Dans la nuit du 28 avril 2000, Marc-André Grenon est entré dans l’appartement de Guylaine Potvin, à Jonquière, avec l’intention de l’agresser sexuellement et de la tuer. Dans sa chambre, où elle dormait avec son ourson en peluche, il l’a frappée, frappée, puis frappée encore, avant de l’étouffer à l’aide d’une ceinture. Après avoir échappé à la justice pendant 8202 jours, il a finalement été condamné à la prison à perpétuité, mardi, au palais de justice de Chicoutimi.

« Coupable », a laissé tomber le représentant du jury à la lecture des deux chefs d’accusation qui pesaient contre l’homme : meurtre au premier degré et agression sexuelle grave.

Une annonce intervenue après moins d’une heure de délibération et qui a déclenché un cri de victoire senti dans la salle pleine à craquer où se sont déroulées les cinq semaines de procès.

Invitée par le juge François Huot à s’adresser à la cour, la famille de Guylaine Potvin, qui a été présente tout au long des procédures, a décliné l’invitation.

Puis, le magistrat s’est tourné vers Marc-André Grenon, pour lui demander s’il avait des excuses à présenter aux parents de la jeune femme, « vous qui avez expressément causé la mort de leur fille ». « Non », a simplement répondu l’homme, debout dans son box.

Une réponse qui a déclenché le courroux du juge Huot.

PHOTO TIRÉE DE FACEBOOK

Marc-André Grenon

« Du dégoût et du mépris »

« Vous êtes un lâche, vous êtes un peureux, vous êtes un pleutre. Vous me comprenez ? », a-t-il débuté, devant le jury, resté dans la salle pour entendre la sentence.

« Vous avez passé 22 ans à vivre avec une liberté injustifiée, à vous lever tous les matins comme si de rien n’était, à vous regarder dans le miroir tous les matins. Comment pouviez-vous faire ça ? », a-t-il poursuivi.

« Pendant ce temps, Guylaine, elle, gisait six pieds sous terre. Pourquoi ? En raison de votre dépravation morale, de votre immoralité sexuelle, en raison de votre instinct de tueur », a-t-il dit, rappelant à l’accusé qu’il s’en était pris « à une jeune femme dans une situation de vulnérabilité complète ».

« Je n’éprouve que du dégoût et du mépris pour les gestes que vous avez posés le 28 avril 2000 », a dit, ajoutant à l’endroit de Marc-André Grenon que ses gestes « lui soulevaient le cœur ».

Seule lumière dans ce sombre tableau peint par le juge : « que Dieu ait prêté vie suffisamment longtemps au père et à la mère de Guylaine pour qu’ils assistent à la peine que je m’apprête à vous infliger ».

La pire peine prévue par le Code criminel : la prison à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle avant 25 ans. Pour l’agression sexuelle grave, Marc-André Grenon a également écopé d’une peine d’emprisonnement à purger de façon concurrente.

La version de l’accusé rejetée

En déclarant Marc-André Grenon coupable des deux chefs auxquels il faisait face, le jury a complètement rejeté la version présentée par ses avocates qui plaidaient qu’il était entré chez la jeune femme avec une intention tout autre, soit de voler. Après quoi s’en serait suivi une altercation ayant ultimement mené à la mort de la jeune femme.

Cette version des faits ouvrait la porte à un verdict de meurtre au deuxième degré, l’agression sexuelle de la jeune femme ne pouvant être reconnue comme telle si elle avait eu lieu après sa mort.

Or, les jurés ont plutôt pour la théorie de la poursuite selon laquelle les gestes de Marc-André Grenon étaient prémédités et donc qu’il devait être reconnu coupable de meurtre au premier degré. Pour en arriver à ce verdict, ils pouvaient également déterminer que le meurtre de Guylaine Potvin, qu’avait admis avoir causé Marc-André Grenon pendant son procès, découlait de l’agression sexuelle qu’elle avait subie.

