La Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ) ne fait pas son travail de chien de garde pour protéger les enfants, dénoncent des avocates en protection de la jeunesse et d’anciens employés de la Commission.

Ce qu’il faut savoir

La Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse est sur la sellette depuis des mois. Plusieurs voix demandent que ses pouvoirs en protection de la jeunesse soient confiés au futur commissaire aux droits de l’enfant, comme le recommandait la commission Laurent.

Le sujet a rebondi à l’Assemblée nationale à Québec mercredi en réaction à une enquête de La Presse sur une famille d’accueil de la DPJ où plusieurs adolescents ont été victimes de crimes sexuels.

Le ministre responsable des Services sociaux, Lionel Carmant, a fait savoir que ça n’était pas dans ses plans.

Sur la sellette depuis des mois, l’organisme se défend en affirmant que sa mission est tout simplement « mal comprise ». « On fait en sorte que des lésions de droit cessent et que des correctifs soient apportés », affirme la vice-présidente aux mandats jeunesse de la Commission, Suzanne Arpin, qui indique avoir réglé 463 dossiers l’an dernier.

« La CDPDJ ne joue pas son rôle alors que le législateur lui a donné tous les pouvoirs nécessaires », croit plutôt un ancien directeur des enquêtes pour le secteur jeunesse de l’organisme, Jean Théorêt. Aujourd’hui retraité, l’homme est très critique de ce que l’institution est devenue.

« Les enfants de la DPJ sont les plus vulnérables et ils ne sont pas protégés convenablement », renchérit l’avocate en droit de la jeunesse Valérie Assouline. De nombreux exemples à l’appui, elle et des collègues estiment que la CDPDJ ferme des enquêtes où les droits des enfants ont clairement été lésés.

Ce fut notamment le cas pour Jade, 17 ans, que MAssouline représente. Pendant six ans, Jade a été agressée sexuellement par le père de sa famille d’accueil. La Presse a raconté son histoire mercredi. Comme des dizaines d’autres jeunes, elle a été placée par la DPJ dans cette maison où une adolescente avait dénoncé des abus sexuels dès 2004, mais n’avait pas été crue.

Lisez « Famille d’accueil de la DPJ : la maison des horreurs »

La CDPDJ a ouvert une enquête, qui a duré 15 jours. En janvier, Jade a reçu une lettre de la Direction des enquêtes jeunesse de l’organisme. « Il n’y a pas de raison de croire que tes droits ont été lésés », disait la missive. Pour l’adolescente, ces mots ont eu l’effet d’un coup de poignard.

« Nous avons consulté la documentation et avons discuté avec certaines parties au dossier, disait la lettre. Notre enquête nous permet de déterminer que des vérifications adéquates ont été effectuées par la DPJ avant que tu ne sois hébergée par ton ancienne famille d’accueil. »

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

L’avocate en droit de la jeunesse Valérie Assouline

C’est inconcevable. On n’a pas compris le concept de lésion de droits. Il faut se mettre dans les chaussures de cette jeune-là.

Valérie Assouline, avocate en droit de la jeunesse

MAssouline déplore notamment que l’enquêtrice n’ait appelé ni Jade ni la victime qui a dénoncé des agressions en 2004.

Selon Suzanne Arpin, la CDPDJ a été informée de cette histoire en novembre. Elle explique que « plusieurs personnes croient que la Commission a des superpouvoirs et ça crée des attentes qu’on ne peut pas remplir ». Elle précise que son organisme « a le mandat de vérifier si des organismes briment des droits en fonction de la Loi sur la protection de la jeunesse » et si oui, de s’assurer que des mesures soient prises pour que ça cesse.

Absence de preuve

La CDPDJ n’a pas le mandat de mener des enquêtes policières ni de distribuer des blâmes, martèle Mme Arpin, qui précise qu’« on peut arriver au fait qu’il n’y a pas eu de lésion de droits, mais ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas eu des manquements autres ».

Sur 2400 demandes d’interventions en matière de jeunesse reçues entre janvier 2018 et décembre 2023 par la CDPDJ, 831 ont été fermées pour absence de preuve de lésion de droits, selon une demande d’accès à l’information faite par l’avocate en droit de la jeunesse Mylène Leblanc.

Hébergée en centre jeunesse depuis deux ans, Ève (prénom fictif) y a été agressée par un autre jeune. L’enfant de 11 ans a été enfermée dans une cellule de prison lors d’une crise. Et elle s’est blessée en étant placée dans une salle d’isolement dans un hôtel des Laurentides transformé en centre de réadaptation jeunesse par manque de places. Son histoire avait été présentée par La Presse en octobre dernier.

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En janvier, après huit mois d’enquête, la CDPDJ a estimé que les droits d’Ève n’ont pas été lésés. Les conclusions de la CDPDJ, d’abord rapportées dans le quotidien Le Soleil, indiquent notamment « qu’un enfant ne devrait pas être transporté dans un poste de police ». Mais parce que la DPJ a acheminé une « note de service » dictant la conduite à adopter à l’avenir, la CDPDJ « met fin à [son] intervention » et ferme le dossier.

Cette décision a fait bondir la mère d’Ève. Pour elle, le tout laisse croire qu’à la DPJ, « il suffit de faire son mea culpa et ainsi, le problème disparaît ».

