Lors des marches pour le Jour de la Terre ce samedi, on verra les habituelles pancartes pour la justice tenues par des enfants. Le message : les générations futures souffriront de la crise écologique.

Mais la justice climatique n’est pas seulement une question générationnelle. Elle se pose aussi au présent, comme le démontre un nouveau rapport de l’Observatoire québécois des inégalités1. Son constat : plus une personne est riche, plus elle émet de gaz à effet de serre (GES) et moins elle subit les conséquences déjà présentes du dérèglement du climat.

Cela réfute une excuse des politiciens qui hésitent à s’attaquer aux GES. L’argument classique ressemble à ceci : si on taxe la pollution, on nuira aux pauvres et on risque de provoquer une crise sociale comme celle des gilets jaunes en France.

C’est un réel danger, en effet. Mais il est évitable. Tout dépend du mécanisme.

Avec une approche progressive, on peut cibler les responsables. Ceux avec un revenu élevé qui ont les moyens d’en faire un peu plus.

Les chiffres de l’Observatoire sont éloquents. Il a mesuré la consommation des ménages en intégrant le cycle de vie des produits. Donc en calculant les émissions produites à l’étranger pour fabriquer un bien, puis pour le transporter jusqu’à nous et pour l’utiliser ensuite.

Le résultat : au Québec, les 40 % les moins nantis émettent en moyenne 12 tonnes de GES par année. Pour les 10 % les plus riches, le chiffre grimpe à 31 tonnes. Et pour le 1 % : 44 tonnes. Soit près de quatre fois plus que le bas de la pyramide.

L’économiste Geoffroy Boucher, auteur de l’étude, rappelle que ces chiffres n’incluent pas les investissements faits avec l’argent épargné. Par exemple, si une personne investit dans les banques canadiennes, elle mettra de l’huile sur le feu. Cinq des quinze plus grands bailleurs de fonds mondiaux de l’industrie fossile sont des banques canadiennes (RBC, Scotia, TD, BMO, CIBC).

En d’autres mots : en réalité, c’est encore pire.

Les impacts de la crise climatique se mesurent de multiples façons, comme les maladies pulmonaires et les catastrophes naturelles. Or, ce coût n’est pas encore intégré entièrement dans les biens que l’on consomme. Les plus fortunés sont ainsi indirectement subventionnés quand ils accentuent la plus grave menace de notre époque.

Et en contrepartie, ils en souffriront un petit peu moins. L’Observatoire rappelle que 22 % des locataires sont insatisfaits de l’efficacité énergétique de leur logement. Pour les propriétaires, ce taux est de 12 %. Les canicules les accablent moins. On sait aussi que les personnes pauvres ont moins accès aux espaces verts et au transport collectif et qu’elles habitent davantage à proximité d’îlots de chaleur.

Le même phénomène s’observe à l’échelle internationale, où des pays moins riches ont peu contribué à la hausse des GES, mais sont frappés disproportionnellement par ses effets à cause de récoltes perturbées ou d’inondations. Pensons seulement au Bangladesh.

Au Québec, cela devrait inciter à réévaluer certaines mesures vertes. Les subventions aux véhicules électriques sont utiles pour induire un changement d’habitude. Elles ont toutefois le désavantage de financer des ménages qui sont relativement aisés.

Au minimum, pour rééquilibrer l’approche, on pourrait taxer en contrepartie les automobilistes qui ont les moyens d’acheter un véhicule de luxe polluant.

Même chose pour la subvention aux rénovations vertes. Elles ont le mérite d’inciter les ménages à mieux isoler leur résidence, ce qui réduit la consommation d’énergie. Mais cette aide ne touche pas directement les locataires. Hausser les tarifs pour les résidences luxueuses puis utiliser la somme pour aider les locataires réduirait l’injustice.

Une idée parmi d’autres à étudier également : un budget carbone modulé selon le revenu, comme l’a déjà suggéré mon collègue Francis Vailles2.

À Ottawa, un phénomène contraire se poursuit.

Certes, le gouvernement Trudeau déçoit à plusieurs égards, comme l’a rappelé le commissaire à l’environnement dans une série de rapports déposés cette semaine3. Mais il a adopté une politique progressiste qui rétablit un peu de justice climatique. Et pour cela, les conservateurs l’accusent de nuire au « monde ordinaire ».

Le directeur parlementaire du budget (DPB) a déboulonné ce mythe. Il vient de mettre à jour ses projections sur la tarification du carbone, qui s’applique dans toutes les provinces sauf le Québec, la Colombie-Britannique et le Nouveau-Brunswick.

Même si le prix du carbone augmentera chaque année, pour atteindre 170 $ par tonne en 2030, le système demeurera progressif.

À l’exception de la Nouvelle-Écosse, dans chaque province, les 80 % les moins riches de la population recevront plus d’argent qu’ils n’en débourseront4.

Il est vrai que si on tient compte de l’impact sur les placements et le revenu de certains travailleurs, le système fédéral coûtera de l’argent à la classe moyenne. Entre 600 $ et 1500 $ par année. C’est un argument pour une transition énergétique juste qui financera la requalification des travailleurs.

Cette ponction doit toutefois être relativisée. Peu importe ce que veut le Canada, les énergies fossiles finiront par décliner. Et si on ne change rien, c’est surtout l’inaction qui sera onéreuse. Selon la trajectoire actuelle, le réchauffement exercera une pression à la baisse sur le PIB de 2,5 % en 2050 et de 6,6 % en 2100.

Les chiffres montrent que malgré son discours, Pierre Poilievre se bat pour que l’élite économique conserve son privilège actuel, celui de refiler le coût de sa pollution aux autres.

En ce Jour de la Terre, le constat est simple : la planète est malade et cela n’est pas seulement injuste pour les enfants qui naîtront demain. L’injustice se vit aussi au présent, entre riches et pauvres. Parce que dans notre système économique actuel, les dollars ne sont pas verts.

1. Lisez le rapport de l’Observatoire québécois des inégalités 2. Lisez la chronique de Francis Vailles 3. Lisez notre résumé des rapports du commissaire à l’environnement du Canada 4. Lisez le rapport du directeur parlementaire du budget. Consultez le tableau en page 6 pour les détails.