(Ottawa) Le chef du Parti conservateur du Canada, Pierre Poilievre flirte depuis le début de l’été avec certaines théories complotistes maintes fois réfutées, notamment celle affirmant qu’un groupe de puissants personnages tente d’imposer ses idées au reste de la planète,

Par exemple, M. Poilievre a constamment promis, lors de nombreux rassemblements de son parti, qu’aucun de ses futurs ministres n’ira participer aux rencontres du Forum économique mondial s’il devient chef du gouvernement.

« Il est grand temps que nous rejetions les élites mondialistes de Davos et que nous ramenions le bon sens des gens ordinaires », pouvait-on lire dans un courriel de collecte de fonds, samedi.

C’est, selon certains experts, un autre signe que certaines théories du complot passent des marges de l’internet à la pensée dominante, à mesure que la méfiance des citoyens envers le gouvernement augmente.

Le Parti conservateur a aussi demandé à ses sympathisants de demander à l’actuel premier ministre Justin Trudeau si les membres de son conseil des ministres doivent travailler pour les Canadiens ou pour le Forum économique.

La lettre implique que le cabinet de M. Trudeau est redevable à ce dernier.

M. Poilievre n’a pas accepté notre demande d’entrevue à ce sujet. Son porte-parole a plutôt signalé à La Presse Canadienne un extrait vidéo de lui lors d’un rassemblement à Penticton, en Colombie-Britannique, en juillet, où il exprime ses inquiétudes quant à l’intrusion du gouvernement dans la vie privée et les décisions financières des citoyens.

« Il n’y aura pas d’identification numérique obligatoire dans ce pays, et j’interdirai à tous mes ministres et hauts fonctionnaires toute participation au Forum économique mondial », a déclaré M. Poilievre en riant, recevant de longs applaudissements pour cette remarque.

Le Canada participe depuis longtemps aux évènements du FEM. L’ancien premier ministre conservateur Stephen Harper et les membres de son conseil des ministres assistaient régulièrement au sommet. Justin Trudeau y était en personne en 2016 et en 2018, et ses ministres étaient également présents. La ministre des Finances, Chrystia Freeland, s’est rendue au dernier sommet annuel en janvier.

En ce qui concerne l’identification numérique, le gouvernement fédéral a examiné la technique pour créer un document national d’identification numérique afin d’aider les Canadiens à accéder aux services gouvernementaux. Il n’a pas été promu comme quelque chose qui deviendra obligatoire.

L’hiver dernier, une théorie du complot circulant sur les réseaux sociaux suggérait que M. Trudeau allait obliger les provinces à se connecter à des systèmes d’identification numérique pour leurs résidants afin d’obtenir des milliards de nouveaux fonds pour les soins de santé. Ces affirmations ont également été réfutées.

Duane Bratt, professeur de sciences politiques à l’Université Mount Royal, en Alberta, rappelle que les théories du complot existent depuis fort longtemps. Toutefois, elles sont rarement poussées de l’avant par quelqu’un qui aspire réellement à devenir premier ministre un jour.

M. Poilievre a colporté les revendications de contrôle par le FEM lors de la course à la direction du Parti conservateur en 2022, et cela est redevenu un sujet de discussion régulier après les élections partielles fédérales qui se sont déroulées en juin, a souligné le professeur.

Dans la circonscription de Portage-Lisgar, les conservateurs cherchaient à contrer le Parti populaire du Canada (PPC) et son chef Maxime Bernier qui s’y présentait.

Des conservateurs l’ont attaqué pour avoir assisté au sommet de Davos lorsqu’il était ministre des Affaires étrangères sous le gouvernement Harper, en 2008.

Selon M. Bratt, M. Poilievre tente de ramener au bercail des électeurs qui votent pour le Parti populaire du Canada.

La question est de savoir s’il y croit vraiment, ou s’il se contente de flatter les gens. Va-t-il changer d’idée à nouveau s’il devient premier ministre ?

Duane Bratt, professeur de sciences politiques à l’Université Mount Royal

Kawser Ahmed, professeur de sciences politiques à l’Université de Winnipeg et expert sur les théories du complot, mentionne que le nombre de théories du complot et leur adhésion par la population ont commencé à augmenter après l’élection présidentielle de 2016 aux États-Unis, aidées par les médias sociaux et les applications de messagerie cryptées.

Il souligne que la popularité des théories complotistes concernant le contrôle de l’État s’est accrue au cours de la pandémie de COVID-19.

« À ce moment-là, quelles que soient les décisions prises par le gouvernement, il a été expliqué à une partie de aux citoyens, conformément aux théories du complot, que le gouvernement les contrôlait. Le gouvernement leur a demandé de se faire vacciner, de ne pas sortir et ainsi de suite », détaille M. Ahmed.

C’est un sentiment que les politiciens ont appris à comprendre, et M. Bratt pense que beaucoup de personnes ne sont pas disposées à rejeter un politicien simplement parce qu’il colporte de fausses déclarations ou des complots.

« Il y a beaucoup d’idées qui se répandent maintenant dans le courant dominant et qui ne sont tout simplement pas étayées par la science, des preuves ou des faits, a-t-il dit. Mais cela n’a pas d’importance, et certains de ces politiciens ont été élus, comme l’actuelle première ministre de l’Alberta. »

La première ministre du Parti conservateur uni, Danielle Smith, a déclaré qu’elle était d’accord avec M. Poilievre et qu’elle n’aurait rien à voir avec le Forum économique mondial.

Le populisme a poussé les politiciens à alimenter les théories du complot parce qu’ils ont besoin de votes, et la peur est un grand facteur de motivation, a expliqué M. Ahmed. Ils sont moins intéressés par le colportage de votes sur la base de leurs antécédents.

« Il est très facile de faire comprendre aux gens que quelque chose est une menace, dit-il. Par exemple, leur identité, leur gagne-pain, leurs valeurs religieuses. »

M. Ahmed ajoute que cela affecte notre démocratie puisqu’on oppose désormais les groupes les uns aux autres, on crée des soupçons et on porte atteinte à la sécurité nationale en diffusant des fausses erronées.