(Ottawa) Des dizaines de questions posées par des députés libéraux aux Communes sur l’accès à l’avortement. Des mesures pour le contrôle et le rachat des armes à feu prohibées. Un projet de loi anti-briseurs de grève. Un budget fédéral proposant des mesures coûteuses, mais populaires auprès d’une frange de l’électorat, comme le programme national de soins dentaires ou le début d’un programme national d’assurance médicaments.

À la traîne dans les sondages nationaux depuis près d’un an, le gouvernement libéral de Justin Trudeau multiplie les manœuvres – et les pièges – afin de renverser une tendance lourde qui annonce une victoire du Parti conservateur de Pierre Poilievre au prochain scrutin, prévu en octobre 2025.

Jusqu’ici, ces stratégies n’ont pas fait bouger l’aiguille des sondages. Elles sont vues par les sondeurs nationaux comme un grand coup d’épée dans l’eau. La décision de dévoiler plusieurs grandes mesures du budget fédéral à l’avance était audacieuse. Mais encore là, l’effeuillage budgétaire n’a pas donné les résultats escomptés. L’avance de près de 20 points des conservateurs dans les intentions de vote se maintient.

Voilà que la ministre des Finances, Chrystia Freeland, annonce qu’elle va utiliser une autre flèche qu’elle garde dans son carquois.

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La ministre des Finances, Chrystia Freeland

Elle va déposer un projet de loi distinct pour mettre en œuvre la hausse de la taxe sur le gain en capital – une mesure controversée qu’elle a annoncée dans son budget et qui doit entrer en vigueur le 25 juin.

En vertu de cette hausse, la portion de gains en capital qui est imposable passera de 50 % à 66 % pour les entreprises. Dans le cas des individus, la hausse s’appliquera à partir des gains dépassant le cap de 250 000 $. En dessous de ce montant, la portion de gains en capital imposable restera à 50 %. Cette mesure devrait rapporter 19,3 milliards sur cinq ans, dont 6,9 milliards dès cette année. Le milieu des affaires dénonce avec vigueur cette hausse.

De toute évidence, les stratèges libéraux estiment être en mesure de coincer les troupes conservatrices de Pierre Poilievre sur cette question. Le but est de fédérer de nouveau les électeurs progressistes en prévision du prochain scrutin en taxant davantage « les riches ».

Il est rarissime qu’une mesure annoncée dans le budget fasse ainsi l’objet d’un projet de loi distinct de la législation visant à mettre en œuvre l’ensemble du budget fédéral. Mme Freeland a déposé le projet de loi 69 pour mettre en œuvre son plan budgétaire dans les jours qui ont suivi son dévoilement le 16 avril. Le comité permanent des finances le passe actuellement au peigne fin.

La semaine dernière, la grande argentière du pays a indiqué que le projet de loi décrétant la hausse de la taxe sur le gain en capital sera déposé avant la fin des travaux parlementaires, le 21 juin. Cette hausse entrera en vigueur à la date prévue, même si le projet de loi a peu de chances de franchir toutes les étapes requises avant la session d’automne.

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Le slogan Axe the Tax (abolir la taxe) est utilisé par Pierre Poilievre et les conservateurs depuis plusieurs mois.

Toute hausse de taxe ou d’impôt est vigoureusement décriée par le Parti conservateur. Cela va à l’encontre de son ADN politique. Pierre Poilievre sillonne le pays depuis plusieurs mois en scandant « Axe the Tax », le slogan qui résume sa promesse d’abolir la taxe sur le carbone adoptée par le gouvernement Trudeau en 2017 comme moyen de modifier le comportement des consommateurs et de réduire les émissions de gaz à effet de serre. La taxe sur le carbone, qui s’applique dans les provinces qui n’imposent pas un prix sur la pollution (le Québec, qui a adopté la bourse du carbone, est donc exempté), augmente chaque année.

En confirmant ses intentions, Mme Freeland a signifié que le gouvernement Trudeau veut que Pierre Poilievre se prononce sans équivoque sur son « plan pour l’équité fiscale ».

« J’ai certainement observé le chef conservateur esquiver, éviter et tomber dans les faux-fuyants quand il a été interrogé au sujet de sa position sur notre plan pour l’équité fiscale. Il est très important que les Canadiens obtiennent une réponse claire de la part des conservateurs quand il s’agit de l’équité fiscale. Selon la réponse que nous allons obtenir, les Canadiens vont savoir à quelle enseigne logent les conservateurs », a soutenu la ministre des Finances.

Jusqu’ici, Pierre Poilievre a refusé de mordre à l’hameçon. Son bureau a fait savoir qu’il n’a pas à énoncer sa position sur un projet de loi qui n’a pas encore vu le jour.

Dans les rangs conservateurs, on affirme que la multiplication des pièges parlementaires tendus par les libéraux est « de bonne guerre ». Cela fait partie de la politique. Mais on doute que les manœuvres libérales rapportent quelque dividende que ce soit.

« Sur l’avortement, notre chef a été clair. On ne touchera pas à cela. Pierre Poilievre est aussi clairement pro-choix. Les gens l’ont bien compris. Les libéraux ont d’ailleurs arrêté de poser des questions plantées parce que ça ne donnait rien », a affirmé une source conservatrice qui a requis l’anonymat afin de pouvoir s’exprimer plus librement.

On soutient aussi que la soif de changement est telle au sein de l’électorat que les Canadiens n’accordent plus la même importance aux attaques des libéraux de Justin Trudeau.

« Peu importe ce qu’ils essaient, ça ne marche pas, leur affaire. Est-ce qu’il y a d’autres pièges à venir ? Je n’en vois pas d’autres pour le moment. En faisant cela, les libéraux parlent à leur gang seulement. Ils ne parlent pas à l’ensemble des Canadiens. C’est cela, la grande différence. C’était cela aussi avant notre problème. Mais quand on parle d’inflation, de la crise du logement et ainsi de suite, on parle à toute la population. Et Pierre Poilievre sait comment on doit parler aux gens », a soutenu une autre source conservatrice, qui a aussi réclamé l’anonymat afin de parler plus librement.