Une passagère poignardée à la tête dans un tramway. Deux employés du métro poursuivis par un homme armé d’une seringue. Un chauffeur victime d’un tir de carabine à air comprimé. Une jeune femme attaquée dans un bus en raison de sa race.

Ça brasse à Toronto, et pas seulement à cause de la démission-surprise du maire John Tory, qui a admis vendredi avoir fricoté pendant des mois avec une ex-employée.

Depuis le début de janvier, les médias rapportent chaque semaine de nombreux évènements violents dans le réseau de la Toronto Transit Commission (TTC). L’anxiété est palpable, et la sécurité, fortement resserrée, comme j’ai pu le constater pendant des jours la semaine dernière.

Cette flambée de la criminalité trouve un écho à Montréal, où les plaintes pour incivilité et la consommation de drogues dures sont en hausse dans le métro1.

Mais ce qui se passe en ce moment à Toronto est sans commune mesure.

« Voir autant d’incidents spectaculaires en aussi peu de temps, ce n’est pas commun pour nous », m’a résumé Stuart Green, le porte-parole de la TTC.

C’est le moins qu’on puisse dire.

Cette vague de violence est inédite dans l’histoire récente du Canada.

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Des constables de la TTC à la station Bloor-Yonge du métro de Toronto, la semaine dernière

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If you see something, say something. Si vous voyez un truc louche, dénoncez-le.

Ce message, qu’on entendait depuis longtemps à New York, est maintenant diffusé en boucle dans les haut-parleurs grésillants du métro de Toronto. Plusieurs autres slogans du même genre sont affichés partout sur les murs des stations et dans les trains.

PHOTO CHRIS DONOVAN, COLLABORATION SPÉCIALE

Les affiches et messages concernant la sécurité se sont multipliés dernièrement dans le métro de Toronto.

La TTC reconnaît que les passagers – et les employés – de son réseau sont nerveux, et la sécurité a été rehaussée en conséquence.

Cela se voit, se sent, un peu partout.

La police de Toronto vient de dépêcher 80 nouveaux agents partout dans le réseau. Ils s’ajoutent aux constables spéciaux de la TTC, une équipe de gardiens non armés qui sera bonifiée de 50 nouveaux membres cette année.

Les officiers ne niaisent pas avec le puck, comme je l’ai vu à la station Bloor-Yonge, au centre-ville, jeudi après-midi. Un groupe de six agents, vêtus de dossards jaune et orange fluo, a escorté vers la sortie une personne très intoxiquée qui dérangeait un tenancier de dépanneur.

Gentiment, mais fermement. Le mot d’ordre des autorités ici.

Cette visibilité accrue des forces de l’ordre jouera un rôle « majeur » pour dissuader au moins une portion des criminels, espère-t-on à la TTC. Ce qui ne semble pas encore tout à fait fonctionner : dimanche soir, un homme armé d’une machette de six pouces a lacéré le visage d’une femme à la station Spadina avec deux complices.

IMAGE TIRÉE DE CTV

Un groupe de trois individus, dont l’un était armé d’une machette, a attaqué une femme à la station Spadina dimanche dernier, selon des images de surveillance diffusées depuis.

Des images captées par une caméra de surveillance – et diffusées à large échelle – ont permis l’arrestation des trois jeunes hommes mardi après-midi. La TTC ajoutera bientôt de nouvelles caméras aux dizaines de milliers déjà disséminées un peu partout dans les stations de métro, les trains, les autobus et les tramways.

La TTC a décidé de pousser cet exercice de type Big Brother encore plus loin.

Dans de nombreuses stations de métro, on retrouve désormais des écrans fixés au mur qui diffusent en direct les images captées par les caméras. « Comme dans un Walmart », me dit Stuart Green, de la TTC. L’idée est de montrer aux gens qu’ils sont filmés, ce qui, espère-t-on, découragera certains criminels de passer à l’action.

PHOTO MAXIME BERGERON, LA PRESSE

La TTC a des dizaines de milliers de caméras dans son réseau, et elle tient à ce que ça se sache.

La TTC compte aussi déployer une vingtaine de travailleurs sociaux additionnels dans son immense réseau. Un nombre qui semble bien bas pour une mégalopole de 6 millions d’habitants aux prises avec une montée fulgurante de l’itinérance et des problèmes de toxicomanie et de santé mentale.

C’est d’ailleurs cette crise sociale qui expliquerait en partie la hausse du crime dans les transports, croient bon nombre de Torontois. Comme dans toutes les grandes villes, les gens les plus vulnérables aboutissent souvent dans les transports publics l’hiver, faute d’autres options.

Et les options, à Toronto, sont limitées.

Le conseil municipal a refusé la semaine dernière d’ouvrir de nouvelles haltes-chaleur pour les sans-abri, citant entre autres un manque de personnel.

Une vraie « honte », selon Shelagh Pizey-Allen, directrice principale de l’organisme TTCRiders, qui fait la promotion des transports en commun.

« Le fait d’ouvrir des refuges accessibles 24 heures sur 24 aurait coûté 400 000 $ par mois à la Ville, alors que l’ajout de policiers coûtera 1,7 million par mois », m’a-t-elle dit.

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Shelagh Pizey-Allen, directrice principale de l’organisme TTCRiders, rencontrée près d’une ligne de tramway au centre de Toronto

Elle accuse les autorités d’avoir réagi de façon « impulsive » en déployant des dizaines de nouveaux policiers dans le métro, « sans preuve » que cette stratégie fonctionnera pour réduire la criminalité.

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Même si l’état d’alerte maximal est activé, la TTC tente de calmer le jeu. Les dizaines d’évènements violents observés au cours des derniers mois constituent une goutte d’eau dans l’océan du réseau, qui a accueilli près de 390 millions de passagers en 2021.

Montréal aussi est aux aguets, mais la situation semble moins alarmante que dans la Ville Reine. J’ai longuement parlé lundi avec la commandante Joanne Matte, du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), qui gère une équipe de 132 policiers affectés exclusivement aux interventions dans le métro. Ils travaillent en collaboration avec les 140 constables spéciaux de la Société de transport de Montréal (STM).

La criminalité a bondi d’environ 25 % dans le Montréal souterrain en 2021, pendant la première année complète de la pandémie, mais la hausse a été beaucoup plus faible en 2022, m’a-t-elle expliqué.

Environ 80 % des interventions de ses agents dans le métro sont liées à des gens vulnérables, qui sont soit sans abri, toxicomanes ou aux prises avec des problèmes de santé mentale. Souvent les trois en même temps, « un cocktail explosif ».

Il n’est pas question d’augmenter les effectifs policiers pour le moment, mais la commandante Matte me confirme que ses agents « font plus d’heures supplémentaires » dernièrement.

L’approche du SPVM est avant tout « communautaire » et vise à rediriger les personnes en détresse qui commettent des incivilités vers les meilleures ressources externes, en évitant leur judiciarisation.

Et c’est là que le bât blesse.

Car le problème « à la source » demeure entier, déplore Joanne Matte. Il y a un manque criant de ressources dans le système de santé pour prendre en charge les gens expulsés du métro. Résultat : ils finissent bien souvent par y revenir dès le lendemain.

Ce trou béant dans le filet social, qui ne donne aucun signe de vouloir se régler à court terme, ne laisse pas présager une accalmie dans le métro. À Montréal comme à Toronto.

1. Lisez « Drogues et violence à Berri-UQAM »