Vincent vivra bientôt avec l’équivalent d’un tiers de son estomac. Comme lui, une vingtaine d’adolescents ont subi une opération bariatrique dans les dernières années au Québec. Une intervention de dernier recours qui peut grandement améliorer la qualité de vie de ces jeunes patients, mais qui soulève aussi des préoccupations.

« J’ai hâte, mais je sais que ce ne sera pas la solution facile. » Au bout du fil, le jeune Vincent Cournoyer, 18 ans, est fébrile. Atteint d’obésité sévère depuis le début de l’adolescence, il subira dans les prochains mois une opération bariatrique qui vise à lui faire perdre du poids pour améliorer son état de santé.

À l’âge de 12 ans, Vincent a développé des troubles alimentaires, qui lui ont fait prendre du poids rapidement. « S’il y avait deux boîtes de biscuits, je les mangeais au complet et je pleurais en même temps, parce que je me sentais mal », dit-il. Ces crises le poussaient à manger tout ce qu’il avait sous la main. « Ce n’était pas beau à voir. »

L’adolescent se forçait ensuite à vomir ou à faire des exercices excessifs pour tenter de perdre les calories qu’il venait d’ingérer. « J’étais accro au jeu Just Dance, parce que je dansais tout le temps après mes crises, pendant deux ou trois heures », confie-t-il. Il cachait aussi de la nourriture, « au cas où [il avait] un besoin de manger », dit-il.

Le Québec offre aux adolescents un parcours vers l’intervention bariatrique, qui est considérée comme une intervention efficace pour certains patients. La majorité des adolescents qui subissent une opération bariatrique ont une gastrectomie longitudinale, ou sleeve gastrectomie. Cette procédure consiste à retirer environ les deux tiers de l’estomac, qui est réduit à un tube étroit d’environ 150 à 200 ml. Depuis 2015, 22 mineurs ont subi l’opération, selon les données de la Régie de l’assurance maladie du Québec obtenues par La Presse.

Vincent Cournoyer est l’un des jeunes Québécois qui bénéficieront de l’intervention. À 16 ans, il approchait des 300 lb.

Ç’a été difficile de voir mon corps changer. Je voyais toutes les vergetures sur mon corps. J’ai subi de l’intimidation par rapport à mon poids pendant toute mon enfance.

Vincent Cournoyer

Malgré les suivis avec une psychologue pour traiter ses troubles alimentaires, le chiffre sur la balance ne cessait d’augmenter. Sa mère a contacté le Centre d’excellence sur l’obésité sévère chez les adolescents à l’Hôpital de Montréal pour enfants. Plus de 50 jeunes attendent actuellement d’y être admis.

À son admission en avril dernier, après plus d’un an d’attente, il a été pris en charge par une imposante équipe, réunissant médecin, nutritionniste, psychologue, travailleuse sociale et kinésiologue. Son trouble alimentaire s’est tranquillement résorbé. « Je vais beaucoup mieux, mais je ne suis pas parfait encore, c’est sûr », relate-t-il.

Dans les derniers mois, le poids de Vincent s’est stabilisé à 300 lb. Vu son état de santé, les médecins lui ont proposé d’opter pour l’opération bariatrique.

Malheureusement, en ce moment, j’ai du gras au niveau du foie qui peut être dangereux et j’ai un début de diabète.

Vincent Cournoyer

Respecter « la culture du jeune »

La base du traitement contre l’obésité sévère « est la prise en charge en équipe multidisciplinaire de façon déculpabilisante, inclusive et en respectant les valeurs et la culture du jeune », explique la Dre Julie St-Pierre, pédiatre et lipidologue à la Maison de santé Prévention-Approche 180. Mais dans des cas extrêmes, où il y a des atteintes à la qualité de vie, à la santé physique et au bien-être, l’opération bariatrique est envisagée, dit-elle.

Au Québec, l’opération bariatrique peut être recommandée à partir de 13 ans, indique la Dre St-Pierre. Dans les faits, la majorité des interventions ont lieu entre 15 et 17 ans.

