Mes chroniques (et critiques) du système de santé ont transcendé les gouvernements de trois partis : le Parti québécois, le Parti libéral du Québec et la Coalition avenir Québec. Je pense pouvoir dire ceci : qu’importe le parti au pouvoir, le bordel perdure.

Je ne compte plus le nombre de chroniques depuis 15 ans à critiquer le manque d’organisation, de vision et de moyens qui se traduit par un manque d’accès, d’efficacité et, au bout du compte, d’humanité d’un système qui nous coûte collectivement un milliard par semaine.

Long détour pour vous dire que je regarde aller Christian Dubé avec sa « refondation » du système de santé québécois. Il a déposé un chapelet de projets de loi pour « refonder » le système de santé québécois. Il en a déposé un autre, il y a quelques jours, le projet de loi 15, un document titanesque : 300 pages, 35 lois modifiées, près de 1200 articles…

Je ne sais pas si Christian Dubé va réussir…

Mais je nous le souhaite.

Ces trois prochains mois, pour la durée de l’étude du projet de loi 15, des groupes et des individus pourront témoigner en commission parlementaire pour le critiquer.

Espérons que ces critiques feront ce que toute critique devrait viser : améliorer l’objet critiqué.

Mais je dois dire que depuis le dépôt du projet de loi 15, je suis absolument abasourdi par la piètre qualité des interventions publiques de plusieurs entités. On me permettra d’en souligner quelques-unes avec un marqueur fluo.

Parlons des syndicats, d’abord…

Les syndicats ont beaucoup à perdre avec le projet de loi 15. En voulant réduire le nombre d’accréditations syndicales dans le réseau de 136 à quatre dans le passage des 35 employeurs du réseau à un seul, certains risquent de perdre de l’argent, beaucoup d’argent. Léger détail…

Oui, c’est exactement ce que je veux dire : on ne peut pas dissocier certaines critiques des syndicats du risque financier que le projet de loi 15 leur fait courir. Mais c’est plus chic de dire que le ministre n’écoute pas que de dire : Hey, on va perdre du cash !

Là-dessus, il faut parler de Julie Bouchard, présidente de la Fédération interprofessionnelle du Québec (FIQ), le grand syndicat des infirmières (notamment), qui représente près de 80 000 salariées.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

La présidente de la Fédération interprofessionnelle du Québec (FIQ), Julie Bouchard

Quand fut déposé le projet de loi sur la fin des agences de placement privées (une demande de la FIQ, entre autres), j’ai interviewé la présidente Bouchard à mon émission de radio. À ce jour, si ma vie en dépendait, je ne pourrais pas vous expliquer en quoi consistait l’objection de Julie Bouchard à ce projet de loi.1

La semaine dernière, Mme Bouchard a été invitée à commenter le projet de loi 15 chez Paul Arcand.2 Elle n’y voyait rien de bon, affirmant que son syndicat multiplie pourtant les propositions de solutions aux tables de négociation…

Paul a pris la balle au bond : donnez-moi un exemple de solution proposée ?

Réponse de Julie Bouchard : une loi sur les ratios professionnels-patients !

(Traduction : une infirmière ne doit pas avoir plus de X patients à soigner, selon les unités de soins.)

Là, l’animateur a soulevé l’évidence : c’est une solution difficilement praticable, puisque le réseau manque d’infirmières… Une loi n’en fera pas apparaître.

Mme Bouchard s’est alors embourbée dans une réponse qui lui aurait sans doute valu une ovation debout au congrès national des délégués de la FIQ. Mais pour la citoyenne moyenne à l’écoute ce matin-là – qu’elle soit prise dans le trafic ou en train de faire le sandwich au jambon du lunch du petit –, la leader syndicale a juste eu l’air de chialer pour chialer.

Parenthèse : j’ai perdu beaucoup d’illusions face aux syndicats pendant la pandémie.3 Il y a mille exemples de corporatisme et d’enculage de mouches à donner, mais je donnerai celui-ci : la FIQ a poursuivi le gouvernement4 qui ne donnait pas assez d’équipement de protection à ses membres (alors que la pénurie était mondiale), mais la FIQ a défendu bec et ongles le droit de ses membres antivax à ne subir aucune conséquence pour ce choix… 5 Quitte à mettre en danger des patients immunosupprimés.6

Ne jamais oublier ceci : les syndicats répondent à leurs membres, à ceux qui paient des cotisations. Pas au public.

Maintenant, quelques mots sur les oppositions à Québec…

Libéraux et solidaires ont rivalisé d’enflure pour dénoncer le projet de loi qui sortait à peine du four.7 On sentait d’ailleurs que les métaphores étaient écrites depuis longtemps.

Je cite Gabriel Nadeau-Dubois, de QS : Christian Dubé réalise le « wet dream » de Gaétan Barrette, Madame la Présidente !

(P.-S. : un « wet dream » est un… rêve érotique.)

Je cite Marc Tanguay, du PLQ : en créant la société d’État Santé Québec, le ministre Dubé va devenir un « mini-ministre », Madame la Présidente !

« Mini-ministre », « rêve érotique » : ça ne vole pas super haut, mettons, la critique du projet de loi 15 par les oppositions…

Je n’inclus pas le PQ : Paul St-Pierre Plamondon a refusé de se lancer dans la course aux images fortes, émettant des bémols sentis sans toutefois avoir recyclé les meilleurs moments du Festival de l’humour de CKAC…

Les trois mois qui viennent seront importants pour l’avenir du système de santé québécois, lors de l’étude du projet de loi 15 qui vise à en compléter la « refondation ».

J’espère qu’au-delà des sparages pour voler la manchette du jour et de la traditionnelle rigidité syndicale, on va entendre des arguments solides pour l’améliorer, ce projet de loi.

1 Écoutez l’épisode du balado de Patrick Lagacé avec Julie Bouchard comme invité 2 Écoutez le segment de l’émission Puisqu’il faut se lever animée par Paul Arcand 3 Lisez la chronique : « Les lavabos, la suite » 4 Lisez l’article : « Accès aux masques N95 : la FIQ poursuit sa croisade devant les tribunaux » 5 Lisez la chronique : « Plaidoyer pour la vaccination obligatoire » 6 Lisez l’article de La Voix de l’Est : « Éclosion mortelle en oncologie : “des gens auront des comptes à rendre” » 7 Lisez l’article : « Santé Québec : collision entre Legault et l’opposition »