(Ottawa) Le gouvernement Trudeau devrait être en mesure de confirmer d’ici quelques jours la tenue d’une enquête publique indépendante sur les activités d’ingérence étrangère menées par la Chine durant les élections fédérales de 2019 et 2021.

Selon des informations obtenues par La Presse, le ministre de la Sécurité publique, Dominic LeBlanc, a finalement réussi à convaincre un juge de mener cette enquête que réclament les partis de l’opposition depuis plusieurs mois.

Ce déblocage survient tandis que le ministère des Affaires étrangères a révélé mercredi que le député conservateur Michael Chong aurait de nouveau été visé par des manœuvres de la Chine en mai. En effet, M. Chong a été la cible d’une campagne de diffamation à l’étranger, et tout indique que la Chine y a joué un rôle.

Le Ministère a précisé qu’un « réseau coordonné » actif sur le service de distribution de nouvelles de l’application WeChat avait « présenté, diffusé et amplifié un grand nombre de récits faux ou trompeurs sur M. Chong » du 4 au 13 mai 2023. Selon le Ministère, les informations ne représentaient pas une menace directe pour M. Chong ou sa famille, contrairement aux manœuvres d’intimidation qui avaient été téléguidées de Pékin durant les élections fédérales de 2021 et qui ont fait la manchette au printemps. La Chine a toujours nié avec véhémence s’immiscer dans les affaires intérieures du Canada.

Quant à l’enquête sur l’ingérence étrangère, M. LeBlanc et les hauts fonctionnaires du Bureau du Conseil privé ont essuyé plusieurs refus de la part de juges actuels et de juges à la retraite avant de trouver la perle rare.

Selon des sources gouvernementales, ces juges ont écarté l’idée de se voir confier un tel mandat en raison de la manière dont avait été traité l’ancien gouverneur général David Johnston par le Parti conservateur au printemps, alors qu’il occupait la fonction de rapporteur spécial indépendant sur l’ingérence étrangère.

M. Johnston a été la cible de virulentes attaques de la part du chef conservateur, Pierre Poilievre, après sa nomination comme rapporteur spécial en mars en raison de ses liens passés avec la famille Trudeau et la Fondation Trudeau. Ces attaques se sont intensifiées après que l’ancien gouverneur général eut affirmé dans un premier rapport soumis en mai qu’une enquête publique serait inutile parce que les audiences devraient avoir lieu en grande partie à huis clos en raison de la nature délicate des renseignements touchant la sécurité du pays.

PHOTO JUSTIN TANG, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

David Johnston a démissionné de son poste de rapporteur spécial en juin après les pressions des partis de l’opposition.

Furieux des conclusions de M. Johnston, les partis de l’opposition ont adopté à la Chambre des communes une motion réclamant son départ par un vote de 174 à 150. Le principal intéressé a finalement plié l’échine et annoncé sa démission le 9 juin.

En attente

Le National Post a rapporté mercredi qu’une demi-douzaine de magistrats en poste et à la retraite avaient décliné l’invitation à présider une telle enquête. La Presse a pu faire confirmer ces informations de sources indépendantes. « Ils ont dit la même chose : “Je ne veux pas être le prochain David Johnston” », a expliqué une source gouvernementale de haut niveau, qui a demandé de ne pas être nommée parce qu’elle n’était pas autorisée à discuter publiquement de ce dossier.

Des sources gouvernementales préfèrent taire l’identité du juge qui prendrait la barre de cette enquête sans précédent au pays tant et aussi longtemps que les partis de l’opposition n’auront pas donné leur aval à cette nomination.

« Il faut obtenir le consentement des partis de l’opposition avant de confirmer quoi que ce soit », a-t-on indiqué.

Le Parti conservateur, le Nouveau Parti démocratique et le Bloc québécois n’ont pas voulu commenter le dossier mercredi.

Le refus de plusieurs juges explique les délais entourant l’annonce d’une enquête en bonne et due forme.

À la mi-juin, le chef bloquiste, Yves-François Blanchet, avait proposé les noms de Louise Arbour, ancienne juge de la Cour suprême du Canada, Louise Otis, actuellement juge au tribunal de l’OCDE, Irwin Cotler, ancien ministre de la Justice libéral, et Guy Saint-Jacques, ex-ambassadeur du Canada à Pékin, pour présider cette enquête.

Le premier ministre Justin Trudeau avait réagi en disant que ces noms étaient « intéressants et raisonnables ».

Le Parti conservateur s’était pour sa part abstenu de proposer des candidats, préférant avoir la confirmation du gouvernement libéral qu’une enquête indépendante était à l’ordre du jour avant de le faire.

Fin juin, le ministre Dominic LeBlanc et les partis de l’opposition laissaient entendre, après quelques jours de pourparlers en coulisses, qu’une annonce était imminente. Mais plus de six semaines plus tard, rien n’a encore été annoncé.

Avec La Presse Canadienne

L’histoire jusqu’ici

Le Globe and Mail rapporte en février que la Chine aurait utilisé une stratégie raffinée durant les élections fédérales de 2019 afin d’assurer la réélection d’un gouvernement libéral minoritaire dirigé par Justin Trudeau et de défaire des candidats conservateurs jugés hostiles au régime communiste chinois.

Les partis de l’opposition réclament une enquête. Justin Trudeau choisit de nommer un rapporteur spécial en mars pour lui proposer la meilleure façon de faire la lumière sur cette question.

Le rapporteur spécial David Johnston dépose un premier rapport en mai et écarte la tenue d’une enquête publique. Il est forcé de démissionner de son poste le 9 juin devant la tempête politique qui prend de l’ampleur.

En juin, le gouvernement Trudeau se montre ouvert à l’idée de lancer une enquête publique.