« Après tant d’années à nager dans le néant et la souffrance, nous tournons aujourd’hui la dernière page de ce long chapitre de nos vies respectives. Ceci dit, nous restons marqués à jamais par le départ soudain de notre belle Guylaine. L’extrême violence dont elle a été victime était à l’opposé de ce qu’elle incarnait, soit la douceur, la bonté et la paix », a déclaré sa mère, Jeannine Caouette, à la sortie de l’audience.

Le juge Huot a terminé son intervention en félicitant le travail des enquêteurs de la Sûreté du Québec responsable du dossier et de l’équipe des crimes non résolus du corps policier grâce à qui Marc-André Grenon a été arrêté après plus de 22 ans. Un travail grâce auquel « plusieurs individus vont moins bien dormir ce soir après avoir écouté les nouvelles », a-t-il noté.

Marc-André Grenon a été arrêté en octobre 2022, à Granby. Quelques mois plus tôt, grâce à une opération de filature, les policiers avaient pu récupérer un verre de carton que le suspect avait jeté dans une poubelle après être allé voir un film au cinéma. L’analyse d’un échantillon d’ADN prélevé sur ce verre correspondait à l’ADN trouvé sur la scène de crime 22 ans plus tôt.

Cette opération de filature avait été autorisée puisque son nom de famille était ressorti comme « prioritaire » dans l’enquête policière grâce à une méthode innovante d’analyse génétique développée par le Laboratoire de sciences judiciaires et de médecine légale.

PHOTO FOURNIE PAR LA SÛRETÉ DU QUÉBEC, VIA LA PRESSE CANADIENNE

La victime, Guylaine Potvin

Un autre procès à venir

Depuis la séquestration du jury, il est à nouveau possible d’évoquer certains faits en lien avec cette affaire et dont ses membres ignorent l’existence, dont les autres accusations qui pèsent contre Marc-André Grenon.

Car, en plus du meurtre de Guylaine Potvin, l’homme de 49 ans est aussi accusé d’avoir agressé sexuellement et laissé pour morte une autre jeune femme dans le quartier Sainte-Foy, à Québec, à peine deux mois plus tard.

Ce dernier crime a été déjà évoqué par les médias, la victime ayant même témoigné sous le couvert de l’anonymat puisque son identité est protégée par la cour, mais il n’était plus possible d’en faire mention depuis l’ouverture du procès au Saguenay–Lac-Saint-Jean.

En effet, comme les dossiers sont jugés séparément, il est devenu essentiel dès le début des audiences au palais de justice à Chicoutimi que les jurés retenus ne soient pas au courant de la deuxième affaire afin de ne pas teinter leur opinion.

Il s’en est fallu de peu

Au moment de leur sélection, plusieurs candidats ont ainsi été exclus après avoir été questionnés par le juge responsable, François Huot, sur leur connaissance de l’affaire de Québec.

Une cinquantaine de candidats ont dû défiler devant le magistrat avant que ce dernier soit finalement en mesure de constituer un jury de 14 personnes.

Et à au moins une occasion, malgré maintes précautions, tant du côté de la poursuite que de la défense, cette deuxième affaire dont ils devaient continuer d’ignorer l’existence a bien failli être éventée.

Lors du témoignage de l’experte en biologie judiciaire Caroline Paquette, un document déposé en preuve et distribué au jury stipulait qu’elle avait été amenée à travailler sur le « projet Bélier ». Or, en jargon policier, le terme « projet » désigne un cas où plusieurs enquêtes sont regroupées.

Rapidement, les jurés ont été sortis de la salle puis le juge Huot a pris soin de déchirer une à une les pages de chacune de leurs copies où cette information était mentionnée avant qu’une version caviardée ne leur soit remise.

Au moment d’être séquestré pour leurs délibérations, lundi, les jurés ignoraient donc toujours que Marc-André Grenon aura éventuellement un deuxième procès.

À noter qu’il bénéficie de la présomption d’innocence dans ce deuxième dossier, le procès n’ayant pas encore débuté. Le témoignage de la victime et des autres témoins n’ayant pas non plus été encore présenté à la cour, ils pourraient être contestés.