Une vaste enquête visant à retrouver un tueur à gages en cavale et à arrêter ses complices a permis aux policiers de découvrir deux fonctionnaires québécois potentiellement corrompus. Une gardienne de prison a plaidé coupable à une accusation d’abus de confiance et une mandataire de la SAAQ a démissionné après avoir fait des recherches sur la plaque d’immatriculation d’un agent double.

Ce qu’il faut savoir

  • Girard Anglade est un complice de la première heure de l’ancien tueur à gages du crime organisé Frédérick Silva.
  • Silva a commencé à collaborer avec la police en 2022 et il est au cœur d’une vaste enquête qui pourrait permettre à la police d’élucider 65 meurtres et tentatives de meurtre commis depuis le milieu des années 1990.
  • Vendredi, Anglade a plaidé coupable à une accusation de complicité après un meurtre commis par Silva, de sorte qu’un interdit de publication a été levé et que La Presse peut dévoiler plusieurs détails de cette retentissante affaire.

Ce tueur à gages, c’est Frédérick Silva, qui a retourné sa veste à l’été 2022. Ses révélations sont au cœur d’une importante enquête du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) et de la Sûreté du Québec (SQ) qui pourrait permettre à la police d’élucider 65 meurtres et tentatives de meurtre commis depuis trente ans.

Un complice de longue date de Silva, Girard Anglade, a plaidé coupable vendredi à un chef de complot pour avoir aidé Silva à échapper à la police après un meurtre au centre-ville de Montréal, en 2017.

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Girard Anglade

Lisez « Condamné pour avoir aidé un tueur à gages à fuir la justice »

Ce plaidoyer a fait tomber un interdit de publication qui nous empêchait de révéler des détails de cette affaire, dont deux possibles cas de corruption.

Durant la cavale de deux ans de Silva, arrêté en février 2019, un agent double du SPVM s’est fait passer pour un criminel, a remis un téléphone-espion à la conjointe du tueur et a demandé que celui-ci le rappelle avec l’appareil.

Mais peu de temps après, sans que l’on sache comment elle l’a obtenue, une mandataire de la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ) a fait des recherches sur la plaque d’immatriculation du véhicule de l’agent double.

« Trois jours après le scénario d’infiltration, cette employée a enquêté la plaque de l’agent. Elle n’a pas expliqué pourquoi elle l’a fait et elle a démissionné », a raconté le sergent-détective David Simard lors de l’enquête sur remise en liberté d’Anglade.

« La SAAQ est bien au fait de la situation et a effectué une enquête à ce sujet à la demande du SPVM en 2017-2018. Aucune action n’a été prise sur le coup à la demande du SPVM pour ne pas nuire à leur enquête. Le 27 novembre 2017 ou à peu près, l’employée a donné sa démission, vraisemblablement en lien avec ses actions. Aucune autre action n’était nécessaire de la part de la SAAQ considérant que l’employée du mandataire n’avait plus accès à notre banque de données », a répondu à La Presse Gino Desrosiers, coordonnateur des relations médias de la SAAQ.

Prise la main dans le sac

En mars 2021, une agente correctionnelle de l’Établissement Rivière-des-Prairies où était détenu le prévenu Anglade, Fania Jean-Charles, a été arrêtée pour avoir fait entrer dans la prison un sac contenant du cannabis, du tabac, des lames et des cellulaires.

Les policiers ont constaté des transferts d’argent entre le compte bancaire de l’agente et ceux de proches d’Anglade.

Durant son enquête sur remise en liberté, ce dernier a expliqué que les sommes étaient destinées à des « tables de gambling » que les détenus avaient mises sur pied. « Si on ne paye pas nos dettes, ça peut avoir des conséquences avec les codétenus », a déclaré Anglade.

Mme Jean-Charles a plaidé coupable à des chefs de complot, d’abus de confiance et de distribution de cannabis. Elle attend de recevoir sa peine.

« Le ministère de la Sécurité publique a rapidement pris des actions envers cette employée lorsque les accusations à son endroit ont été déposées. De plus, une complète collaboration a été offerte durant l’enquête policière », a répondu une porte-parole du Ministère aux questions de La Presse.

« Nous avons un devoir de représentation, mais c’est le genre d’agissements qu’on ne cautionne pas en tant qu’agents de la paix. Un tel comportement peut avoir des conséquences graves pour nos membres », a réagi Mathieu Lavoie, président du Syndicat des agents de la paix en services correctionnels du Québec.

Un passeport posthume

Durant l’enquête Mégalo, les enquêteurs ont souvent suivi Anglade et l’ont vu effectuer des manœuvres de contre-filature en véhicule, alors qu’il voyageait avec la conjointe de Silva.

En août 2017, lorsque l’agent double s’est fait passer pour un criminel et a remis le téléphone-espion à la conjointe de Silva, c’est Girard Anglade qui a rappelé l’homme.

En hurlant, il lui a dit qu’il n’avait plus aucun contact avec Silva et qu’il ne lui remettrait jamais le téléphone.

Par la suite, Anglade a entrepris quelques démarches pour permettre à Silva de quitter le pays avec un faux passeport au nom de David Guérard.

Après avoir appris que Silva avait un faux passeport, les enquêteurs ont fait appel à l’Agence des services frontaliers du Canada, qui a eu tôt fait de retracer le document frauduleux dans ses données.

IMAGE DÉPOSÉE EN COUR

À gauche, la photo de Frédérick Silva et à droite, Frédérick Silva tel qu’il apparaît sur le faux passeport au nom de David Guérard

Silva a raconté à la police que David Guérard était le nom d’une connaissance, un tatoueur mort en 2017.

Mais les enquêteurs n’avaient toujours pas en main le passeport.

Silva leur a dit où le trouver : derrière un cadre dans le condo de la rue Duke à Montréal, où il se terrait et devant lequel il a été arrêté en février 2019.

Les limiers avaient perquisitionné l’endroit, mais ne l’avaient pas trouvé. Le passeport n’a jamais servi.

« Tout le monde est mort »

Durant l’enquête sur remise en liberté d’Anglade, il a été mentionné que 19 téléphones cellulaires avaient été retrouvés chez lui après la tentative de meurtre contre le motard Jean-Guy Bourgouin en janvier 2018, et qu’Anglade a utilisé au moins sept véhicules différents en 2016 et 2017.

Durant son témoignage, Anglade s’est présenté comme un « poseur de système intérieur ».

Il a dit qu’il avait des cartes de compétence de construction échues et que la dernière fois qu’il avait fait ce travail, c’était sur le chantier du CHUM, de 2014 à 2016.

« Ce qui est important pour moi, c’est de m’éloigner du passé, de Montréal, de mes fréquentations. C’est ça, mon plan. Aller le plus loin possible. Je veux juste la tranquillité. D’ailleurs, mes anciennes fréquentations, tout le monde est mort ou incarcéré », a dit Anglade en novembre 2022, espérant être libéré.

Vendredi matin, Anglade est resté muet. Après avoir plaidé coupable, il a été condamné à 37 mois par le juge André Vincent de la Cour supérieure. En soustrayant le temps passé en détention préventive, qui totalise 37 mois, il a été libéré le jour même.

« J’espère pour vous que ce sera la dernière condamnation et que ça va se terminer », lui a dit le juge Vincent, avant de lui souhaiter bonne chance.

Pour joindre Daniel Renaud, composez le 514 285-7000, poste 4918, écrivez à drenaud@lapresse.ca ou écrivez à l’adresse postale de La Presse.