Pour encourager les banlieusards à délaisser leur voiture, Québec veut construire un centre de la petite enfance (CPE) flambant neuf à moins de 200 mètres de l’autoroute 20, à Sainte-Julie. Et ce, même si un CPE de la région s’est déjà désisté, de crainte que la pollution ne nuise aux petits.

Ce qu’il faut savoir

Un centre de la petite enfance (CPE) de 80 places pourrait être construit sur un terrain dans un stationnement incitatif et à moins de 200 mètres de l’autoroute 20, à Sainte-Julie.

En juillet 2023, le conseil d’administration du CPE qui devait ouvrir cette nouvelle installation s’est désisté, en raison des dangers pour la santé des enfants et des éducatrices.

Le ministère de la Famille a lancé un nouvel appel pour trouver des CPE intéressés à s’y installer.

Un millier de places de stationnement, des commerces auxquels on accède en voiture et, juste à côté, le ballet incessant de la circulation sur l’autoroute : c’est là qu’un centre de la petite enfance pourrait bientôt s’installer.

Debout sur le terrain vacant, à 130 mètres de l’autoroute, Pascale Bourgeois ne s’explique pas que le ministère de la Famille « persiste, voire s’acharne » à vouloir installer un CPE à cet endroit.

« Je trouve ça épouvantable. On sait très bien que les polluants atmosphériques liés au trafic routier se dispersent sur une distance de 50 à 500 mètres aux abords des autoroutes. Plus on s’éloigne, moins la charge de polluants est élevée », dit Mme Bourgeois, médecin et mère, qui s’implique dans ce dossier en tant que citoyenne.

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Pascale Bourgeois, mère et médecin qui conteste l’emplacement choisi pour le futur CPE

Le chemin vers la construction de ce CPE de 80 places a connu des rebondissements. Au début de 2023, il a été annoncé que c’est le CPE Julie-Soleil, qui a déjà trois installations, qui allait piloter le projet. Or, quelques mois plus tard, le conseil d’administration s’est désisté, après avoir été mis au fait des risques pour la santé liés à la proximité d’une voie rapide.

Se retirer de ce projet après en avoir fait l’annonce publiquement a été une décision « crève-cœur », explique France Mayeu, directrice générale de ce CPE.

« On sait très bien que les parents attendent après ces places, mais ils ne choisissent plus [leur service de garde], ils vont où il y a de la place. Et dans notre mission, on ne pouvait aller de l’avant avec ce projet : on allait mettre la santé des enfants et de notre personnel à risque », dit Mme Mayeu.

« On a demandé [à la Ville de Sainte-Julie] si on avait un autre terrain à nous proposer, mais il n’y en a pas d’autres. C’est celui-là », poursuit-elle.

La Ville de Sainte-Julie n’a pas souhaité nous accorder d’entrevue à ce sujet.

En février dernier, le ministère de la Famille a donc lancé un autre appel pour trouver quelqu’un qui souhaiterait ouvrir une installation à cet endroit. « Les projets reçus sont en analyse », nous dit-on.

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Le site où le ministère de la Famille souhaite construire le futur CPE, à Sainte-Julie, à moins de 200 mètres de l’autoroute 20.

« La construction d’un CPE est l’une des composantes d’un projet de grande envergure qui comprend l’aménagement d’un stationnement incitatif et d’un terminus d’autobus, la construction de bretelles d’accès à l’autoroute 20 et le prolongement du boulevard Armand-Frappier et de la rue Murano », écrit Wendy Whittom, porte-parole de ce ministère.

L’objectif, ajoute-t-elle, est de « mettre en place des moyens qui incitent les citoyens de Sainte-Julie à utiliser le transport collectif ».

Néfaste pour la santé

L’Association québécoise des médecins pour l’environnement (AQME) fait partie de ceux qui ont sonné l’alarme en voyant qu’un centre de la petite enfance serait construit si près de l’autoroute.

« L’AQME a recommandé une zone tampon de 300 mètres le long des autoroutes pour ce qu’on appelle la construction d’usages sensibles, donc les garderies, les écoles, les hôpitaux, mais aussi les résidences pour aînés », explique Johanne Elsener, collaboratrice de cette association.

Une recommandation, dit-elle, qui n’a pas trouvé écho à Québec jusqu’ici.

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Plusieurs dizaines de milliers de véhicules passent devant le futur emplacement du CPE chaque jour.

« La pollution atmosphérique chez les enfants est associée à plusieurs problèmes de santé graves », ajoute Mme Elsener, qui cite notamment l’asthme et des problèmes de développement cognitif chez les enfants.

C’est sans compter sur le bruit émis par le passage de dizaines de milliers de véhicules. « On sait que la pollution sonore peut avoir des impacts sur la santé, notamment sur le sommeil », explique-t-elle.

En moyenne, en 2022, 72 000 véhicules circulaient chaque jour sur cette portion de l’autoroute 20, selon les données du ministère des Transports du Québec

Le ministère de la Famille indique que ce n’est pas à lui de déterminer « si l’environnement envisagé pour une nouvelle installation est sain ».

« Ce sont des études réalisées par des experts indépendants », nous écrit Wendy Whittom, porte-parole de ce ministère.

Lorsqu’un projet prévoit construire un bâtiment, « le CPE doit faire réaliser diverses études et soumettre les résultats des analyses au Ministère avant d’acquérir le terrain et débuter les travaux de conception », ajoute-t-elle.

« Une fois les résultats d’analyse reçus, le Ministère en prend acte », dit Mme Whittom.

La directrice du CPE Julie-Soleil dit que sur le coup, elle n’avait pas réalisé « l’ampleur des impacts sur la santé » des enfants et du personnel de s’installer si près de l’autoroute.

Mais maintenant qu’elle a remis les places à Québec, que les problèmes liés à l’environnement ont été nommés et médiatisés, elle se demande pourquoi le Ministère continue à chercher d’autres CPE intéressés par cet emplacement, sans entreprendre une réflexion.

Elle assure que le conseil d’administration de son CPE « vit très bien » avec sa décision de se retirer du projet, en phase avec sa mission d’assurer la sécurité des enfants.

« Les parents nous font confiance, c’est important de garder cette confiance-là », dit Mme Mayeu, qui ajoute que les parents font aussi confiance au ministère de la Famille. « C’est une responsabilité partagée. »