Effectuer cette opération à un jeune âge peut permettre de maintenir la qualité de vie du patient et éviter des complications dans les années qui suivent, soutient la spécialiste.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE

La Dre Julie St-Pierre, pédiatre et lipidologue à la Maison de santé Prévention-Approche 180

Ça peut éviter d’avoir un infarctus à 25 ans, d’avoir un accident vasculaire cérébral à 35 ans ou une greffe de foie ou de rein.

La Dre Julie St-Pierre, pédiatre et lipidologue à la Maison de santé Prévention-Approche 180

Par ailleurs, plus des trois quarts des conditions de santé liées à l’obésité, dont l’inflammation du foie, la haute tension et le diabète de type 2, se résorbent à la suite de l’opération, soutient le Dr Julius Erdstein, spécialiste en médecine de l’adolescence à l’Hôpital de Montréal pour enfants. « Ce n’est pas juste le chiffre sur la balance, c’est un changement de vie », dit-il.

Proposer à un enfant d’opter pour l’opération bariatrique n’est toutefois « pas banal », soutient la Dre St-Pierre. Certains patients vont vivre des difficultés psychologiques à la suite de l’intervention. « Même après 20 ans dans le domaine, c’est rare que je sois à l’aise et je vais être très minutieuse dans le choix des patients que je vais référer. »

Afin de s’assurer qu’il comprend bien les implications entourant l’opération, Vincent a rencontré quatre médecins avec qui il a passé plusieurs heures. « On m’a expliqué qu’est-ce que c’est l’opération, qu’est-ce qui va se passer après, quels types de médicaments je vais prendre et les entraînements et le régime que je vais devoir faire », énumère-t-il.

Le choix de l’enfant ?

Des experts s’inquiètent toutefois des raisons qui poussent les jeunes à opter pour l’opération. « Il faut savoir si c’est vraiment l’enfant qui choisit de faire [l’opération bariatrique] ou si c’est le parent qui choisit pour l’enfant », dit Edith Bernier, fondatrice du site web grossophobie.ca et auteure du livre Grandir sans grossophobie, paru à la fin de février.

« Pour que ce soit un consentement libre et éclairé, il faut que ça vienne du patient lui-même. Il y a peut-être des adolescents qui sont plus timides et qui ne veulent pas faire de peine à leurs parents », illustre Julien Brisson, spécialiste en évaluation des soins au CIUSSS du Centre-Ouest-de-l’Île-de-Montréal.

Le cerveau des adolescents fait aussi en sorte qu’ils sont beaucoup plus sensibles à leurs pairs et à leur image que les adultes, ajoute M. Brisson. « Dans le contexte actuel, avec toute la grossophobie, comment on fait pour s’assurer que ce n’est pas une pression de la société de vouloir faire en sorte de faire cette intervention ? », se questionne-t-il.

Une question qui rejoint particulièrement Mme Bernier. « Je ne connais pas beaucoup de personnes qui iraient faire une opération sans avoir au moins une petite pensée qu’ils vont ensuite plus correspondre aux standards de la société », dit-elle.

« Ce n’est pas la solution miracle »

Dans les mois qui suivront l’opération, Vincent sera soumis à un régime strict. « Au départ, je vais seulement pouvoir prendre des compléments alimentaires et des gorgées d’eau quelques fois pendant la journée », dit-il. Au fil des semaines, il pourra « commencer à prendre quelques bouchées ».

L’opération bariatrique nécessite une importante préparation mentale et physique. Pour Vincent, qui se fera opérer dans les prochains mois, ce n’est que le début d’un long et périlleux rétablissement.

L’opération de Vincent devrait se dérouler l’été prochain à l’Hôpital général de Montréal, puisque l’Hôpital de Montréal pour enfants n’a pas les ressources nécessaires pour procéder à l’intervention.

Sa meilleure amie, avec qui il emménagera sous peu pour ses études, a aussi rencontré l’équipe médicale. « Elle va être là pour me surveiller, pour m’encourager et pour m’accompagner à mes rendez-vous. Ça va être mon soutien moral », dit-il d’un air joyeux.

