C’était autour de 2006 et nous étions dans l’ère des blogues, prélude à celle des réseaux sociaux. J’avais alors une certitude qui a mal vieilli comme un paquet de baloney oublié dans une voiture laissée deux jours dans un parking en plein soleil de juillet.

Ma certitude : si les gens étaient forcés de commenter sous leur propre nom, avec leur photo, le niveau des discussions dans les blogues s’en trouverait grandement amélioré. Les commentaires dans les forums adjacents aux blogues rappelaient souvent le film Vol au-dessus d’un nid de coucou…

Mon raisonnement : c’est bien facile de dire des sottises quand tu écris sous le pseudo Banane-Banane1973…

L’anonymat, pensais-je, était un formidable bouclier contre la gêne et la honte.

C’est fou comme les années m’ont donné tort !

Oui, oui, les trolls anonymes sévissent sur les réseaux et constituent une plaie…

Mais peut-on parler des Jade, des Maurice, des Ginette, des Kevin et des Édouard qui commentent sous leur vrai nom, à partir de comptes qui nous montrent leur vraie vie ?

Si l’ère des réseaux sociaux nous a appris quelque chose, c’est que même à visage découvert, #lesgens continuent de pondre une impressionnante panoplie de sottises. C’est comme si les outils du numérique avaient tué, chez certains, le sentiment d’embarras qui naguère nous poussait à garder en notre for intérieur toutes sortes de pets mentaux sans intérêt.

Cette semaine, c’est la comédienne Guylaine Tremblay qui a magistralement exposé le phénomène. Remplaçant Julie Snyder à la barre du talk-show de fin de soirée de Noovo, elle a reçu le message suivant, sur sa page Facebook :

« Guylaine, sérieux arretes les chirurgies ou les injections. Tu ètais tellement belle. Maintenant tu as une manchoire d’homme. Carré et des joues qui ne t’appertiennent plus. Dommage pour ton beau visage plein d’émotion que je ne ou on ne verra plus jamais. Tu étais tellement belle avec toute ton histoire dans ta figure…. bien triste »

Guylaine Tremblay s’est insurgée contre le point de vue mal écrit de cette femme, ajoutant que souvent, « à 98 % », ce sont des femmes qui bitchent ainsi d’autres femmes.

Je ne sais pas si Guylaine Tremblay a eu de la chirurgie esthétique et je m’en fous sincèrement. Ça la regarde. Je ne sais pas non plus si les femmes sont plus dures avec les femmes, je pensais que tout était la faute du patriarcat, ce sera pour une autre chronique.

Je sais que la populaire comédienne a fait preuve d’une grande retenue en ne nommant pas la femme qui a jugé sa face comme on juge la carte des desserts du restaurant du coin sur TripAdvisor.

Et je sais que jamais l’humanité n’a autant commenté publiquement, sur tout et sur rien. Je ne pense pas que ce soit une si grande avancée pour l’espèce.

On peut commenter publiquement les nouvelles sur les pages des médias eux-mêmes et sur les réseaux sociaux, on peut commenter sur sa propre page Facebook ; sur Trip Advisor, sur Airbnb, sur Instagram ; il y a des sites pour commenter le travail des profs d’université, des médecins, des employeurs ; on peut commenter sur la page du premier ministre, de notre députée, de notre maire…

Bref, nous vivons dans la République populaire des commentaires.

Commenter est devenu une sorte d’activité humaine, un loisir, une façon de passer le temps, comme le bronzage ou le jardinage.

Un réflexe, aussi : c’est comme si certaines personnes ne pouvaient s’empêcher de commenter. Et plus les gens commentent, moins ils semblent avoir de filtre.

Je note par ailleurs un curieux phénomène : 98 % des commentaires que je reçois privément dans ma messagerie de La Presse, même quand ils sont critiques, sont… pertinents.

Mais quand je lis les commentaires publics sous mes chroniques sur la page Facebook de La Presse, c’est l’exact contraire qui se produit : 98 % des commentaires sont non pertinents…

Notre cerveau est une merveille d’ingéniosité, aux ressources franchement impressionnantes. Le cerveau humain a envoyé un homme sur la Lune, décodé le génome humain et créé des vaccins qui ont sauvé des millions de vies…

Mais il y a plein de cerveaux qui décident qu’il est de la plus haute importance de commenter des choses vides comme l’apparence d’une inconnue qui travaille à la TV.

Ce qui appelle la question : quel est ce mystérieux processus mental qui pousse une personne à opiner publiquement, par un soir de février, à propos des pommettes d’une autre personne ?

Je pense à ce mystérieux processus mental – celui qui mène à cette décision fatidique d’appuyer sur PUBLIER – et j’ai le même sentiment que lorsque je pense aux secondes qui ont précédé le Big Bang : un vertige causé par la certitude (une autre !) d’être devant un phénomène qui ne sera jamais complètement expliqué par la science.

Salutations à 98 % des gens qui commenteront cette chronique sur la page Facebook de La Presse.