Justin Trudeau rencontre plus de maires de grandes villes que de premiers ministres provinciaux par les temps qui courent, quitte à les froisser. En janvier, il a rencontré le maire de Saskatoon, Charlie Clark, tout en ignorant le premier ministre de la Saskatchewan, Scott Moe, qui était rouge de colère.

Il a récemment rencontré la mairesse de Montréal, Valérie Plante, et la mairesse de Saguenay, Julie Dufour. Puis lundi, il a eu un tête-à-tête avec la mairesse de Hamilton, Andrea Horwath. Il y a deux semaines, il a profité de son passage à Halifax pour s’entretenir avec le maire de la ville, Mike Savage, et le lendemain, il a rencontré la nouvelle mairesse de Toronto, Olivia Chow.

Ces multiples rencontres ne sont pas un hasard. Le salut de son gouvernement passe par les villes, selon des notes internes obtenues par La Presse en vertu de la Loi sur l’accès à l’information.

Selon le Bureau du Conseil privé, « les municipalités sont essentielles pour mettre en œuvre le programme du gouvernement fédéral », souligne-t-on dans des documents datés de décembre dernier.

« Il y a plusieurs dossiers où les priorités du gouvernement fédéral s’alignent avec celles des municipalités », affirment les mandarins fédéraux dans les documents de breffage adressés au premier ministre en dressant une liste des priorités communes.

Résultat : le gouvernement Trudeau a tout intérêt à tisser des liens étroits avec les dirigeants des grandes villes s’il veut mettre en œuvre des mesures structurantes dans les dossiers comme la construction de logements abordables, les infrastructures, le transport collectif et la lutte contre les changements climatiques, selon le Bureau du Conseil privé.

Les documents incluent d’ailleurs les biographies des dirigeants des 23 plus grandes villes du pays, dont celles de la mairesse de Montréal, Valérie Plante, des maires de Québec, Bruno Marchand, et de Laval, Stéphane Boyer, ainsi que des mairesses de Gatineau, France Bélisle, et de Longueuil, Catherine Fournier.

Ce constat des hauts fonctionnaires explique pourquoi le premier ministre Justin Trudeau ne rate pas une occasion de rencontrer le maire ou la mairesse d’une ville chaque fois qu’il se déplace dans une région du pays, malgré son emploi du temps chargé.

Des appuis dans les villes

Sur le plan électoral, la majorité des sièges que détiennent les libéraux de Justin Trudeau se trouvent dans les centres urbains. La bonne entente qui prévaut entre le premier ministre et les maires des grandes villes ne peut pas nuire à la cote libérale.

En outre, certains maires sont d’anciens ministres ou députés libéraux à Ottawa. C’est d’ailleurs le cas du maire d’Edmonton, Armajeet Sohi, qui a été ministre des Transports durant le premier mandat du gouvernement Trudeau avant d’être défait aux élections de 2019. Il a été élu maire de la capitale albertaine en octobre 2021. Le maire d’Halifax, Mike Savage, a été député libéral à la Chambre des communes de 2004 à 2011. La mairesse de Mississauga, Bonnie Crombie, a aussi été députée libérale à Ottawa de 2008 à 2011.

Les libéraux ont aussi tenté de convaincre des maires de porter les couleurs du parti aux élections de 2021. L’ancien maire d’Edmonton Don Iveson et l’ancien maire de Calgary Naheed Nenshi étaient dans la ligne de mire des stratèges libéraux. Ils ont toutefois décliné l’offre.

Cette volonté de Justin Trudeau de rencontrer les élus municipaux tranche avec celle de son prédécesseur conservateur, l’ancien premier ministre Stephen Harper, qui a rencontré une poignée d’élus municipaux seulement durant son règne de près de 10 ans à la tête du gouvernement fédéral. M. Harper ne souhaitait pas établir un dialogue direct avec les élus municipaux. Il croyait dur comme fer que les villes et les municipalités relevaient de la responsabilité des provinces, point à la ligne.

« Court-circuiter les provinces »

Selon Geneviève Tellier, professeure titulaire à l’École d’études politiques de l’Université d’Ottawa, il est évident que le gouvernement Trudeau a besoin du concours des villes pour mettre en œuvre plusieurs de ses mesures.

« Dans notre régime, le fédéral parle aux provinces et les provinces parlent aux villes. Mais on sent toujours que le gouvernement fédéral veut court-circuiter les provinces et parler directement aux villes. On peut se demander si ce n’est pas pour faire contrepoids aux provinces. Si ça ne marche pas avec elles, le fédéral peut toujours s’adresser aux villes », a analysé Mme Tellier.

Elle a ajouté que le gouvernement Trudeau y voit plusieurs avantages à traiter directement avec les villes.

Elles sont grosses, les villes. Plusieurs d’entre elles sont plus grosses que la province de l’Île-du-Prince-Édouard. Ça te permet de passer par-dessus un gouvernement provincial qui ne veut pas travailler avec toi. Et c’est sans doute une stratégie pour le fédéral de faire avancer les dossiers un peu plus rapidement.

Geneviève Tellier, professeure titulaire à l’École d’études politiques de l’Université d’Ottawa

Dans les comptes rendus publiés après les rencontres avec des maires, le bureau du premier ministre souligne souvent « l’importance de travailler en collaboration avec les municipalités ». On fait aussi état des priorités communes entre Ottawa et les grandes villes, notamment dans les dossiers comme la crise du logement, la lutte contre les changements climatiques, la protection des milieux naturels et l’amélioration des réseaux de transports en commun, entre autres choses.

« Mettre de côté les provinces et parler directement à Valérie Plante ou à Olivia Chow, le gouvernement fédéral sous les libéraux se pense autorisé à faire tout ce qu’il veut dans la fédération. C’est un gros changement d’époque. Surtout que maintenant, ce sont les villes qui sont aux prises avec de gros problèmes comme la crise du logement ou le transport collectif », a conclu Geneviève Tellier.

Avec la collaboration de William Leclerc, La Presse