Une technologie issue des avancées en matière d’analyse d’ADN et dont l’utilisation serait inédite au Québec est à la source de l’arrestation de Marc-André Grenon pour le meurtre de Guylaine Potvin, survenu il y a plus de 20 ans.

L’histoire jusqu’ici

  • Guylaine Potvin a été agressée sexuellement puis assassinée dans son appartement de Jonquière, au Saguenay, en avril 2000. Quelques mois plus tard, dans le quartier Sainte-Foy, à Québec, une jeune femme de 20 ans est étranglée et laissée pour morte par son agresseur.
  • Plus de 20 ans après les faits, en octobre dernier, un homme de 48 ans, Marc-André Grenon, est arrêté à son domicile de Granby et accusé d’être l’auteur de ces crimes. Il a plaidé non coupable et la date de son procès n’a toujours pas été fixée.
  • Un groupe de médias, dont La Presse fait partie, a entamé des démarches en cour afin de lever le secret sur les détails de l’enquête de longue haleine ayant mené à cette arrestation.

Cette technologie nommée PatronYme, et sur laquelle peu de détails ont été publiés jusqu’ici, consiste en une base de données constituée à partir de diverses sources, dont des sites internet spécialisés en généalogie, et appelée « pYste ».

Elle s’apparente à une technique d’enquête innovante, connue sous le nom de « génétique généalogique », grâce à laquelle des policiers en Amérique du Nord ont réussi à clore des affaires non résolues (cold cases) remontant à plusieurs décennies, dont la plus célèbre est celle du « tueur du Golden State ».

Une série de documents judiciaires libérés en partie ce dimanche lève le voile sur les détails de l’enquête policière digne d’un scénario de film ayant mené à l’arrestation, à Granby, le 12 octobre dernier, de Marc-André Grenon.

Il s’agit d’une série de déclarations sous serment (« affidavits ») présentées à un juge de paix afin d’obtenir différents mandats pour entre autres perquisitionner dans la demeure du suspect dans l’espoir de trouver des objets ayant appartenu à ses deux victimes présumées. Les faits qui y sont évoqués n’ont pas encore été présentés en preuve et pourraient donc être contestés.

Marc-André Grenon est présumé innocent puisqu’il n’a pas encore été jugé pour les crimes dont il est accusé, soit avoir agressé sexuellement puis tué Guylaine Potvin, 19 ans, le 28 avril 2000, à Jonquière, au Saguenay–Lac-Saint-Jean.

Il est également accusé d’avoir agressé sexuellement et laissé pour morte une autre jeune femme de 20 ans quelques mois plus tard, en juillet, cette fois dans le quartier Sainte-Foy, à Québec. Cette dernière victime a survécu et son identité est protégée par une ordonnance de non-publication, ce pour quoi il n’est pas possible de la nommer.

Une analyse aléatoire, un sujet d’intérêt

Ces documents révèlent que l’homme qui possède une longue feuille de route pour différents crimes mineurs, la plupart commis vers la fin des années 1990, est apparu sur le radar des enquêteurs au tout début de l’enquête sur la mort de Guylaine Potvin, en raison notamment du fait qu’il avait habité directement à l’arrière du domicile de celle-ci quelques années avant le meurtre.

Peu après la deuxième agression, à Sainte-Foy, les policiers avaient aussi conclu qu’elles étaient l’œuvre du même prédateur puisque des échantillons d’ADN trouvés sur les deux sites s’étaient révélés appartenir au même individu.

L’enquête a toujours été active, mais c’est sa prise en charge, en 2018, par la division des disparitions et des dossiers non résolus de la Sûreté du Québec (SQ) qui mène à des avancées majeures.

La principale survient en juin 2022 lorsque le Laboratoire de sciences judiciaires et de médecine légale (LSJML) décide d’intégrer l’enquête sur le meurtre de Guylaine Potvin, intitulée « projet BÉLIER », à ce qu’il désigne comme le « projet PatronYme ».

Ce projet consiste en une liste appartenant au LSJML et qui contient des dizaines de milliers d’échantillons de chromosomes Y, une partie de l’ADN que seuls les hommes possèdent et à laquelle est associé un nom de famille, une donnée traditionnellement transmise de père en fils.

En y intégrant de l’ADN trouvé sur une scène de crime, la base de données fournit une liste de noms de famille auxquels pourrait correspondre le profil génétique.

PHOTO ARCHIVES LE QUOTIDIEN

Guylaine Potvin a été retrouvée sans vie à Jonquière en avril 2000.

Parmi les « patronymes d’intérêt prioritaire » qui ressortent en 2022 dans l’enquête sur le meurtre de Guylaine Potvin, celui de Grenon est en haut de la liste. C’est à ce moment, en juillet 2022, qu’il devient le « sujet d’intérêt prioritaire » dans l’enquête.

Une seconde adresse

Sauf qu’une concordance grâce au « projet PatronYme » ne constitue pas une preuve présentable devant un juge. « L’identification devra être vérifiée selon la méthode traditionnelle d’analyse ADN, à partir d’un échantillon de comparaison obtenu par mandat, par don volontaire ou d’une substance abandonnée du suspect identifié », précise-t-on d’ailleurs dans les déclarations sous serment.

Dans le but d’étoffer leur dossier, fin juillet, un sergent-enquêteur de la SQ s’adresse donc au ministère du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale afin d’obtenir la liste des adresses données par Grenon pour percevoir l’aide sociale. Elle est longue. Entre 1993 et aujourd’hui, Grenon a changé 59 fois d’endroit de résidence.

Un détail qui semble avoir échappé jusqu’ici aux enquêteurs surgit alors. Au moment de la deuxième agression, à Sainte-Foy, l’adresse que donnait Grenon au Ministère était située à seulement 450 mètres d’où résidait la victime.

Cette révélation semble redonner un nouveau souffle à l’enquête et d’autres techniques d’enquêtes sont mises en œuvre à compter du début du mois d’août. Quelques semaines plus tard, Grenon sera appréhendé à son domicile de Granby.

Les autorités estiment que Marc-André Grenon pourrait avoir fait d’autres victimes « mineures ou adultes ». Une unité d’enquête sur les crimes en série a été déployée au lendemain de son arrestation, en octobre dernier.

La date de son procès n’a pas encore été fixée.

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    Nombre de sujets ciblés dans le cadre de l’enquête qui ont pu être éliminés grâce à l’ADN
    SOURCE : sûreté du Québec