Le ministre responsable des Services sociaux, Lionel Carmant, de même que la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse ont tour à tour déclenché, lundi, des enquêtes sur les pratiques du centre jeunesse Cartier à Laval. Des intervenants du milieu estiment toutefois que Québec devrait plutôt lancer des états généraux sur les services de réadaptation jeunesse dans l’ensemble de la province, comme le recommandait la commission Laurent.

« Il y a des enjeux de système […]. Le Québec est vraiment dû pour des états généraux sur l’état des services en centre de réadaptation jeunesse. Ce ne serait pas un luxe. Surtout quand on voit l’effritement des services actuellement », affirme André Lebon, vice-président de la Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse (aussi appelée commission Laurent), qui a remis son rapport en 2021.

On n’a plus besoin d’enquêtes. On a besoin d’action.

Nancy Audet, autrice de deux livres sur les services de la protection de la jeunesse au Québec

Lundi, La Presse révélait que des enfants âgés d’à peine 9 ans hébergés en protection de la jeunesse étaient placés « en retrait », en cas de « comportement perturbateur », dans des petites pièces en tout point semblables à des cellules de prison, dotées de lits en béton et fermées par deux portes grillagées.

Lisez notre enquête

Le CISSS de Laval, responsable de l’installation, attribue cette situation à la vétusté des locaux et à la forte demande. La direction de la protection de la jeunesse de Laval enregistre également une forte hausse des mesures de contrôle dans la dernière année, démontrait notre enquête.

« Ça prend une réflexion plus large »

Inquiet des informations révélées par La Presse, le ministre Carmant a déclenché lundi une enquête administrative pour faire la lumière à ce sujet.

« J’ai demandé à la directrice nationale de la protection de la jeunesse de faire enquête avec le CISSS de Laval, une enquête administrative avec son équipe, pour voir ce qui se passe exactement, parce que nous, on trouve ça inacceptable et ce sont des enjeux cliniques », a déclaré M. Carmant en marge d’un point de presse à Montréal où il annonçait du financement pour des logements destinés aux personnes en situation d’itinérance.

Quelques heures plus tard, la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ) annonçait à son tour qu’elle déclenchait une enquête sur la situation. « L’enquête vise à vérifier si les faits allégués sont véridiques et si les droits des jeunes sont respectés. Elle a aussi pour but de s’assurer que des mesures sont prises afin que la situation ne se reproduise pas », a indiqué la CDPDJ dans un communiqué.

Mais pour M. Lebon, les actions ne devraient pas être circonscrites à Laval. Dans le rapport de la commission Laurent remis en mai 2021, les commissaires plaidaient pour des états généraux sur les services de réadaptation jeunesse dans la province.

Nous avions entendu tellement de choses durant les audiences de la Commission qu’on était incapables de faire une seule recommandation. Il y avait des préoccupations sur la vétusté des locaux, mais aussi sur la programmation. Sur le jumelage des enfants. Sur l’expérience des travailleurs.

André Lebon, vice-président de la Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse

Trois ans après le dépôt du rapport Laurent, M. Lebon déplore de ne « pas savoir ce qui advient » de la proposition de tenir des états généraux. « Pourtant, ça prend une réflexion plus large », dit-il.

« Nous, on avait recommandé qu’il y ait une mise en chantier pour mieux répondre aux besoins des jeunes en réadaptation. On avait demandé que ce chantier se mette rapidement en branle. La DPJ nationale devrait venir nous dire il en est où, ce chantier. On est à quel niveau. Parce que ce n’est pas normal, ce qu’on voit là », a déclaré la présidente de la commission Laurent, Régine Laurent, sur les ondes avec Paul Arcand au 98,5 FM, lundi matin.

Nancy Audet partage cet avis. « C’était déjà urgent de faire cette démarche il y a trois ans. Et là, la situation se détériore encore », dit-elle. Selon Mme Audet, la situation au centre jeunesse Cartier ressemble à celle de plusieurs autres centres jeunesse de la province. « Des enquêtes de la CDPDJ, il y en a déjà eu des dizaines sur ces milieux. Ces enquêtes à Laval, elles vont changer quoi pour les enfants sur le terrain ? Ça suffit », plaide Mme Audet.

Président de l’Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux (APTS), Robert Comeau appuie l’idée de tenir un chantier national sur les services en réadaptation jeunesse. Mais pour lui, « il y a des urgences évidentes » qui nécessiteraient dès maintenant des actions. « Il faut donner des locaux adéquats à ces jeunes », affirme-t-il. Responsable du dossier des centres jeunesse à l’APTS, Sébastien Pitre a travaillé pendant 16 ans en unité de réadaptation jeunesse. « On se demande quand est-ce que le gouvernement va prendre au sérieux la question de ces enfants », dit-il.

Le ministère de la Santé et des Services sociaux exerce une vigie afin de s’assurer de la mise en œuvre des recommandations du rapport Laurent. Le dernier bilan détaillé parle peu des actions menées jusqu’à maintenant en centres de réadaptation jeunesse. Le bilan indique que 7,5 millions ont été investis en 2022-2023 pour l’embauche d’éducateurs supplémentaires ou pour la bonification du soutien clinique en centres jeunesse. En entrevue avec Patrick Lagacé au 98,5 FM lundi après-midi, la directrice nationale de la protection de la jeunesse, Catherine Lemay, a indiqué que le lancement du chantier sur les services en réadaptation se ferait « d’ici quelques semaines ».

Quelques réactions

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Brigitte Garceau

Il est temps que des mesures soient prises pour garantir le bien-être et la sécurité de ces enfants vulnérables.

Brigitte Garceau, porte-parole libérale en matière de protection de la jeunesse

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Guillaume Cliche-Rivard

Je suis bouleversé de voir les conditions aberrantes dans lesquelles vivent les jeunes au centre jeunesse Cartier. Notre rôle, comme société, est de prendre soin et de voir à la protection physique, mentale et émotionnelle de ces enfants, parmi les plus vulnérables de nos communautés. Même la direction qualifie la situation de mal adaptée, avec des bâtiments vétustes et désuets.

Guillaume Cliche-Rivard, responsable solidaire en matière de services sociaux

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Joël Arseneau

Les conditions qu’on inflige aux jeunes de ce centre jeunesse sous la responsabilité des services de protection de l’État sont indignes et franchement choquantes. Comment peut-on penser qu’un tel traitement en isolement, dans une cellule qui s’apparente au “trou” d’un établissement carcéral, soit bénéfique pour nos jeunes ? S’agit-il d’un cas isolé ou d’une pratique courante dans le réseau ? Je crois qu’il est important de faire la lumière sur tout cela.

Joël Arseneau, député des Îles-de-la-Madeleine et porte-parole du Parti québécois en matière de santé et de services sociaux

Avec la collaboration d’Isabelle Ducas et de Léa Carrier, La Presse