(Québec ) François Legault avait prévenu en début d’année qu’il allait puiser dans sa « réserve de courage » au cours de la session parlementaire, la première « vraie » session depuis les élections.

Ce qui était inattendu, c’est qu’il le fasse pour rompre une promesse, « marcher sur la peinture » en immigration et donner un cadeau à ses députés à temps pour les vacances.

L’expression « réserve de courage » vient de son mentor politique, Lucien Bouchard. Au début d’un mandat, disait l’ancien premier ministre, un gouvernement possède une telle réserve. « Et chaque fois qu’on fait quelque chose de controversé […], qu’on prend une décision difficile, on pige dans la réserve de courage et à un moment donné, il n’y en a plus », ajoutait-il, comme l’a rappelé François Legault lui-même il y a quelques années, avant d’accéder au pouvoir.

Par conséquent, « il faut faire attention à la manière d’utiliser » cette réserve, bien « choisir les priorités et les batailles ». Et agir tôt avant que la prudence ne s’impose avec l’approche des prochaines élections.

Deux réformes

Au début de la dernière session, François Legault avait ainsi annoncé son intention de « beaucoup utiliser » sa réserve de courage pour lancer deux réformes, en santé et en éducation.

Le projet de loi costaud de son ministre Christian Dubé a en effet « shaké les colonnes du temple », pour reprendre son expression. Il a braqué les syndicats et les fédérations de médecins. Mais la « troisième guerre mondiale » prédite par Gaétan Barrette – qui a « applaudi à tour de bras » la réforme au point d’en avoir « les mains brûlantes » – n’a pas eu lieu.

Comme son collègue de la santé, Bernard Drainville s’est fait accuser de mener une opération de centralisation. Le ministre s’arroge trop de pouvoirs avec son projet de loi, selon le milieu de l’éducation.

Le pire est-il passé pour ces deux réformes ? Rien n’est moins sûr. Elles seront en toile de fond d’une autre bataille, celle-là aux tables de négociation pour le renouvellement des conventions collectives des 600 000 employés de l’État. Les syndicats évoquent une grève à la rentrée… « Ça risque d’être un automne chaud », a reconnu lui-même François Legault vendredi.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Le ministre de l’Éducation, Bernard Drainville

Le premier ministre a alimenté la grogne avec la hausse salariale de 30 % pour les députés, une décision inopinée qui a entamé à coup sûr sa « réserve de courage ». Le dossier est très impopulaire, et ce n’est pas un hasard si les caquistes ont voulu le régler vite fait.

Le comble aura été de s’appuyer sur le rapport d’un comité dont le mandat, défini par le gouvernement avec l’appui du Parti libéral, était « restreint » de l’aveu même de son président. Il pouvait se prononcer sur l’indemnité de base seulement, et non tous les éléments de la rémunération globale des députés, dont le régime de retraite doré.

Le plus important était de satisfaire un imposant caucus, dont plusieurs membres n’ont pu se tailler une place au Conseil des ministres.

Un recul

« Il faut valoriser le rôle de député », a plaidé François Legault pour justifier la hausse salariale. Il a fait le contraire en larguant sa promesse électorale de troisième lien autoroutier sans même consulter ses députés de la région de Québec, qui furent placés devant un fait accompli.

François Legault a bien mesuré l’état de sa réserve de courage pour gérer le dossier à l’interne. Des députés ont exprimé leur déception, Bernard Drainville était au bord des larmes et Martine Biron a suggéré un « renvoi d’ascenseur » pour sa région, mais il n’y a pas eu d’esclandre. Les militants caquistes se sont même abstenus de soulever le sujet au congrès de leur parti. Ils ont plébiscité leur chef avec un vote de confiance record.

La Coalition avenir Québec paie le prix de cette décision dans la région de la capitale, mais ailleurs le dommage est limité. C’est même accueilli avec un certain soulagement.

Il n’en demeure pas moins que ce recul est spectaculaire, surtout parce que François Legault avait érigé la promesse en dogme. Il était allé jusqu’à prétendre, malgré l’absence d’études, que la nécessité d’un troisième lien était une « évidence » et que le projet ne coûterait pas plus de 6,5 milliards de dollars…

Une volte-face

Ce n’est pas le seul exemple d’écart entre ce qui s’est dit pendant la campagne électorale et ce qui s’est fait après, au cours de la session parlementaire.

Pendant la campagne, François Legault disait que ce serait « suicidaire » d’augmenter le seuil d’immigration au-delà de 50 000 nouveaux arrivants par année. Il propose aujourd’hui de le hausser à 60 000 – voire 70 000 en rouvrant le robinet des étudiants étrangers qu’il avait fermé dans la controverse durant son premier mandat.

Avant les élections, François Legault soutenait que le Québec risque la louisianisation si Ottawa maintient son refus de lui céder les pleins pouvoirs en immigration. Il réclamait un mandat fort pour obtenir gain de cause, évoquant même la tenue d’états généraux ou d’un référendum sectoriel pour mobiliser la population autour de cet enjeu. Ce n’est plus dans les cartons. Il est possible de renverser le déclin du français avec les pouvoirs actuellement détenus par le Québec, dit maintenant François Legault.

La question s’impose : sur l’immigration comme sur le troisième lien, le véritable courage aurait-il été d’adopter un discours plus nuancé en campagne ?