Absents des tribunaux

La CDPDJ a le pouvoir d’intervenir directement devant les tribunaux pour défendre des enfants dont les droits auraient été lésés, mais elle le fait très rarement, affirme l’ex-directeur des enquêtes Jean Théorêt.

MMylène Leblanc estime avoir demandé à la CDPDJ de venir appuyer des enfants devant le tribunal dans une vingtaine de dossiers depuis trois ans. En 2022, la Commission est apparue à la cour dans le dossier de huit enfants. L’impact de son intervention a été « immédiat » sur le respect du droit de ces jeunes, selon l’avocate. Mais subitement, au cœur de ses recours, la CDPDJ s’est retirée de ces cas. Depuis, MLeblanc dit ne pas avoir revu la Commission devant le tribunal de la jeunesse, même si elle continue de les interpeller.

Ces témoignages recoupent ceux entendus ces derniers mois dans le cadre de l’étude du projet de loi 37, qui veut instituer un nouveau Commissaire aux droits de l’enfant au Québec. En commission parlementaire, Nancy Audet, autrice de deux livres sur les services de la protection de la jeunesse, a dénoncé le fait que la CDPDJ soit « absente du terrain ».

Elle plaide pour que le volet protection de la jeunesse soit plutôt confié au futur Commissaire aux droits de l’enfant, comme le recommandait la commission Laurent. Le ministre responsable des Services sociaux, Lionel Carmant, croit plutôt que la commission doit conserver son mandat jeunesse.

Quatre ex-employés et un ancien cadre de la Commission ont décrit à La Presse la « passivité » et l’« inaction » de l’institution. Les enfants connaissent peu ou pas les lois qui les protègent, plaident-ils. Or, la CDPDJ ne va pratiquement jamais rencontrer les enfants dans les centres de réadaptation et les foyers de groupe, témoignent-ils.

« Dans certains dossiers où ça aurait été pertinent, j’ai voulu aller rencontrer des jeunes dans leur milieu de vie ou simplement constater l’état des lieux du centre de réadaptation où les droits d’un jeune étaient possiblement lésés, mais ça a toujours été un gros non », raconte un ex-employé qui a quitté l’institution, désabusé.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

La vice-présidente aux mandats jeunesse de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, Suzanne Arpin

Mme Arpin reconnaît que la Commission se rend peu dans les centres jeunesse, notamment parce que l’accès est « complexe ». Mais elle dit que la promotion des droits des enfants passe par des « organismes partenaires », comme des maisons des jeunes. Des enseignants et des éducateurs sont aussi formés.

Une mission incomprise

Dans un communiqué publié le 6 avril, le président de la CDPDJ, Philippe-André Tessier, a attribué les critiques dirigées vers son organisation à une « confusion quant au mandat que la Loi sur la protection de la jeunesse (LPJ) lui attribue ».

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

Le président de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, Philippe-André Tessier

Il défendait son manque de présence à la cour par le fait que « la judiciarisation ne doit pas être la première réponse aux besoins de protection des droits des enfants ». Dans une entrevue récente à La Presse, M. Tessier disait aussi que le rôle de la CDPDJ n’est pas d’être le procureur de l’enfant, mais d’agir « dans l’intérêt de l’enfant ». « Nous, on intervient sur des questions d’interprétation de la loi, on n’est pas là pour les cas individuels », disait-il.

Lisez « La CDPDJ défend son travail »

Dans son communiqué, le président indique que la CDPDJ n’hésite pas à aller devant les tribunaux lorsque nécessaire dans des dossiers systémiques.

En 2022-2023, « 98 % de toutes les enquêtes pour lesquelles nous avons constaté une lésion de droits se sont réglées en cours d’enquête, peut-on lire dans le communiqué de M. Tessier, c’est-à-dire que la partie mise en cause a pris des mesures correctrices satisfaisantes ».

Le président de la CDPDJ citait en exemple le cas d’un centre jeunesse de la Mauricie où des adolescents « étaient logés dans une unité de débordement temporaire » où les chambres « étaient en fait de petits espaces séparés par des rideaux ou des paravents et leurs effets personnels étaient dans des caisses en plastique ». Après la visite de la CDPDJ, « l’unité temporaire a été démantelée », affirme M. Tessier, qui y voit l’histoire d’un succès. Considérant que la situation était corrigée, la Commission a fermé le dossier.

Deux ans plus tard, les installations de fortune étaient de retour en Mauricie, comme en témoigne un jugement de la Cour du Québec qui conclut que les droits d’une adolescente qui a passé 11 jours dans « l’unité de surpopulation » ont été lésés. Comme en 2022, sa chambre était faite de murs de carton-plastique tenus par des rubans adhésifs. La porte était constituée d’un rideau de douche.

Mme Arpin mentionne que, un peu comme un tribunal qui ne fait pas le suivi de ses ordonnances, la CDPDJ ne fait pas de suivi direct des mesures. Mais quand une situation se répète, comme dans le cas de la Mauricie qui est venu aux oreilles de la CDPDJ par l’entremise des médias, « on va aller un petit peu plus loin pour amener des correctifs plus structurants », assure-t-elle.

Rectificatif
Une précédente version de ce texte indiquait qu’il y avait 200 enquêteurs à la CDPDJ. Or il y en a 74.

En savoir plus
  • 24
    Nombre d’employés qui se consacrent aux enquêtes jeunesse à la CDPDJ
    source : CDPDJ
    74
    Nombre d’enquêteurs à la CDPDJ
    source : CDPDJ