(Ottawa) À peine arrivée en poste, la nouvelle présidente du Conseil du Trésor, Anita Anand, demande à ses collègues du Cabinet de s’astreindre à une plus grande rigueur budgétaire.

Nommée à ce poste névralgique pour contrôler les dépenses du gouvernement à la faveur du dernier remaniement ministériel, Mme Anand a envoyé une lettre à l’ensemble des ministres leur demandant de soumettre, par écrit, leur plan respectif pour trouver des économies d’au moins 15 milliards de dollars au cours des cinq prochaines années.

Elle leur a donné un échéancier serré dans une lettre qui ne laisse aucune place à l’interprétation. Tout doit être livré d’ici le 2 octobre, rapportait mardi le quotidien The Globe and Mail. L’objectif est de mettre en œuvre une mesure du dernier budget fédéral visant à mieux contrôler les dépenses.

Cette lettre a été expédiée quelques jours avant la retraite du Cabinet à Charlottetown, la semaine prochaine, qui vise à préparer la prochaine session parlementaire.

Un tel exercice ne permettra pas à Anita Anand, qui a des ambitions de prendre la barre du Parti libéral du Canada un jour, d’augmenter sa popularité auprès de ses collègues. Mais c’est un signe qui ne ment pas.

Les libéraux qui occupent le centre droit sur l’échiquier politique – souvent appelés les « Blue Liberals » – montrent des signes de vie. Ces libéraux, qui se réclament de l’héritage des Paul Martin, John Manley et compagnie, ont été marginalisés depuis que Justin Trudeau est au pouvoir.

Depuis 2015, les libéraux ont donné un immense coup de barre à gauche, pigeant souvent dans le sac d’idées du Nouveau Parti démocratique (NPD) au cours des trois derniers scrutins pour se faire élire. L’an dernier, ils ont même conclu un accord de gouvernance avec le chef néo-démocrate, Jagmeet Singh, lequel assure leur survie à la Chambre des communes, où ils sont minoritaires.

Ce faisant, la gestion serrée des finances publiques est devenue secondaire. Le gouvernement Trudeau n’a pas déposé un seul budget équilibré en huit ans, période durant laquelle la dette accumulée a doublé.

Sous la houlette de la ministre des Finances Chrystia Freeland, le retour à l’équilibre budgétaire apparaît d’ailleurs comme un objectif dont l’échéancier est plus que jamais incertain.

« La fin de la récréation »

La décision de muter Anita Anand de la Défense au Conseil du Trésor a été interprétée par plusieurs observateurs de la scène fédérale comme une rétrogradation. La principale intéressée a multiplié les entrevues pour démontrer le contraire. La lettre qui porte sa signature et qui a fait l’objet d’une fuite est un signe qu’elle ne restera pas les bras croisés à ce ministère.

Mme Anand est considérée par les stratèges libéraux comme faisant partie des « Blue Liberals » au sein du Cabinet. « Anita Anand, quand elle prend la parole au Cabinet, elle ne parle pas pour ne rien dire. Elle se prononce sur les sujets quand elle a des choses à dire. Et quand elle le fait, tout le monde l’écoute. Elle est au Cabinet non pas pour des raisons démographiques ou quoi que ce soit. Elle est au Cabinet parce qu’elle est compétente. Point à la ligne », a souligné un ancien chef de cabinet qui a assisté à quelques-unes de ces rencontres du Cabinet.

« La ministre Anand est extrêmement compétente et rigoureuse. Il est temps que quelqu’un sonne la fin de la récréation sur le plan des dépenses. Je souhaite de tout cœur qu’elle réussisse », a affirmé Robert Asselin, premier vice-président au Conseil canadien des affaires et un ancien proche collaborateur de Justin Trudeau et de l’ex-ministre des Finances Bill Morneau.

Depuis qu’il a quitté le gouvernement Trudeau, M. Asselin ne ménage pas ses critiques au sujet de l’absence de rigueur budgétaire et de plan de croissance de l’économie.

Scepticisme

Le ministre de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie, François-Philippe Champagne, fait aussi partie de l’aile du Parti libéral qui souhaite une plus grande rigueur en matière de gestion des finances publiques. « Pour être en mesure de redistribuer de la richesse, il faut aussi être capable de la créer, cette richesse », a-t-il déjà souligné à certains de ses collègues en privé.

Chez les libéraux qui réclament un coup de barre dans la gestion des finances publiques, le scepticisme est de mise. D’autant que dans un contexte préélectoral, le premier réflexe de Justin Trudeau et de ses proches collaborateurs est de courtiser les progressistes en augmentant les dépenses.

Le chef conservateur, Pierre Poilievre, dont le parti détient une avance variant de 7 à 10 points de pourcentage sur les libéraux dans les sondages, a tourné en dérision la démarche d’Anita Anand.

PHOTO FRANK GUNN, LA PRESSE CANADIENNE

Le chef du Parti conservateur du Canada, Pierre Poilievre

« Ils ne vont jamais le faire ! […] Justin Trudeau est incapable de livrer la marchandise parce qu’il est incompétent et il adore gaspiller l’argent », a soutenu M. Poilievre, de passage à Toronto.

Lorsqu’il était chef du Parti libéral du Canada, l’ancien premier ministre Jean Chrétien s’évertuait à soigner les deux ailes de sa formation politique : l’aile gauche, qui réclamait un meilleur financement des programmes sociaux, et l’aile droite, qui exigeait une meilleure discipline budgétaire.

Selon le « p’tit gars de Shawinigan », ce jeu d’équilibriste lui permettait de diriger un parti ayant deux ailes pleinement déployées. Il pouvait ainsi survoler le centre de l’échiquier politique et faire échec à la fois au NPD et à l’Alliance canadienne, devenue le Parti conservateur après sa fusion avec le Parti progressiste-conservateur en 2003. Ses succès électoraux – il a remporté trois mandats majoritaires consécutifs, le premier à réussir un tel exploit depuis Wilfrid Laurier – lui donnent raison, soulignent en privé les « Blue Liberals ».