(Québec) « Bouclier caquiste anti-imputabilité », « power trip de bureaucrates » et « centralisation jamais vue ». L’opposition descend en flammes la réforme Dubé en santé. Le leader de Québec solidaire taxe même le gouvernement de réaliser le « wet dream » de Gaétan Barrette. François Legault les accuse de défendre « le statu quo », comme les syndicats.

Le dépôt par le ministre de la Santé de son imposante réforme du réseau de la santé et des services sociaux a donné lieu à des échanges corsés au Salon bleu, jeudi.

Parlant d’un « power trip de bureaucrates », le chef parlementaire de Gabriel Nadeau-Dubois s’est vivement opposé aux visées du gouvernement Legault. Il a accusé François Legault de réaliser le « wet dream » de l’ex-ministre libéral Gaétan Barrette, dont la réforme a donné naissance aux CISSS et CIUSSS.

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Gabriel Nadeau-Dubois

« Cette réforme-là va créer, essentiellement, une mégabureaucratie pour gérer la bureaucratie actuelle, alors que ce qu’il aurait fallu faire, c’est de décentraliser pour enlever la bureaucratie », a lancé le chef solidaire.

L’enjeu de l’imputabilité a été au cœur des griefs de l’opposition, au lendemain du dépôt du projet de loi 15 visant à rendre le réseau de la santé et des services sociaux plus efficace. L’opposition estime que le ministre de la Santé se défile de ses responsabilités en créant une toute nouvelle société d’État, Santé Québec, qui sera dirigée par un président et chef de la direction, et un conseil d’administration.

« La bonne gestion, c’est que Québec, la haute direction, évalue les résultats, mais laisse le choix des moyens localement, et là, ça leur donne de la corde, ils peuvent se pendre avec. Mais ils ont une obligation de résultat, de donner de bons services de qualité », a rétorqué François Legault à son arrivée à la période de questions.

Il va continuer d’avoir des périodes de questions, il va continuer d’avoir des oppositions qui vont nous demander de rendre des comptes, avec raison. Il n’y a rien de changé.

François Legault, premier ministre du Québec

L’imputabilité va rester, assure Dubé

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Christian Dubé

« Je peux vous dire que c’est très clair, je vais rester responsable d’une foule de choses. La question des plaintes, la question du budget, la question… et ce qu’on dit, c’est que les orientations vont au ministère, mais que l’exploitation des opérations du réseau, ça se fait », a plaidé de son côté le ministre de la Santé Christian Dubé.

« On va dire les vraies choses : est-ce que l’opposition est en train de dire que toutes les recommandations que les experts ont fait depuis 20 ans, en commençant par Michel Clair, Claude Castonguay, Joanne Castonguay, Mme Savoie, tous ces experts-là, se sont trompés ? Nous, on a le courage politique de faire ça. Que l’opposition nous explique comment tous ces experts se trompent », a-t-il lancé.

De son côté, la présidente du Conseil du trésor, Sonia LeBel, n’a pas fermé la porte à une bonification de la rémunération des médecins spécialistes pour faire accepter les nouvelles exigences qui leur seront imposées. « On parle de négociations. Je n’aurai pas de commentaires à ce sujet-là. On va en discuter avec eux », a-t-elle répondu à La Presse à la sortie de la période des questions au Salon bleu.

M. Dubé a affirmé que le permis de pratique des spécialistes sera assujetti à des « activités médicales particulières », comme c’est le cas pour les médecins de famille. Ils devront par exemple offrir des heures de travail dans des quarts défavorables, participer à des gardes ou combler des services à découvert.

Un bras de fer se profile entre le gouvernement et la Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ), qui a dénoncé mercredi la « méthode contre-productive » du ministre Dubé et une « attitude de confrontation » du MSSS.

Pas d’effets sur les services, selon l’opposition

À l’unisson, l’opposition a déploré une « centralisation jamais vue » qui n’aura pas d’effets sur la population qui attend de recevoir des soins et services.

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Joël Arseneau

« Quelle est la valeur ajoutée d’une société d’État qui veille aux opérations du système de santé ? Moi, je peine à voir qu’est-ce que c’est que ces gestionnaires-là vont apporter de plus que les gestionnaires actuels du système de santé », a soulevé le député péquiste Joël Arseneau.

« Ça ne changera rien pour les patients, ça ne donnera pas plus de soins à personne. Ça ne va pas ramener une seule infirmière dans notre système de santé public. C’est une réforme qui n’est pas faite pour le monde, c’est une réforme qui a été faite pour les bureaucrates », a affirmé Gabriel Nadeau-Dubois.

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Marc Tanguay

« Si on dit que Pierre Fitzgibbon, c’est un super ministre, on va se rendre compte qu’après cela, après cette réforme Dubé, là, bien, on aura un mini-ministre de la Santé, pas un super ministre. Alors, après le bouclier caquiste anti-inflation, on a maintenant le bouclier caquiste anti-imputabilité », a décoché pour sa part le chef libéral Marc Tanguay, jeudi.

Une « patente » de 1200 articles

Le projet de loi 15 est une brique de quelque 300 pages et comprend 1200 articles. Mercredi, le ministre Dubé a émis le souhait d’adopter sa réforme d’ici la fin de la session parlementaire, en juin. Un scénario totalement irréaliste aux yeux de l’opposition.

« Je lui invite à compter le nombre de jours qu’il y a d’ici l’ajournement de juin. Je ne vois pas, même avec la meilleure volonté du monde, à moins qu’il nous annonce qu’on va travailler 24 heures sur 24, jour et nuit, la fin de semaine aussi, là. Il y a 1200 articles dans sa patente », a affirmé le député solidaire Vincent Marissal.

Le libéral André Fortin a pris en exemple le projet de loi visant à serrer la vis aux agences privées de placement, qui est à l’étude. « On collabore bien. Mais ça, c’est un projet de loi de six articles, puis ça fait deux semaines qu’on est dessus. Alors, il y en a 1200 en avant de nous. Ça prend un certain temps, faire ces choses-là. Je ne voudrais pas que le ministre arrive avec une approche bulldozer, puis qu’il nous dise : il faut absolument que ce soit fini d’ici juin », a-t-il illustré.

Les libéraux ont proposé d’explorer l’avenue de scinder le projet de loi 15 en deux pour accélérer son étude, ce à quoi le ministre Dubé a rapidement fermé la porte. « Tout ça est interrelié. La journée que vous faites l’employeur unique et que vous permettez, par exemple, d’avoir une meilleure mobilité pour que les infirmières qui veulent se déplacer d’une région à l’autre, bien, ça va aussi avec l’accès aux patients », a-t-il dit.

Avec Charles Lecavalier et Tommy Chouinard