Pour s’assurer que les effets positifs de l’intervention perdurent, un soutien et un suivi en santé mentale à long terme seront offerts à Vincent après l’intervention par une équipe de l’Hôpital général de Montréal.

Edith Bernier s’inquiète du manque de soutien après l’opération, compte tenu de la surcharge actuelle dans le réseau de la santé.

PHOTO ANDRÉ PICHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Edith Bernier, fondatrice du site web grossophobie.ca et auteure du livre Grandir sans grossophobie

Composer avec la chirurgie est un très gros poids à mettre sur la famille et l’enfant. L’opération n’est pas sans conséquence. Ça peut créer des effets secondaires pour le reste de la vie.

Edith Bernier, fondatrice du site web grossophobie.ca et auteure du livre Grandir sans grossophobie

La mère du jeune homme espère qu’il sera bien encadré à la suite de l’opération. « Il ne faut pas qu’il pense qu’il va subir ça et qu’après tout va être réglé. Non, il y a des séquelles », dit Mélanie Harnois, qui a elle-même subi une opération bariatrique.

Après trois grossesses, la mère de famille a pris plus de 100 lb. À 27 ans, elle a opté pour l’opération bariatrique, puis a perdu 150 lb en un an. Bien que satisfaite du résultat, elle s’est sentie seule, avec son nouveau corps.

Elle tente, tant bien que mal, de faire comprendre à son fils que « ce n’est pas la solution miracle ».

C’est un choc d’être gros, mais c’est aussi un choc après l’opération. On ne s’accepte pas nécessairement plus en tant que mince.

Mélanie Harnois, la mère de Vincent, qui a elle-même subi une opération bariatrique

Vincent en est conscient. « À cause des réseaux sociaux, le regard des autres sur le physique est tellement important. Je sais que même si je perds du poids, mon corps ne sera pas parfait et je vais avoir de la peau qui va pendre », dit-il. Mais ça ne l’inquiète pas.

« Je fais l’opération pour ma santé, dit-il. Toute cette peau sera le produit des efforts que j’ai mis pour avoir perdu du poids. Le monde extérieur ne trouvera peut-être pas ça beau, mais pour moi, ce sera un signe de réussite. »

Les deux tiers de l’estomac en moins

La majorité des adolescents qui subissent une opération bariatrique procède à une gastrectomie longitudinale, ou sleeve gastrectomie. Cette procédure consiste à retirer environ les deux tiers de l’estomac, qui est réduit à un tube étroit d’environ 150 à 200 ml. Pour avoir accès à l’opération, l’adolescent doit avoir un indice de masse corporelle d’au moins 40 ou un indice d’au moins 35 avec des conditions de santé sévères, telles que le diabète, le cholestérol, la pression artérielle ou l’apnée du sommeil.

Des médicaments qui permettraient d’éviter l’opération inaccessibles

Les spécialistes rencontrés par La Presse dénoncent un manque de financement dans les soins chez les jeunes souffrant d’obésité. « Le grand malheur à l’heure actuelle au Québec, c’est qu’on n’est pas capable d’avoir un continuum de soins financés par l’État pour éviter de devoir arriver à des solutions drastiques comme la chirurgie bariatrique », déplore la Dre Julie St-Pierre. À l’heure actuelle, certains médicaments, entraînant une perte de poids, pourraient permettre à des jeunes d’éviter l’intervention. Ils ne sont toutefois pas offerts au Québec ou sont exclus du programme de la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ). « C’est frustrant », déplore la Dre St-Pierre, qui implore le gouvernement d’en faire plus.

En savoir plus
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    Nombre d’opérations bariatriques réalisées chez les mineurs au Québec depuis 2015
    Source : RAMQ
    21 573 
    Nombre d’opérations bariatriques réalisées chez les 18 à 64 ans au Québec depuis 2015
    Source : RAMQ
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    Nombre d’opérations bariatriques réalisées chez les 65 ans et plus au Québec depuis 2015
    Source : RAMQ