« Pourquoi ne pas sortir avec lui ? » Le Tribunal administratif de déontologie policière blâme un policier de la Ville de Montréal qui a minimisé le témoignage d’une victime en qualifiant son harceleur de physiquement « attirant ».

Les propos de l’ex-sergent Martin Bouchard « ternissent l’image des services policiers et minent la confiance et la considération du public que requiert la fonction », souligne la décision rendue plus tôt en avril.

À l’automne 2019, Anastasia Boldireff est suivie et contactée à plusieurs reprises par Adamo Bono, un dangereux délinquant sexuel qui plaidera plus tard coupable à deux accusations de harcèlement criminel.

Le 7 novembre, elle se présente au poste de quartier 20 du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) pour porter plainte.

À l’accueil, l’agent Kevin Jacob lui demande de revenir plus tard, tous les agents étant occupés. À son retour, il est toujours à l’accueil et entame le traitement de sa plainte.

La discussion qui suit fait l’objet de versions contradictoires. À un moment, l’agent Jacob sollicite l’aide de son supérieur, le sergent Martin Bouchard.

Selon Mme Boldireff, ce dernier lui demande de décrire son harceleur. « Il a l’air attirant. Un joueur de soccer, tu dis. Pourquoi ne pas sortir avec lui ? », lui aurait-il répondu en anglais.

Le sergent Bouchard – qui n’est plus à l’emploi du SPVM – nie cet échange. Il affirme n’avoir aucun souvenir d’avoir demandé une description physique du suspect, celle-ci n’étant pas pertinente à ce stade de l’enquête. Une explication peu plausible, argue le Tribunal.

Retenant la version de la plaignante, il désapprouve durement les propos du policier qui « laissent comprendre à une femme qui se croit victime qu’elle ne devrait pas s’en faire, car son potentiel harceleur est “good looking ».

Un conseil « inapproprié »

Avant de quitter le poste, Mme Boldireff demande si elle peut être raccompagnée chez elle, craignant pour sa sécurité. On lui répond qu’il n’y a pas de véhicule de patrouille disponible et qu’elle doit retourner à son domicile par ses propres moyens.

Le sergent Bouchard lui conseille de rester rue Sainte-Catherine, d’éviter les ruelles et de parler fort si elle croise le suspect. « Tu devrais faire attention à ce que tu portes », aurait-il ajouté, ce qu’il conteste.

Une fois de plus, le Tribunal retient la version de la plaignante. Il cite un extrait de la déclaration du lieutenant Laurent Lisio au sujet d’une rencontre informelle avec le sergent Bouchard, survenue peu après le dépôt de la plainte.

« Il affirme avoir voulu la conseiller sur son habillement, ce n’était pas pour l’insulter, mais bien pour la conseiller de faire attention lorsqu’elle se promène au centre-ville », a-t-il témoigné auprès de l’enquêtrice.

Dans son témoignage devant le Tribunal, le lieutenant Lisio s’est toutefois rétracté, affirmant que le sergent Bouchard avait nié cet échange lors de leur rencontre.

Le Tribunal est d’avis que la version la plus probable est celle qui a été relatée à l’enquêtrice à un moment plus rapproché à la plainte.

Extrait de la décision du Tribunal administratif de déontologie policière

Ces propos, « basés sur de vieilles mentalités », suggèrent qu’un « meilleur choix de vêtements pourrait éviter une attention non désirée de la part des hommes », dénonce la décision.

« Une victime pourrait choisir de ne pas porter plainte si elle pense qu’elle ne sera pas crue, qu’elle sera ridiculisée, ou même qu’elle ne sera pas prise au sérieux si elle n’est pas la victime “parfaite”, qu’elle n’a peut-être pas dit ou fait la bonne chose ou qu’elle avait fait un mauvais choix de vêtement », poursuit le Tribunal.

« Sentiments partagés »

En entrevue, Anastasia Boldireff s’est dite « reconnaissante » de la décision du Tribunal, bien qu’elle éprouve « des sentiments partagés ».

Le message principal est que cela n’aurait jamais dû se produire. Signaler un crime de nature sexuelle ou du harcèlement ne devrait jamais ressembler à une demande d’assurance.

Anastasia Boldireff

Soulignons que la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse s’est aussi saisie de l’affaire.

Dans sa plainte, Mme Boldireff reprochait également à l’agent Kevin Jacob d’avoir commenté son apparence en lui disant : « Je suis certain que le fait d’être une belle femme vous cause des ennuis. »

Or, ces propos sont rapportés seulement des mois plus tard, indique la décision. De plus, Mme Boldireff ne se souvient pas exactement des mots prononcés lors de son témoignage.

En revanche, M. Jacob témoigne de façon « claire et franche », constate le Tribunal, qui, pour toutes ces raisons, conclut qu’il n’a pas commis de faute déontologique.