Début 2023, je m’étais rendu à Toronto pour constater la flambée de violence dans les transports en commun.

C’était lourd et laid.

Attaques à la machette ou à la seringue, immolation, tirs de carabine, passagers poussés sur les rails, meurtres : cette série de crimes gratuits avait créé un vent de panique tout à fait compréhensible chez les usagers1.

Personne n’a encore été assassiné dans le métro de Montréal, et c’est tant mieux.

Mais le sentiment d’insécurité augmente, après une série d’agressions récentes. De plus en plus de gens hésitent maintenant à utiliser le réseau. Certains ont déjà abdiqué.

La Société de transport de Montréal (STM) redoute de voir son achalandage péricliter si la tendance se maintient. Une crainte légitime, si je me fie à la tonne de courriels que j’ai reçus après une récente incursion dans le quotidien glauque du métro2.

Toronto a mis en place une stratégie musclée pour renverser la tendance, dont Montréal s’inspire aujourd’hui.

L’élément central du plan d’action torontois pourrait se résumer ainsi : visibilité, visibilité et visibilité.

Après la multiplication des actes de violence en 2022 et au début de 2023, la Toronto Transit Commission (TTC) a embauché des dizaines de constables spéciaux pour patrouiller dans son métro. Elle a aussi recruté une foule d’agents de service à la clientèle, bien en vue dans les stations avec leurs dossards fluo.

Un service de messagerie texte a également été mis en place, pour permettre aux usagers de dénoncer discrètement, en temps réel, toute situation inquiétante.

L’objectif de toutes ces mesures est clair : faire sentir aux usagers (et aux agresseurs potentiels) une présence constante sur le terrain. Rappeler à tous que les stations de métro et les terminus d’autobus ne sont pas des zones de non-droit.

La partie est loin d’être gagnée, m’a indiqué mercredi Stuart Green, porte-parole de la TTC. Mais les statistiques parlent d’elles-mêmes : la tendance est à la baisse.

Le taux d’agressions envers les employés du réseau a reculé de 40 % entre janvier 2023 et janvier 2024, tandis qu’il a fléchi de 22 % envers les usagers.

Le sentiment de satisfaction des usagers par rapport à la sécurité dans le réseau a grimpé de sept points pendant la même période. Les deux tiers des passagers de la TTC se sentent véritablement à l’aise, ce qui laisse quand même une bonne quantité de gens inquiets.

Montréal ne reste pas les bras croisés devant la crise actuelle.

La STM compte environ 160 constables spéciaux, munis de bâtons télescopiques et de gaz poivre. Une quarantaine d’autres seront formés d’ici l’hiver prochain. Ils patrouillent dans les 68 stations du métro et répondent à 185 incidents par jour en moyenne, nettement plus que l’an dernier.

PHOTO DOMINICK GRAVEL, ARCHIVES LA PRESSE

Intervention de constables spéciaux dans le métro de Montréal, en mars dernier

Le transporteur leur a adjoint les services d’une quinzaine d’« ambassadeurs de sûreté » au cours des derniers mois. Le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) a de son côté affecté une centaine d’agents exclusivement à la résolution des crimes commis dans le réseau.

C’est beaucoup de ressources, mais ce n’est pas assez pour apaiser les craintes des usagers. Comme le veut l’adage, les gens ne souhaitent pas le savoir, mais bien le voir.

Ou plutôt : les voir.

C’est dans cette optique que la STM a pondu à toute vitesse un plan baptisé « Réassurance », annoncé mercredi. Il viendra augmenter temporairement la présence de son personnel dans les 10 stations de métro les plus problématiques.

Des équipes de quatre employés patrouilleront du matin jusqu’au soir dans une grappe de trois stations, et ils pourront intervenir rapidement si un incident survient. C’est un bon début, mais ce plan n’assurera pas une présence en continu dans chacune des stations les plus chaudes – ce que de nombreux usagers auraient souhaité.

La STM réévaluera ce plan d’ici un mois, lorsqu’une partie des sans-abri qui errent dans le métro déménageront leurs pénates vers des parcs et d’autres lieux extérieurs.

Car la crise observée à Toronto, à New York et à Montréal est d’abord une crise de santé publique. La pandémie est venue décupler des problèmes qui existaient déjà depuis longtemps : le manque de ressources en itinérance, en toxicomanie et en santé mentale.

Une bonne part des incivilités observées dans le métro sont causées par des gens qui souffrent de ces maux, mais n’ont nulle part d’autre où aller. Les réseaux de transports en commun deviennent leur refuge par défaut.

D’ailleurs, la STM n’entend pas chasser les sans-abri du métro, n’en déplaise à certains usagers. Une politique de « tolérance » continuera d’être pratiquée, comme à Toronto.

La situation reste chaotique à bien des égards. Vers 9 h 30 mercredi, en me rendant à la conférence de presse de la STM, j’ai assisté à la station Berri-UQAM à l’interpellation d’un sans-abri très agité, qui hurlait des insanités racistes à un groupe de six constables spéciaux. Doux matin.

Plus tard le même jour, au moment même où j’écrivais ces lignes, un lecteur m’a informé d’une violente « bataille en sang » qui se déroulait devant ses yeux à la station Atwater.

Ce n’est pas compliqué : pour que la situation se résorbe vraiment, il faudrait un réinvestissement massif des trois ordres de gouvernement dans le logement social, dans l’accompagnement en santé mentale et dans les ressources en toxicomanie.

Ne retenez pas trop votre souffle. Cela n’arrivera pas demain ni après-demain.

Il ne faudra pas attendre de miracles du nouveau plan de sécurité de la STM, que l’opposition à l’hôtel de ville a critiqué dès son annonce.

Mais il y a quand même de minces lueurs d’espoir.

J’ai discuté avec Jocelyn Latulippe, directeur sûreté et sécurité incendie à la STM. En plus de la quarantaine de constables supplémentaires attendus d’ici l’hiver prochain, le transporteur compte aussi revoir son système de surveillance électronique, m’a-t-il dit.

Les 2000 caméras sont en train d’être remplacées. De nouvelles technologies sont envisagées pour détecter à distance les situations dangereuses, en utilisant notamment l’intelligence artificielle. Un service de messagerie texte d’urgence, semblable à celui de Toronto, est aussi à l’étude.

La STM fait bien de considérer tous ces outils, qui pourraient permettre de pallier l’insuffisance de ses effectifs sur le terrain. Les usagers ont besoin de « réassurance », et ça presse.

1. Lisez la chronique « Carabines, machettes et anxiété dans les transports publics » 2. Lisez le dossier « Sentiment d’insécurité : une journée dans le métro »