C’est un moment qu’on attendait depuis si longtemps que, bien franchement, on ne peut s’empêcher d’être un peu déçu. Ça aurait pu être plus sérieux. Moins vulgaire, en tout cas.

Ça aurait pu être les documents ultraconfidentiels planqués à Mar-a-Lago, par exemple. Le grand mensonge, à propos des élections volées. Ou encore, l’incitation aux émeutes mortelles du Capitole.

Mais non. De toutes les allégations visant Donald Trump, c’est l’affaire Stormy Daniels qui pourrait bientôt mener la police à lui passer les menottes.

Pour la première fois dans l’histoire des États-Unis, un ancien président pourrait avoir à donner ses empreintes digitales et à se faire tirer le portrait, de face et de profil, question d’établir son identité judiciaire.

Ce n’est pas encore fait. À Manhattan, un grand jury délibère toujours sur la pertinence, ou non, d’inculper Donald Trump. Sa décision est attendue d’un jour à l’autre.

On se dit que ce serait mieux que rien. Tout est bon pour retirer ce politicien corrompu et dangereux de la circulation. Même un vulgaire paiement destiné à acheter le silence d’une actrice porno.

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L’ex-président des États-Unis Donald Trump

Mais à bien y penser, ce ne serait pas mieux que rien.

Ce serait juste… parfait.

Stormy Daniels n’est pas qu’une actrice porno. On aurait tort de la réduire à un rôle de nounoune blonde aux seins siliconés. C’est une femme d’affaires aguerrie. Une réalisatrice. Une auteure. Une mère.

Une femme libre. Sans remords et sans complexe.

Je ne suis pas en train de vous dire que Stormy Daniels est une héroïne des temps modernes, mais… un peu, quand même.

Normalement, elle aurait dû prendre son trou et ravaler sa honte. On s’attend à cela, et à rien d’autre, des femmes impliquées dans des scandales sexuels avec des hommes riches et puissants.

Stormy Daniels aurait dû se la fermer, comme Monica Lewinsky, humiliée à la face du monde, à 22 ans, pour avoir entretenu une liaison avec Bill Clinton, à la fin du siècle dernier.

Il aura fallu dix longues années à l’ex-stagiaire de la Maison-Blanche pour briser son douloureux silence. Aujourd’hui, Monica Lewinsky milite contre l’intimidation et donne des conférences sur les meilleures façons de survivre à l’humiliation publique.

Stormy Daniels refuse la honte.

« Le président Trump ne te toucherait pas avec une pole de 10 pieds », a récemment écrit un internaute en colère sur le compte Twitter de l’actrice.

« Vrai. Il a en a utilisé une de trois pouces », lui a-t-elle répondu avec son sarcasme habituel.

Il faut savoir que pole, en anglais, peut aussi vouloir dire… enfin, vous avez compris.

Elle est comme ça, Stormy Daniels. Frondeuse. Narquoise. Avec beaucoup d’autodérision, elle confronte ses détracteurs en ligne. Elle s’en prend à l’ego démesuré de Trump, qu’elle surnomme Tiny. Minuscule. Un tweet à la fois, elle dégonfle l’image d’homme viril que l’ex-président tente de projeter.

On ne peut qu’imaginer l’avalanche de haine que cette femme doit recevoir, jour après jour. Elle fait face à des millions de partisans convaincus que Trump ne peut rien faire de mal. À la puissante machine MAGA. Et aux commentateurs teigneux de Fake, pardon, Fox News.

Surtout, elle fait face à Donald Trump, qui n’hésite pas à canaliser ces torrents de haine pour les projeter contre ceux qui osent se mettre sur son chemin.

On a vu ce que cela a donné à Washington, le 6 janvier 2021.

Malgré le danger, les menaces, les insultes, Stormy Daniels refuse d’être réduite au silence.

C’est ce qu’on appelle avoir du courage.

Évidemment, l’actrice de 44 ans n’est pas une sainte. Tant s’en faut. Elle ne fait pas tout ça pour sauver la démocratie américaine.

Elle travaille d’abord pour elle-même. Son livre qui « révèle tout » est un best-seller. Elle monnaye ses entrevues. Elle vend des calendriers, des photos, des bébelles. Son compte Twitter explose. Son compte OnlyFans, aussi…

Mais Stormy Daniels n’est pas la seule à profiter du scandale : Donald Trump en profite largement, lui aussi. En trois jours, l’ex-président a amassé 1,5 million US auprès de ses fidèles en agitant la menace d’une inculpation imminente.

Imaginez si la police lui passe bel et bien les menottes. L’argent tombera du ciel. Plus que jamais, ses partisans crieront à la persécution politique.

D’ailleurs, il est fort probable que personne n’aimerait voir ce scénario se concrétiser autant que… Donald Trump lui-même !

S’il joue assez bien la carte de la « chasse aux sorcières », une inculpation dans cette affaire, loin de lui nuire, pourrait lui donner le coup de pouce nécessaire pour reconquérir la Maison-Blanche en 2024.

En cas d’inculpation, le procureur démocrate de Manhattan, Alvin Bragg, devra prouver que le paiement de 130 000 $ US à Stormy Daniels avant l’élection de 2016 constituait une contribution électorale illégale.

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Le procureur démocrate de Manhattan, Alvin Bragg

C’est loin d’être gagné. Même que le dossier du procureur est beaucoup trop faible, disent les critiques. Il risque de miner d’autres dossiers à venir, plus solides.

Ça aurait pu être plus sérieux, donc.

N’empêche, imaginez un peu que ça fonctionne. Imaginez qu’en fin de compte, ce soit une femme qui provoque la chute de monsieur « grab’em by the pussy », ce président profondément misogyne qui a pu s’en sortir malgré une flopée d’accusations d’inconduites sexuelles, ce président-téflon qui a pu s’en sortir malgré tous les scandales, tout le temps, sans la moindre égratignure.

Ce serait ce qu’on appelle le karma.