Beaucoup de « enfin » et de « bravos » dans ma boîte de courriels, mais aussi des avertissements sur des conséquences éventuelles des changements attendus.

Ma chronique sur le « carcan syndical » du réseau et le projet de loi sur l’efficacité en santé, prévu cette semaine, a créé une véritable onde de choc. J’y expliquais l’intention du gouvernement de faire passer de 136 à 4 le nombre de conventions collectives, de fusionner l’ancienneté de tous les employés, de faire primer la compétence sur l’ancienneté pour 15 % des postes et d’obliger les médecins spécialistes à pratiquer davantage en région, entre autres.

Les « enfin » me viennent notamment de gestionnaires et de médecins qui ont souffert du seul critère de l’ancienneté pour des nominations. Un chirurgien en région me dit avoir vécu ce problème lorsque deux infirmières responsables du bloc opératoire ont pris leur retraite.

« La quantité et variété de matériel à gérer pour ces chefs demandent beaucoup d’organisation. C’est un travail exigeant. Depuis la sélection de deux candidates sans autres critères que l’ancienneté, elles ont passé plus de la moitié de leur temps en arrêt de travail. Leurs remplaçantes, plus jeunes et d’autant plus appropriées, ont été un vent de fraîcheur, mais elles doivent céder leurs places au retour de congé de maladie des titulaires des postes », m’explique-t-il.

« Ces infirmières anciennes sont bonnes, mais aucune entreprise privée ne les aurait promues à des responsabilités aussi grandes », m’a écrit le chirurgien, qui dit appuyer les revendications des infirmières sur les conditions de travail, mais demande aux syndicats de jeter du lest sur les nominations.

L’ex-cadre du réseau Colette Blais Parent, qui a travaillé au Québec et en Ontario, explique que dans la province voisine, la compétence prime sur l’ancienneté lors de l’affichage de postes.

Cela fait une très grande différence en termes de rendement et d’efficacité. Les heures de formation sont moins importantes et le fonctionnement du service est moins perturbé et plus efficace.

Colette Blais Parent, ex-cadre du réseau de la santé

« Aussi, il n’y a pas d’ancienneté pour le choix des vacances. C’est l’infirmière-chef qui fait la planification des vacances. Habituellement, celles qui ont leurs vacances en juillet ou en août une année auront leurs vacances en juin ou septembre l’année suivante. »

Ce n’est pas le cas au Québec, où l’ancienneté prime, ce qui a pour effet de repousser l’attrait des jeunes pour la profession.

L’infirmière à la retraite Suzanne Turgeon salue la fusion de l’ancienneté de tous les employés du réseau, ayant elle-même perdu tous ses privilèges à trois reprises en changeant de région.

« Chaque fois, je recommençais au bas de l’échelle de l’ancienneté. J’ai contesté, mais le syndicat ne voulait rien entendre. En conséquence, de jeunes infirmières ou des infirmières auxiliaires recyclées passaient devant moi, obtenaient les meilleurs postes, avec moins d’expérience. C’était injuste », explique-t-elle.

La travailleuse sociale Sylvie Vermette, de son côté, croit que les primes envisagées pour certaines infirmières (de nuit, bachelières ou en région) devraient s’appliquer aux intervenants en DPJ, dont l’horaire est plus exigeant que celui des travailleurs sociaux de CSLC.

« Mes horaires sont atypiques, j’interviens majoritairement au domicile des familles, je prends parfois des risques pour ma sécurité, je cours le risque de laisser des enfants dans leur milieu, il m’arrive d’aller au tribunal », explique-t-elle.

Craintes de conséquences fâcheuses

La fusion de l’ancienneté créera cependant des problèmes de rétention de main-d’œuvre, craignent trois travailleurs du réseau.

Marie-Josée Collard, professionnelle en santé mentale, m’écrit que la grande mobilité des employés est devenue un calvaire depuis la création des mégaétablissements, dans le contexte de la pénurie de main-d’œuvre.

« Ça prend des années pour développer l’expertise nécessaire pour offrir des services de qualité. Avant les fusions, une infirmière en psychiatrie ayant 15 ans d’ancienneté n’avait pas envie de transférer vers un centre jeunesse, car elle recommençait alors au bas de l’échelle syndicale (choix des vacances, accès aux postes convoités, etc.). »

« Depuis la fusion des établissements, c’est le free for all. Un nombre incroyable de personnes se promène d’un poste à l’autre à chacun des affichages. En fin de compte, ces employés ne sont bons dans rien et ne développent aucun sentiment d’appartenance. Ça coûte des fortunes pour leurs formations et leur intégration. Ça démobilise tout le monde de recommencer constamment et personne n’y gagne », dit Mme Collard, de Québec.

L’infirmier Yves Bonenfant, de son côté, craint pour les régions éloignées. « Fusionner l’ancienneté syndicale fera que les régions éloignées seront encore plus délaissées, car le personnel pourra postuler dans les grands centres, à moins que les primes de région soient très intéressantes », m’écrit-il.

Propos quasi inverse d’un radiologue, qui craint que l’augmentation de la mobilité accentue les problèmes de recrutement dans l’île de Montréal.

J’ai peur de perdre mes technologues avec le concept d’ancienneté provinciale. Les postes sur l’île sont difficiles à combler. Les technologues n’ont pas les moyens de vivre sur l’île de Montréal, les maisons sont trop chères.

Un radiologue de l’île de Montréal

« Je ne les blâme aucunement de vivre en banlieue. À salaire égal, c’est plus simple et moins coûteux de travailler à Saint-Jérôme, Granby ou Trois-Rivières que sur l’île de Montréal. Tous mes collègues qui travaillent sur l’île ont le même problème », m’écrit le médecin, qui exhorte le gouvernement à être prudent, craignant que les hôpitaux montréalais perdent leur personnel au profit des banlieues.

Pour sa part, le lecteur Bruno Boucher, qui a travaillé dans l’administration du réseau pendant 35 ans, craint que la centralisation attendue n’entraîne un alourdissement du processus décisionnel. « Je crois que la solution se trouve plutôt dans un retour à la gestion de proximité, avec des gestionnaires près du terrain et qui connaissent bien la réalité de leur milieu. Par exemple, pourquoi ne pas remettre la responsabilité à chaque MRC ? », m’écrit-il.

Hélène Tremblay, qui a travaillé 28 ans comme cadre dans le réseau, croit le contraire. « Le nombre de paliers, de conseils d’administration et de directeurs constitue un frein à l’efficacité et permet que chacun agisse comme un petit roi. »

Bref, avant même d’être déposée, la loi ne fait pas l’unanimité. Néanmoins, très peu jugent que le statu quo est une option.

Lisez la chronique « Santé Québec : la loi s’attaquera au “carcan syndical” » Lisez l’article « Santé Québec : de nouvelles règles prescrites aux médecins spécialistes »