Un meilleur dosage et un dépistage systématique à l’hôpital. Voilà les recommandations d’un congrès sur les bactéries résistantes aux antibiotiques qui s’est tenu à l’Université de Montréal (UdeM) à la mi-avril. Le point sur les succès et les inquiétudes dans le domaine de la biorésistance.

« Les chiffres des victimes de l’antibiorésistance sont vraiment impressionnants », lâche Yves Longtin, chef de l’unité de prévention et contrôle des infections de l’Hôpital général juif. « En 2022, dans le Lancet, une évaluation chiffrait à 1,3 million le nombre de décès chaque année dans le monde. En comparaison, le VIH fait 700 000 morts et la malaria, 600 000. »

De gros progrès ont eu lieu pour le VIH et la malaria, note le DLongtin. « Il y a 20 ans, ils faisaient chacun 1 million de morts. On réalise qu’il faut faire des efforts aussi importants pour faire face aux microbes multirésistants aux antibiotiques. »

À la conférence, qui a eu lieu à la mi-avril à la faculté de pharmacie de l’Université de Montréal, le DLongtin a présenté les dernières avancées dans le dépistage de l’antibiorésistance avec des tests diagnostiques.

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

Le DYves Longtin, chef de l’unité de prévention et contrôle des infections de l’Hôpital général juif

On a eu récemment deux succès dans la résistance aux antibiotiques avec le dépistage systématique. Les taux de Staphylococcus aureus résistant à la méticilline (SARM) ont baissé de 70 % entre 2006 et 2022, et ceux d’entérocoque résistant à la vancomycine (ERV) ont chuté de 50 % depuis 10 ans. On veut appliquer cette approche à une nouvelle menace, les entérobactéries productrices de carbapénèmases (EPC).

Le DYves Longtin, chef de l’unité de prévention et contrôle des infections de l’Hôpital général juif

Les EPC ont souvent pour conséquence qu’une infection urinaire doit être traitée par intraveineuse plutôt qu’avec des antibiotiques oraux (en pilules). Ce type d’antibiorésistance est devenu deux fois plus fréquent au Canada depuis 10 ans, mais reste beaucoup moins important que le SARM et l’ERV. Dans certains pays européens, comme la Grèce et l’Italie, les EPC sont un problème « énorme » dans les hôpitaux, selon le DLongtin. Et en Inde, même les traitements en clinique externe des infections urinaires sont compromis par les EPC.

Les EPC produisent des enzymes appelées carbapénèmases, qui rendent inopérants plusieurs antibiotiques, dont les carbapénèmes.

Voyages

Le dépistage systématique ne signifie pas que tous les patients des hôpitaux sont testés. « À Montréal, pour les SARM, par exemple, les hôpitaux testent tous les patients, dit le DLongtin. Mais dans certaines régions où l’antibiorésistance est plus rare, on peut tester seulement certains patients, par exemple ceux qui ont récemment voyagé à l’étranger ou ont été hospitalisés, ou viennent d’un CHSLD. »

L’Hôpital général juif a commencé à dépister de façon systématique les EPC avant la pandémie, et de plus en plus d’hôpitaux québécois suivent cette approche, dit le DLongtin.

Ce dépistage de l’antibiorésistance se fait en laboratoire, après la prise d’échantillons nasaux ou anaux avec des écouvillons. Les résultats sont prêts en un ou deux jours.

L’isolement de patients porteurs d’une bactérie résistante aux antibiotiques mais qui ne présentent pas de symptômes permet d’éviter la propagation de cette bactérie chez d’autres patients.

Ne serait-il pas mieux d’avoir des tests plus rapides pour isoler les patients asymptomatiques dès leur arrivée à l’hôpital ? « On a de bons résultats actuellement avec cette approche. On pourrait utiliser des tests PCR au chevet pour avoir un résultat en une ou deux heures, mais ça coûte beaucoup plus cher, de 30 à 40 $ au lieu de 7 $ à 10 $ par test. Quand on fait des centaines de milliers de tests par année, ça compte. »

Ne peut-on pas avoir des tests rapides comme ceux que distribuent les pharmacies pour la COVID-19 ? « Le test rapide pour la COVID-19 détecte une seule protéine, dit le DLongtin. Pour l’antibiorésistance, il faudrait détecter de six à dix cibles. Ça ne peut pas se faire facilement. »

Le DLongtin a auparavant travaillé sur Clostridium difficile, démontrant en 2016 qu’il était possible de réduire de moitié les infections de cette bactérie en isolant ses porteurs asymptomatiques dès leur arrivée à l’hôpital. « Mais finalement, on a réussi à réduire le problème de C. difficile avec des mesures de prévention, alors on ne fait pas de dépistage systématique. » Le nombre annuel de cas est passé de plus de 3500 à moins de 2500 depuis 10 ans au Québec.

Dosage

Une autre approche est de doser les antibiotiques pour chaque patient. « C’est très répandu en Europe », explique une autre conférencière, Amélie Marsot, de la faculté de pharmacie de l’Université de Montréal. « L’objectif est d’avoir un dosage assez élevé pour être sûr qu’une infection est vaincue. »

La résistance aux antibiotiques survient entre autres quand un traitement n’est pas assez puissant ou assez long pour tuer tous les microbes responsables d’une infection. Ceux qui restent sont génétiquement plus susceptibles de résister à l’antibiotique utilisé, et cette génétique antibiorésistante devient plus fréquente au sein de cette population de microbes.

Un autre aspect du dosage est de suggérer des antibiotiques où l’antibiorésistance est potentiellement moins problématique, dit la Dre Marsot.

PHOTO TIRÉE DU SITE DU CHU SAINTE-JUSTINE

La Dre Amélie Marsot, professeure adjointe à la faculté de pharmacie de l’Université de Montréal

On veut éviter d’utiliser un antibiotique à large spectre quand un antibiotique plus spécifique est disponible.

La Dre Amélie Marsot, professeure adjointe à la faculté de pharmacie de l’UdeM

Un antibiotique à large spectre est efficace contre plusieurs microbes. Cette catégorie d’antibiotiques génère plus d’antibiorésistance parce qu’ils peuvent affecter la génétique d’un plus grand nombre de microbes.

Les dangers des EPC en Italie et en Grèce

Faut-il éviter d’aller à l’hôpital en Italie et en Grèce pour éviter les EPC ? Non, répond le DLongtin. « La grande majorité des gens en santé ne tombent jamais malades à cause de ces EPC. Ils vont s’en débarrasser naturellement en six mois à un an. Disons qu’il y a un risque de 10 à 20 % d’acquérir un EPC dans un hôpital en Italie ou en Grèce. Si on a seulement 10 % de risque de tomber malade, on se retrouve avec un risque de 1 % ou 2 % au total. Ça ne vaut pas la peine d’éviter les hôpitaux si on a besoin d’y aller. »

En savoir plus
  • 5400
    Nombre de décès en 2018 au Canada dus à l’antibiorésistance
    Source : santé canada
  • 80 %
    Proportion des ordonnances d’antibiotiques pour des infections urinaires qui sont inadéquates dans les urgences américaines
    Source : Journal of the American Medical Association
    75 %
    Proportion des ordonnances d’antibiotiques pour des pneumonies qui sont inadéquates dans les urgences américaines
    Source : Journal of the American Medical Association