtiment. « Les gens pensent venir cueillir des pommes en campagne et vont se retrouver devant un bâtiment industriel comme on en trouve dans le parc industriel de Saint-Augustin. Il y a une confusion là-dedans », croit Nicolas Tremblay.

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Dans un monde idéal, disent-ils, l’entreprise aurait déménagé du côté sud du boulevard Sainte-Anne. Ce secteur est déjà réservé aux activités commerciales et industrielles. Et ce qu’ils considèrent comme une « erreur du passé » aurait été réparée, en retirant l’usage industriel au terrain.

L’entreprise a évalué des options de déménagement, notamment dans une autre municipalité, explique le maire. Ces efforts ont achoppé, au grand soulagement du maire Pouliot. Château-Richer doit refaire une bonne partie de ses infrastructures urgemment.

« Moi, je suis content que ça n’ait pas marché, dit-il. On veut garder les entreprises, c’est la vitalité d’une ville, c’est ce qui apporte de l’eau au moulin. Ils ont 74 employés. C’est des familles. Ces gens-là consomment à Château-Richer. »