Guylaine Potvin est retrouvée morte dans son appartement de Jonquière, en avril 2000. Une scène de crime, ça « parle », en jargon policier, et ce que l’appartement de l’étudiante disait était terrible : elle avait été battue, agressée sexuellement et étranglée à l’aide d’une ceinture.

Pendant deux décennies, le crime est resté sans coupable. La police de Jonquière n’a jamais pu arrêter un suspect (NDLR : la police de Jonquière a depuis été intégrée à la police de Saguenay et l’enquête a plus tard été transférée à la Sûreté du Québec). Pendant deux décennies, la famille de la jeune femme de 19 ans a flotté dans les limbes de l’incertitude : qui a tué Guylaine ?

Je dis ça comme ça, « l’incertitude »…

Mais pour avoir parlé dans le passé à des proches de victimes de crimes non résolus, ce terme est trop doux, on est davantage dans le registre du supplice de la goutte.

Être le proche d’une personne assassinée sans pouvoir mettre un visage sur le coupable, c’est vivre dans une ombre permanente, même les jours de soleil.

Pendant deux décennies, il fut à craindre que le Mal allait triompher…

Avancez le curseur à 2022. Marc-André Grenon est arrêté à Granby, il est accusé du meurtre de la jeune étudiante de Jonquière.

On apprendra plus tard que c’est la science qui a fait une formidable passe sur la palette de la Sûreté du Québec pour faire avancer ce « cold case ».

On l’a constaté ces dernières années : l’engouement pour la généalogie a créé une véritable industrie de l’identité familiale. Des millions de gens donnent un échantillon d’ADN aux Ancestry.com et compagnie pour découvrir qui étaient leurs aïeux, d’où ils viennent et qui ils sont.

Ces échantillons d’ADN librement soumis constituent des bases de données formidables pour la police. En toute légalité, les enquêteurs peuvent accéder à ces millions d’échantillons d’ADN pour tenter de faire avancer des enquêtes de type « cold case ».

Un exemple : Joseph DeAngelo, tueur et violeur en série californien actif dans les années 1970, a été condamné grâce à la multiplication de ces bases de données mêlant généalogie et ADN, en 20201. L’ADN du Golden State Killer n’était pas dans les bases de données des entreprises de généalogie. Mais celui d’un cousin l’était : cela a fait débloquer l’enquête.

Plus près de nous, le meurtre de la jeune Montréalaise Sharron Prior a été élucidé en 2023, près de 50 ans plus tard, par la police de Longueuil2, grâce à ce qu’on appelle désormais la généalogie génétique judiciaire : le premier « cold case » québécois résolu grâce à cette avancée.

Dans le cas de Grenon, il a été trahi par son chromosome Y. Le Laboratoire de sciences judiciaires et de médecine légale (LSJML) a développé un outil carrément révolutionnaire pour (je résume simplement) jumeler le chromosome Y que seuls les hommes possèdent à certains patronymes3

On peut ainsi lier des échantillons d’ADN à des noms de famille.

Et c’est ainsi que l’ADN retrouvé sur la scène du meurtre de Guylaine Potvin a pu être lié par le LSJML à un probable nom de famille : Grenon. Justement, Marc-André Grenon faisait déjà partie, à l’époque du crime, d’une liste de suspects potentiels.

Après avoir reçu l’indice « Grenon » des scientifiques du Laboratoire de sciences judiciaires, les enquêteurs de la SQ ont déployé des trésors de créativité pour récupérer l’ADN de Marc-André Grenon… Qui collait parfaitement avec l’ADN retrouvé sous les ongles de Guylaine Potvin.

Bref, la preuve présentée par la Couronne était béton. Tellement béton que Grenon n’a pas présenté de défense. Tellement béton que le jury a mis moins de deux heures à le déclarer coupable, mardi.

Grenon n’a pas témoigné à son procès. Mais à la toute dernière minute, par la bouche de ses avocates, Grenon a offert une explication complètement loufoque pour son crime : il a admis avoir tué la jeune Potvin… lors d’un cambriolage qui aurait mal tourné.

Les avocates Vanessa Pharand et Karine Poliquin ont présenté ce scénario débile aux jurés sans pouffer de rire : on les félicite, ça n’a pas dû être facile, vu la bêtise de l’argument.

Je souligne que devant la preuve en béton présentée par la Couronne, Marc-André Grenon aurait pu avoir un sursaut d’humanité et plaider coupable avant le procès, question d’éviter à la famille et aux amis de Guylaine Potvin le traumatisme supplémentaire des descriptions et photos de la scène de crime…

Il ne l’a pas fait.

Après le verdict, Grenon a été invité par le juge François Huot à présenter des excuses à la famille de Guylaine Potvin. Sa réponse tenait en un mot : « Non. »

Grâce à l’invention de cet outil du LSJML qui permet de lier de l’ADN inconnu à des noms de famille, peut-être que d’autres monstres comme Marc-André Grenon pourront être démasqués et condamnés.

Grenon fait lui-même face à un autre procès pour agression sexuelle, après laquelle il aurait laissé sa victime pour morte, à Québec, deux mois après le meurtre de Guylaine Potvin.

Comme l’a rapporté mon collègue Vincent Larin, qui a couvert le procès, Marc-André Grenon aura échappé à la justice pendant 8202 jours, depuis le meurtre d’avril 2000.

Pensée pour la famille de Guylaine Potvin, merci aux scientifiques du Laboratoire de sciences judiciaires et de médecine légale et chapeau aux flics de la SQ qui n’ont jamais lâché : Marc-André Grenon va passer un minimum de 25 ans, ou 9132 jours, au pénitencier, où les hommes comme lui n’ont pas très bonne réputation.

Le Mal ne triomphe pas toujours.

1. Lisez un article du Los Angeles Times (en anglais) 2. Lisez « Quand la police fait de la généalogie » 3. Lisez « Trahi par son chromosome Y »