(Québec et Granby) Face à la démission surprise d’Émilise Lessard-Therrien de son poste de co-porte-parole féminine de Québec solidaire (QS), Gabriel Nadeau-Dubois assume sa « part de responsabilité dans cet échec ». Il admet avoir failli à faire fonctionner le modèle unique de leadership bicéphale du parti, dans le contexte où l’ex-députée de Rouyn-Noranda–Témiscamingue, en poste depuis seulement cinq mois, montre du doigt la « petite équipe de professionnel.le.s tissée serrée » qui entoure le chef parlementaire, que d’anciens employés décrivent comme étant une « clique » hermétique.

« Je me suis fait gronder ou culpabiliser »

C’est un véritable coup de tonnerre qui a réveillé la Colline parlementaire, lundi, alors qu’Émilise Lessard-Therrien démissionnait de son poste de co-porte-parole féminine de Québec solidaire (QS), pourtant remporté à l’arraché au second tour du vote en novembre dernier.

« Quatre mois à peine ont suffi à m’épuiser. Complètement. Je suis partie en arrêt de travail fin mars, les deux genoux à terre, l’élan freiné », a-t-elle écrit sur Facebook, montrant du doigt « une petite équipe de professionnel.le.s tissée serrée autour du porte-parole masculin », Gabriel Nadeau-Dubois, qui l’a fait sentir « bien seule » et avec qui elle a eu « du mal à y trouver [son] espace ».

Dans son témoignage, l’ex-députée de 32 ans a raconté s’être fait « gronder ou culpabiliser pour des prises de paroles sincères [et] pour avoir donné des opinions ou suivi mon intuition », en plus d’avoir été invalidée quand elle a nommé ses besoins. « J’ai commencé à avoir peur. Peur de dire, peur de ne pas être entendue, reconnue, comprise. […] Pour ces raisons, je suis tombée en mode “survie” dans mon parti », a-t-elle affirmé.

« La vision différente que je proposais s’est heurtée à un blocage organisationnel, au sein d’un parti qui a été créé pour faire de la politique autrement. Et là, le sens s’en est allé. Me foutant un sale coup derrière les genoux au passage pour que je tombe », a dit Mme Lessard-Therrien.

Nadeau-Dubois s’explique

En point de presse à Granby, lundi, le chef parlementaire et co-porte-parole masculin de QS, Gabriel Nadeau-Dubois, a reconnu que « le défi était important : faire fonctionner un nouveau modèle avec une porte-parole non élue à l’Assemblée nationale ». « Force est de constater que ce défi-là, on n’a pas réussi à le relever collectivement », a-t-il dit.

Confronté aux propos de sa collègue démissionnaire, Gabriel Nadeau-Dubois a assuré ne pas avoir participé ou avoir été témoin d’un épisode où elle aurait été « grondée » pour une prise de position, comme elle l’a rapporté. Au parti, on a également affirmé qu’on avait finalement débloqué des fonds pour l’aider à assumer ses fonctions avec ses nombreux déplacements entre le Témiscamingue, Montréal et Québec.

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Gabriel Nadeau-Dubois, chef parlementaire et co-porte-parole masculin de QS

Le leader de Québec solidaire n’a pas immédiatement voulu faire un diagnostic précis des dysfonctions qui ont entraîné cette démission. « C’est arrivé dans les dernières heures. Moi, je n’ai pas les prétentions d’avoir toutes les réponses. » Diverses réunions sur le sujet sont prévues au cours de la journée et un bilan officiel sera préparé, a-t-il ajouté.

Cette démission choc d’Émilise Lessard-Therrien est un coup dur pour M. Nadeau-Dubois et son équipe, alors que les critiques s’ajoutent à celles publiées par l’ex-députée Catherine Dorion dans son essai Les têtes brûlées. En novembre, il avait malgré tout reçu l’appui de 90,1 % des délégués qui avaient voté pour sa réélection à titre de co-porte-parole.

Un climat « toxique » ?

Jonathan Gagnon, ancien employé de l’aile parlementaire de Québec solidaire qui a été responsable de l’organisation et de la coordination de la campagne d’Émilise Lessard-Therrien au co-porte-parolat, affirme que M. Nadeau-Dubois s’est entouré d’une garde rapprochée essentiellement composée d’amis de longue date qui le suivent depuis la grève étudiante de 2012.

« Personne n’est tombé sur le derrière [lundi] en apprenant que Gabriel était contrôlant et qu’il y avait une petite clique autour de lui », a-t-il dit, affirmant que des personnes qui n’arrivaient pas à attirer leur attention quittent désormais progressivement le navire.

D’anciens employés de QS qui ont accepté de raconter leur expérience sans être identifiés, car leur nouveau travail ne s’effectue plus dans un cadre politique, affirment avoir quitté le parti parce qu’ils sentaient qu’ils ne pouvaient plus avoir une influence sur les décisions qui étaient prises et qu’ils étaient ignorés quand ils formulaient des idées à contre-courant des orientations décidées dans des cercles restreints.

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Christine Labrie, députée solidaire de Sherbrooke

Pour sa part, la députée de Sherbrooke, Christine Labrie, a affirmé lundi qu’il n’y avait pas un climat malsain dans son parti. « Je ne resterais pas dans un parti où il y a un climat toxique », a-t-elle dit.

Amir Khadir propose une idée

Selon l’ancien député et cofondateur de Québec solidaire, Amir Khadir, QS est un parti dont les militants veulent transformer le Québec en profondeur. Dans ce contexte, il existe depuis toujours des tensions entre ceux qui veulent faire des gains au parlement versus ceux qui voudraient plutôt concentrer les efforts politiques dans la rue, de concert avec les mouvements sociaux.

Pour l’avenir, Amir Khadir suggère à QS d’adopter une nouvelle ligne directrice pour que seulement 50 % des députés siègent désormais en même temps au Salon bleu, menant ainsi l’autre moitié des élus à retourner sur le terrain militer avec les citoyens.

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Amir Khadir, ancien député et cofondateur de Québec solidaire

André Frappier, un vieux routier de Québec solidaire qui a appuyé Émilise Lessard-Therrien lors de la course, affirme à son tour que la crise qui secoue son parti doit mener à de grandes réflexions. « On ne lui a pas laissé son droit de défendre ses idées », a-t-il dit, citant en exemple qu’elle avait appuyé le mouvement de boycottage des placements publicitaires sur Facebook, alors que son parti continuait d’en acheter même si le géant américain bloque les contenus d’information au pays.

« Là, avec Catherine Dorion, c’est deux femmes de calibre qui quittent le parti pour des raisons de démocratie. On ne peut pas juste dire qu’on a tout fait et que l’on continue notre chemin. Ça nécessite une réflexion majeure », a-t-il dit.